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Ils font leurs études supérieures en prison : «Notre chance pour un avenir meilleur»

Avec leurs très bonnes notes, les deux camarades décrocheront sans aucun doute leur BSc Honours avec les meilleures mentions.

Apprendre pour faire face à la dureté de la prison, pour s’évader, pour s’assurer des jours meilleurs une fois la liberté recouvrée. C’est ce qui a motivé Jerry Lai Cheong King et Eshan Dotip à se lancer dans des études supérieures. Alors qu’ils entament la phase finale de leur cheminement, ils seront les premiers détenus mauriciens à décrocher leur BSc Honours. Rencontre.

Des hommes qui brillent dans l’ombre. Il y en a plusieurs. Jerry Lai Cheong King, 44 ans, et Eshan Dotip, 43 ans, en font certainement partie. Condamnés à plusieurs années de prison pour des affaires de drogue, ces deux hommes ont tout simplement envie de prendre le meilleur de cette seconde chance qui leur a été offerte et de continuer à apprendre tout ce qu’ils peuvent. À la prison ouverte de Richelieu et même ailleurs, tout le monde connaît Jerry Lai Cheong King et Eshan Dotip. À eux deux, ils ont créé l’exception dans l’univers carcéral du pays en devenant les premiers détenus à entreprendre des études supérieures en prison.

 

Installés dans un petit bureau, les deux hommes sont concentrés sur leur ordinateur. Devant eux, des cahiers et des papiers. Dans quelques mois, ils devront soumettre leur dissertation, la dernière étape dans l’obtention de leur BSc in Business Management. En attendant, les deux hommes préparent leurs derniers examens avec l’objectif de décrocher les meilleures notes. Se lancer dans des études supérieures à leur âge et alors qu’ils se trouvent en prison, cela a été, disent-ils, un vrai défi. Mais leur détermination et leur motivation ont convaincu les autorités pénitentiaires et l’Open University, l’établissement où ils étudient, de leur donner une chance. Une seconde chance qu’ils ont saisi à bras-le-corps.

 

Un adage en particulier fait avancer Jerry Lai Cheong King depuis de nombreuses années. «L’échec fait avancer l’homme», dit-il. Il en est conscient : à un moment donné de sa vie, il a fait les mauvais choix. Des erreurs qui lui ont coûté la liberté, mais aussi sa famille : «Mon épouse m’a quitté. Ma fille, qui était petite à l’époque, a grandi sans moi. Elles ont beaucoup souffert.» Pourtant, rien ne le prédestinait à en arriver là. Après de brillantes études secondaires, il décroche un diplôme en Fashion & Design à l’Université de Durban et prend de l’emploi dans le secteur du textile. En 2002, marié, père d’une petite fille et manager dans une usine, il se fait arrêter pour une affaire de drogue. Jugé coupable, il est condamné à 45 ans de prison. C’est la douche froide.

 

Contre la solitude et la lassitude, Jerry bouquine et se jette à corps perdu dans le sport pour meubler le temps. Il s’engage dans plusieurs associations qui viennent en aide aux détenus, comme Lotus dont il devient un membre très actif avec son ami Eshan. Ce dernier, comme lui, a été condamné à plusieurs années de prison pour une affaire de drogue. Avant de se retrouver derrière les barreaux, Eshan avait ouvert, après un passage dans la comptabilité, sa petite entreprise qui faisait dans l’importation de divers produits.

 

Lorsqu’il est condamné en 2001 à 16 ans de prison, il se retrouve dans un autre monde : «Cela faisait à peine cinq jours que je m’étais marié et, du jour au lendemain, je me suis retrouvé en prison. C’était dur, mais il fallait l’accepter et aller de l’avant.» Refusant de se laisser aller, Eshan se tourne alors vers la réhabilitation et, au fil des années, avec son ami Jerry, ils deviennent des conseillers auprès de leurs autres camarades, s’improvisent médiateurs auprès de la direction, organisent pour eux des programmes, des activités et même des classes d’alphabétisation.

 

Reconnaissance

 

Lorsqu’il obtient une remise de peine en 2009 après son appel, Jerry pense déjà à la sortie et à son avenir. Lui vient alors l’idée de reprendre ses études. Avec Eshan, qui se lance également dans l’aventure, ils écrivent de nombreuses lettres, font plusieurs demandes pour avoir cette opportunité. Jamais cela n’a été fait auparavant, mais les deux amis y croient. «C’est un officier que je considère comme mon père qui m’a encouragé. Il connaissait mon potentiel. Je ne le remercierai jamais assez d’avoir cru en moi. Nous sommes aussi extrêmement reconnaissants envers l’administration de nous avoir permis de réaliser ce projet», déclare-t-il.

 

Si, à l’étranger, trouver des détenus qui décrochent des diplômes derrière les barreaux est plus ou moins commun, à Maurice, c’est une première. Avec l’appui des autorités pénitentiaires, les deux hommes finissent par décrocher une bourse de l’Open University. Un pas sans précédent dans l’univers carcéral. À cause de leurs conditions, ces deux étudiants pas comme les autres suivent leurs cours à distance. Deux fois le semestre, ils reçoivent la visite de leur tuteur et, de temps en temps, ils se rendent sous escorte à l’université pour une classe à huis clos. Les examens se font à la prison avec la venue d’un examinateur. «Ça n’a pas toujours été facile. Au début, nous n’avions pas forcément accès à Internet. Du coup, cela rendait nos travaux de recherche plus difficiles. Et puis, qu’on le veuille ou non, nous n’avons plus 20 ans et apprendre seuls sans l’apport d’un prof, cela rend les choses un peu plus compliquées», souligne Jerry.

 

Cependant, malgré les difficultés et grâce au soutien des officiers de la prison et de leur famille, les deux hommes s’accrochent. Pas un jour ne passe sans qu’ils étudient. Le planning est fait en avance afin qu’ils se consacrent à leurs cours, mais aussi aux autres activités dans lesquelles ils sont impliqués à la prison. Depuis qu’ils se sont lancés dans ce nouveau volet de leur vie, ils n’ont cessé de faire l’exception en décrochant la majeure partie du temps les meilleures notes de la promotion. «Nous n’avons que des A et des B depuis le début. Ces notes nous rendent fiers et nous motivent à aller encore plus loin. Je pense qu’on se donne à fond parce qu’on a pris le temps de réfléchir à notre avenir. Nous avons fait un choix et pris des résolutions», confie Eshan.

 

Au-delà de cela, réussir, c’est aussi prouver à ceux qui leur ont permis d’en arriver là qu’ils ont eu raison de croire en eux. Pour les deux hommes, cette qualification est bien plus qu’un simple diplôme, elle est à leurs yeux un peu comme une protection, un passeport pour des jours meilleurs, même si cela ne représente pas une garantie contre le chômage et les préjugés. «Nous savons qu’il nous sera difficile de trouver du travail dans le gouvernement ou dans le privé. La société a encore beaucoup de préjugés, mais nous espérons qu’elle nous donnera notre chance et qu’elle nous laissera faire nos preuves», souligne Eshan qui, avec son ami, souhaite revenir en prison pour aider leurs camarades à aller de l’avant après leur sortie.

 

Jerry, lui, espère bien trouver du travail. Il rêve de se remettre en selle. En plus de 15 ans d’absence de la vie active, il sait bien que la réalité du marché du travail a changé et que ce sera pour lui un total recommencement. Mais ce ne sera que la première étape, dit-il. Son but ultime ? Créer son entreprise et rattraper le temps perdu avec sa fille. Toutes ces années d’emprisonnement n’ont pas été vaines. Elles lui ont appris à devenir «un homme, un vrai».