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Trois ans après le décès de 11 patients de l’hôpital de Souillac : le cauchemar des dialysés se poursuit

La marche pacifique  a démarré à 13h  à l'hôpital de Souillac.

Les zones d’ombre subsistent. Trois ans se sont écoulés depuis l’hécatombe à l’hôpital de Souillac où 11 patients sous dialyse ont trouvé la mort après avoir contracté le Covid-19. Mais les nombreuses enquêtes entreprises pour déterminer s’il y avait eu des manquements dans la prise-en-charge médicale semblent piétiner. Qui plus est, le décès de quatre autres patients au cours de ces dernières semaines ne fait que soulever davantage de questions. Zoom sur ces événements tragiques qui continuent de susciter les interrogations et la controverse. 

Il y a d’abord eu un Fact-Finding Committee (FFC) sur cette affaire, présidé par l’ancienne juge Deviyanee Beesoondoyal. Néanmoins, le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, a, par la suite, annoncé que les conclusions de son rapport, dans lequel, dit-il, «il est principalement question de recommandations», ne seront pas rendues publiques parce que «les témoins ont partagé beaucoup d’informations personnelles qui doivent être traitées dans la plus grande confidentialité». Il y a ensuite eu l’enquête du Medical Negligence Standing Committee (MNSC) sur ces 11 patients dialysés décédés après avoir contracté la Covid-19 à l’hôpital de Souillac en mars et avril 2021 ; un rapport ayant identifié quatre cas de négligence médicale et fait état de serious failures and omissions, mais celui-ci n’a pas, non plus, été communiqué à la population ou aux proches des patients décédés. Enfin, le Medical Council a fini par prendre le relais, chargé de réexaminer tout le dossier sur cette affaire qui continue de faire couler beaucoup d’encre. Trois années se sont déjà écoulées depuis le drame. Non seulement les zones d’ombre subsistent, mais d’autres décès survenus chez des patients dialysés de l’hôpital de Souillac au cours de ces dernières semaines viennent soulever davantage d’interrogations.  

 

Àl’issue de la conférence de presse de la Renal Disease Patient’s Association, Bose Soonarane, son secrétaire et porte-parole, a abordé tous ces aspects ce mercredi 10 mars. Ce qu’il déplore surtout, c’est que «pour réclamer des dommages, les plaignants ne disposent que de deux ans. Entre tous ces rapports qui n’ont jamais été rendus publics et l’enquête du Medical Council qui n’a toujours pas abouti, deux années se sont déjà écoulées. Il sera difficile, voire impossible, pour les proches des victimes d’entamer des poursuites judiciaires contre le.s responsable.s du décès de leurs proches». Convaincu qu’il y a bel et bien eu négligence médicale au détriment des patients pendant la pandémie, Bose Soonarane fait même ressortir que le nombre de dialysés ayant perdu la vie en 2021 était nettement plus élevé cette année-là que les précédentes : 67 en 2016, 62 en 2017, 50 en 2018, 28 en 2019, 45 en 2020, et enfin 145 en 2021, soit encore plus que le double de la moyenne. A ce jour, dit notre interlocuteur, «c’est le black-out total. Nous ne savons pas pour quelles raisons le Medical Council a stoppé ses travaux alors que plusieurs personnes ont déjà déposé. Nous sommes toujours dans l’attente.» Le but de cette conférence de presse, explique Bose Seenarane, « c’est de réclamer la publication des conclusions du FFC et du MNSC, mais aussi pour demander au Medical Council de poursuivre ses travaux. » Ces demandes, il les a à nouveau formulées hier, samedi 13 avril, lors de la marche pacifique organisée pour commémorer ce triste anniversaire (voir hors-texte).

 

Parmi les 11 patients dialysés décédés à l’hôpital de Souillac en 2021, rappelons-le, figure Sarodjnee Ramsamy, qui était âgée de 56 ans. Son époux Krishna ne s’est jamais vraiment remis de son départ brusque et tragique. Pour pouvoir tourner la page sur cet épisode douloureux de sa vie, il continue d’espérer que les conclusions des nombreuses enquêtes entreprises sur la mort de ces patients seront, un jour ou l’autre, communiqués au grand public, ce qui lui permettra ainsi de situer les responsabilités et d’y voir plus clair sur les circonstances de la mort de son épouse. «Ma femme y suivait son traitement depuis 12 ans. Li ti touzour bien fit. Boukou dimoun pa ti mem kone ki li ti malad. Enn sel kout linn ale, linn kit mwa tousel. Mo ti anvi kone kouma linn kapav perdi so lavi. Sa ti pou permett mwa gagn enn soulazman.» Il déplore qu’au bout de ces trois dernières années, «mo touzour pe atann. Mo pa finn gagn oken repons. Pa finn gagn oken sanzman ziska ler». Pourtant, poursuit Krishna, «je suis allé à Port-Louis à deux reprises à l’issue du FFC, je me suis rendu au Medical Council, et je suis également allé à la rencontre du ministre Jagutpal à plusieurs reprises. Sak fwa monn deranze, me koumadir tou finn tom dan zorey sourd. Azordi, kan telefonn zot pou kone ki pe passe, personn pa reponn. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une tentative de cover-up.»

 

Ces trois dernières années ont aussi été synonyme d’un long combat pour une septuagénaire ayant souhaité garder l’anonymat, dont l’époux fait partie des 11 patients dialysés décédés à l’hôpital de Souillac durant la pandémie de Covid-19. Tant de fois, dit-elle, «je me suis déplacée en espérant avoir des éclaircissements. Je suis revenue bredouille.» Pour retrouver sa sérénité, notre interlocutrice a, à présent, choisi de cesser de se battre dans l’espoir d’obtenir des réponses. «J’ai l’impression que cela me fait plus de mal de vivre dans cette attente. M’accrocher à cela me fait souffrir. Je ne suis plus très jeune ; j’ai choisi d’accepter le décès de mon époux, quelles qu’ont pu en être les circonstances. Je laisse la justice divine faire son travail. Si d’autres personnes sont responsables de sa mort, ils finiront par payer un jour. Dieu est grand.» Elle ne peut qu’espérer que d’autres familles ne traverseront pas pareille épreuve. En sera-t-il vraiment le cas ?

 

Pendant sa conférence de presse, ce mercredi 10 avril, Bose Soonarane a aussi fait état du «décès suspect» de quatre patients dialysés de l’hôpital de Souillac au cours de ces dernières semaines ; des tragédies qui suscitent tout autant d’interrogations et qui donnent l’impression que le cauchemar persiste. Il avance que «l’eau utilisée pour les dialyses était contaminée. Des analyses sont faites régulièrement pour savoir si elle répond aux normes exigées. Le Colony Forming Unit (CFU) reste normalement dans les environs de 10, mais des échantillons prélevés récemment ont révélé que son taux s’élevait à 85». Notre interlocuteur se demande si entre le jour où l’échantillon a été prélevé et celui où les résultats ont été obtenus, soit environ huit jours plus tard, « les bactéries qui s’y trouvaient n’ont-elles pas eu le temps de se multiplier ? Je me demande si le taux de CFU n’a pas dépassé les 200 dans l’eau utilisée pour la dialyse car c’est durant cette même période que plusieurs décès ont été recensés. C’est sans doute la qualité de l’eau qui a entraîné des infections chez les patients dialysés qui ont trouvé la mort récemment. »

 

Multitude d'interrogations

 

Le dernier décès enregistré chez les patients dialysés à l’hôpital de Souillac remonte à ce mardi 9 avril. Il s’agit de Soobida Sewpal, âgée de 54 ans, qui y suivait son traitement depuis bientôt 4 ans. Elle laisse derrière elle son unique enfant, sa fille Sevika, avec une multitude d’interrogations. Anéantie, cette dernière relate que «mo mama so la sante ti korek. Li ti enn dimoun fit mem si li ti pe fer dializ. Li ti bien zovial. Se limem ki ti pe ankouraz bann lezot pasian kan li ti pe al lopital. Elle a contracté une infection il y a deux semaines sans que nous sachions comment. Lorsque nous avons questionné son médecin, il ne semblait pas plus avancé.» Pourtant, poursuit notre interlocutrice, «ma mère suivait un régime strict et faisait très attention à sa santé. Tous ses examens médicaux démontraient toujours que son état de santé était stable, mais elle est brusquement tombée gravement malade. Cela s’est produit durant la même période où plusieurs décès ont été recensés. Je n’écarte pas la possibilité qu’il y a pu avoir une négligence de la part de l’hôpital, même si je ne détiens aucune preuve pour pouvoir aller de l’avant.» Bouleversée, anéantie, Sevika raconte que la quinquagénaire était «mon roc, mon support. Nous nous soutenions mutuellement. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour qu’elle aille mieux, en vain. Delo ti fini akimile dan so poumon. Elle a d’abord eu une grosse poussée de fièvre, puis son état a continué de se dégrader. Bien qu’elle fût déjà très affaiblie, elle a été obligée de continuer les dialyses. Li ti pe telman malad ki li ti aret manze. Li ti abatt. Mo pa ti pe kapav get li dan sa leta-la. Li pa ti merit soufer sa kantite-la.» Ce qu’elle souhaite plus que tout, c’est «que les précautions nécessaires soient prises pour que d’autres patients ne subissent pas le même sort. Mo espere zot pa mett lavi lezot dimoun an danze. Mo pa swete ki enn zafer koumsa arriv enn lot dimoun».

 

Cette vague de décès, reconnaît Didier Lesage, sous dialyse à l’hôpital de Souillac depuis huit ans, «a engendré un climat de peur chez tous les patients de l’établissement». Lui aussi s’interroge sur la qualité de l’eau utilisée pour les dialyses car «c’est justement lorsque le niveau de CFU a augmenté que plusieurs personnes sont décédées. S’agit-il d’une coïncidence ?» Il raconte que «je suivais déjà mon traitement lorsque plusieurs personnes ont perdu la vie pendant la pandémie. Monn get tou sa bann dimoun-la tombe enn deryer lot an 2021. Monn trouve boukou kamarad ale enn par enn. Li pa ti fasil. Lorsque j’ai vu d’autres patients nous quitter récemment, en l’espace de seulement quelques jours, j’ai eu l’impression de revivre ce douloureux moment. D’autres sont tombés gravement malades ; cela a provoqué la colère des patients. Nou pa anvi ki mem zafer re arive». Il avance qu’il y a eu plusieurs promotions et transferts au sein du département des dialyses.  «Depuis que quelqu’un d’autre a été assigné Ward Manager, nous avons l’impression de ne plus avoir le même service. Nos requêtes ne sont plus prises en considération. Même le staff semble démotivé. Nous avons besoin de quelqu’un qui connait bien le dossier et qui a de la compassion pour ses patients. Nous avons besoin de médecins qui puissent nous rassurer sur la situation et voulons que tout se fasse dans la transparence.»

 

Sollicité, le Dr Seewoonarain Jugroo, Dialysis Coordinator au Ministère de la Santé, rassure : « Nous avons initié une enquête avec la collaboration du directeur de cet hôpital. Nous savons que beaucoup de questions se posent quant à la qualité de l’eau utilisée pour les dialyses. Il faut savoir que tous les mois, nous effectuons des analyses pour connaitre le taux de CFU. Par moment, il y a eu une fluctuation, mais cela n’empêche qu’elle a toujours répondu aux normes recommandées pour la dialyse. Nous n’avons jamais laissé ces chiffres dépasser la barre des 100 bien que d’autres pays l’étendent jusqu’à 200. Nous avons très régulièrement recours à des désinfections, mais si nous constatons une légère hausse, nous répétons l’exercice. Nous n’avons jamais attendu que le taux de CFU augmente davantage. Si la qualité de l’eau ne répondait pas aux normes, nous ne les aurions jamais laissés avoir recours à la dialyse.» Il y a quelques semaines, soit après que plusieurs décès ont été recensés, «nous avons effectué de nouvelles analyses, cela à deux reprises. Les résultats étaient non seulement dans les normes, mais le taux de CFU était même plus bas.» Il explique que «les patients décédés récemment étaient admis à différents intervalles et pour diverses raisons. J’ai appris que la dernière en date, par exemple, souffrait de problèmes de bronches. Les autres avaient aussi d’autres complications de santé. Cela n’a rien à voir avec un problème au niveau de l’eau. » D’ailleurs, dit le Dr Seewoonarain Jugroo, «une vingtaine de patients sont dialysés à la fois. S’il y avait effectivement un souci à ce niveau, tous les patients auraient eu des symptômes.»

 

Une marche pacifique pour commémorer le décès des patients dialysés décédés : hommages, interrogations et protestations au programme

 

Ils se sont réunis ce samedi 13 avril à l’entrée du New Souillac Hospital : proches et amis des victimes, mais aussi ceux qui exigent des réponses sur les circonstances exactes ayant entrainé le décès de patients sous dialyse en 2021. Ils ont rejoint Bose Soonarane, secrétaire de la Renal Disease Patient’s Association, pour une marche pacifique ayant démarré à 13 heures. Cet événement était l’occasion pour les participants de rendre hommage aux onze patients dialysés ayant trouvé la mort après avoir contracté le Covid-19 à l’hôpital de Souillac. Aux côtés des familles des victimes depuis cette vague de décès troublants, Bose Soonarane, s’est dit déçu que «tou nou zefor pou konn la verite pa finn abouti. Le Gouvernement a tout fait pour escamoter la vérité.»  Cette fois encore, il a imploré les autorités de «rendre publics les rapports du FFC et du MNSC pour que ces familles puissent faire leur deuil.» Il se désole que «ces quatre autres patients sous dialyse décédés récemment dans des circonstances louches sont venus marquer ce troisième anniversaire. C’est trop !»

 

Parmi les participants à cette marche, on retrouve Baby Lutchammah, qui a perdu son époux Lutchumayah, âgé 72 ans, durant cette triste et douloureuse période. Elle a tenu à faire le déplacement pour les mêmes raisons évoquées par Bose Soonarane. «Nou pa pe tann nanye. Nunn al depose de, trwa fwa, me personn pa pe donn nou repons alor ki tousa letan la fini passe. » Le cœur lourd, elle relate que «monn rest avek li lopital kan linn malad parski li pa ti pe kapav fer nanye tousel. Se zis mwa ki ti res ansam avek tou sa bann pasian kinn desede-la. Kan mo misie inn mor, sa finn pas devan mwa.» Elle insiste sur le fait qu’«il y a eu beaucoup de négligence, particulièrement à l’hôpital de Souillac. L’état des lieux était déplorable. Lorsque j’ai appris que d’autres patients sont décédés récemment, j’ai eu l’impression de voir la situation se répéter. Tousa problem kinn pase la, se koumadir problem-la ankor lamem. Mo pa anvi ki lot dimoun pass par mem zafer». Hemant Kumar Roy, qui suivait son traitement dans l’établissement durant cette sombre période, était aussi présent. Il relate que «nous n’avons pas reçu les traitement appropriés pendant la pandémie. Le Gouvernement n’a pas su gérer la situation.» Il dit avoir vécu un cauchemar lorsque les autorités ont transféré les patients sous dialyse à l’hôtel Tamassa pour la quarantaine. « J’ai été témoin de ce chaos. Nous avions dû faire état de tous nos problèmes dans les médias pour recevoir de meilleurs traitements.» Sa présence à l’événement, dit-il, est pour soutenir les proches de tous ceux qui, contrairement à lui, n’ont pas survécu.

 

Le juriste Rajen Narsinghen s’est, pour sa part, exprimé sur la mort «suspecte» de ces quatre autres patients sous dialyse. « C’est toujours plus facile de blâmer les médecins et infirmiers, mais dans le service médical public, nous avons un personnel très compétent. Celui que je blâme directement, c’est celui responsable de la qualité de l’eau dans l’hôpital ; c’est le Dr Kailesh Jagutpal. Il est non seulement un ministre, mais aussi un médecin. »  Il lâche que «nous ne sommes pas là pour faire des critiques futiles; le ministre aurait dû retenir la leçon après le décès de ces 11 patients il y a trois ans. S’il a une conscience, il devrait démissionner immédiatement. De telles grosses erreurs médicales sont impardonnables.» également présent, Lormus Bundhoo, ex-ministre de la Santé, estime qu’ : «il faut revoir le fonctionnement de l’hôpital de Souillac. Eski li bon pou bann patient dialyse ? Il faut une enquête interne et approfondie sur le personnel, les équipements et les conditions des patients.» La marche pacifique a pris fin peu après 14 heures à la plage de Telfair.

 

Elodie Dalloo et Stephanie Domingue