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Tombes pillées : Dans les allées des cimetières

 Ils bossent parmi les morts : Louis-Antoine Lasifoniere œuvre au cimetière Saint-Georges. Subash Matadeen, Keshwa Bajan et Kevin Jhumun, dans l’Est.

Du plomb et du cuivre : c’est ce que rechercheraient les pilleurs de tombes. Ils laissent derrière eux des caveaux profanés et de la désolation. Néanmoins, ce n’est pas une réalité dans tous les lieux de repos éternel de l’île.

L’endroit est silencieux. Ses occupants ne sont pas très causants. Tant mieux. Il est sombre aussi. Et ce n’est pas parce que le soleil se cache derrière les nuages. Même s’il y a un peu de ça. Les imposants caveaux qui s’enchaînent dans les allées accidentées brouillent les repères. Du noir de la pierre à perte de vue. Le cimetière de l’Ouest, à Les Salines, a une atmosphère particulière. Austère, troublante. C’est là que reposent des personnalités dont les noms jalonnent l’Histoire de l’île. D’ailleurs, c’est un des descendants de Célicourt Antelme qui a dénoncé, cette semaine, le pillage de la tombe de son aïeul (Jean Antelme a référé ce cas à la police). Cette sépulture dévalisée n’est, malheureusement, pas la seule à l’être dans ce champ du repos. Les voleurs seraient à la recherche d’éléments en cuivre et de cercueils en plomb (des métaux qui valent leur pesant d’or). Au niveau de la municipalité de Port-Louis, on assure que tout sera fait pour réhabiliter ces tombes et que la sécurité sera renforcée (voir hors-texte)

 

Dès l’entrée du cimetière de l’Ouest, un homme habitué des lieux nous prend sous son aile. Il ne nous dira pas son nom par peur des représailles, dit-il. Il connaît tous les secrets de ce lieu qu’il arpente depuis plusieurs années. Et il a bien une petite idée sur l’identité de ceux qui pillent les tombes :«Se bann droger.» Les vols ont toujours eu lieu ici, dit-il. C’est là où sont enterrés «bann gran dimunn», lance-t-il en énumérant les noms de gens illustres et en proposant une visite guidée de cet endroit qui est, un peu, comme son bureau. À sa suite, nous empruntons les allées bordées de tombes et découvrons l’inimaginable. Des caveaux et des tombes défoncés. Des restes humains visibles. Des morts dérangés dans leur dernière maison.  

 

Il ne s’agit que d’os, bien sûr. Mais, dans la plupart des cultures, protéger ses morts et leur rendre hommage est une réalité anthropologique. Leur assurer un repos éternel (même si à l’échelle du Temps, c’est impossible) fait partie d’un nécessaire deuil. Une pratique qui semble indispensable à l’humanité (tout comme l’idée qu’il existe une existence après la mort pour effacer le caractère définitif de cette dernière). Et puis, il est impossible de ne pas se dire qu’il s’agit de restes d’une vie. De personnes qui ont aimé ou pleuré. Qui ont été aimées, adulées ou détestées. Qui ont connu des coups de cœur ou des coups de gueule...

 

À quelques pas de là se trouve le cimetière Saint-Georges. Louis-Antoine Lasifoniere raconte qu’il y a bien des caveaux qui sont pillés ici. Mais moins qu’au cimetière de l’Ouest. Il est l’homme à tout faire des morts, payé par les vivants. Il porte les arrosoirs d’eau, nettoie les tombes sur commande et fait de petits travaux d’entretien. Il n’a pas peur de cet univers qui titille l’imaginaire d’autres personnes, ne craint ni les fantômes ni les move zer :«Je suis enn nam nouri. Mo enn dimunn serye. Je ne fais rien de malhonnête.» Et c’est ça qui le protège, assure-t-il. Au cimetière de Bois-Marchand, un homme employé par les autorités, explique qu’ici il n’y a pas ce genre de vols (même si avant c’était le cas), mais que les problèmes existent : des gens qui viennent se droguer dans le cimetière, des histoires de sorcellerie, entre autres… 

 

«Un travail comme un autre»

 

À Trou-d’Eau-Douce, pas de cas de«profanation» non plus. Ou du moins pas récemment : «Avant c’était le cas, quand il y avait beaucoup de tombes kuma dir bann ber feray», explique Subash Matadeen, fossoyeur depuis 13 ans, qui se rappelle la vague de vols du début des années 2000 où les collecteurs de vye feray ne reculaient devant rien (ou alors pas grand-chose). En ce début de matinée, il empile les feuilles de badamiers et y met le feu. L’endroit est pris dans un halo de fumée où percent quelques rayons de soleil qui trouent les feuilles de ces arbres, nombreux dans cet espace ombragée. Le silence est ici teinté d’autre chose. On y entend même chanter des oiseaux. Paisible. 

 

Pour Subash Matadeen, travailler dans un cimetière n’a rien de plus banal : «C’est un travail comme un autre.» Avec ses collègues, ils remplissent leurs tâches quotidiennes dans une bonne ambiance. Et même quand vient le soir, pour les enterrements de musulmans, il ne ressent pas d’appréhension : «Per dimunn mor ? Bizin per dimunn vivan wi.» Des choses, il en a vu après toutes ces années ici ! Des«treter» qui font «malang» dans le cimetière et qui «kuyonn dimunn». Poupées poignardées, photos collées avec du miel et mises dans un sac en plastique et, plus récemment, 24 couteaux placés dans le cimetière : «Je les ai pris et je les utilise chez moi. Je ne crois pas en la sorcellerie.» Pour son collègue, Keshwa Bajan, même constat : ce sont les humains qui viennent troubler la quiétude des lieux. Lui aussi a des choses à raconter. «Des enfants de mères différentes se battant sur le corps de leur père au moment de la mise en terre.» Des histoires qu’il vaut mieux parfois taire. 

 

Kevin Jhumun est le plus jeune de la bande de trois. Il a commencé ce métier il y a six mois : «Je n’avais pas le choix. Je n’avais pas de boulot.» Et puis, ajoute-t-il, un brin philosophe : «Si ena enn kitsoz pa kapav sove, se la mor.» D’ailleurs, il aime bien le silence de cet endroit. Les résidents de son lieu de travail ne sont pas très causants.… 

 


 

Le lord-maire, Daniel Laurent : «Une enquête est en cours»

 

Il est choqué par ce qui se passe au cimetière de l’Ouest. Le lord-maire Daniel Laurent dit suivre la situation de près :«Un de nos inspecteurs a déjà fait un état des lieux et une déposition a été faite à la police.  Nous laissons celle-ci faire son travail. Une enquête est en cours.» Il est donc, pour l’instant, impossible d’agir physiquement sur les caveaux. Néanmoins dès que ce sera possible, le lord-maire assure que tout sera fait pour «remettre les os à leur place». C’est ce qui a été décidé lors de la réunion de la Commission de la Santé de la mairie, vendredi. Au niveau de la sécurité, Daniel Laurent nous indique que la police a augmenté les patrouilles dans les environs des cimetières, que les inspecteurs font des «rounds» plus régulièrement durant la journée et que  les gardiens du soir ont été prévenus.