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Grève au Jardin de la Compagnie | Réfugiés de Berguitta : ils ont faim… d’un logement

Marie-Noëlle Roussety et son fils Alexandre Vente.

Il y a eu des happy endings. Mais ceux qui restent n’ont pas encore retrouvé le sourire après l’épreuve, ou obtenu la clé après la galère. Alors, le combat continue pour un logement décent.

Dix-huit ans, le cœur vaillant. Le bonnet sur la tête, frêle silhouette sous un molleton. Alexandre Vente se repose sur un matelas posé sur des cartons au Jardin de la Compagnie où il s’affame depuis plusieurs jours. Au-dessus de sa tête, une pancarte où il est inscrit : Ni sato, ni kado. Dans l’air, les bruits de circulation et la mélodie agressive du vent qui fait gonfler les bâches de protection, installées pour apporter un minimum de confort aux réfugiés de la pluie, ceux qui vivaient depuis janvier au centre social de Saint-Malo. Si certaines de ces familles ont eu les clés de leur maison tant espérée (voir hors-texte), d’autres attendent toujours, avec ou sans espoir, de pouvoir prendre possession d’une habitation sociale.

 

En début de semaine, elles ont été «jetées dehors», disent-elles, par les autorités et ont trouvé refuge au coin vert emblématique de la capitale. À Bambous également, ceux qui vivaient dans le social welfare center de la localité ont dû retourner dans leur frêle maison abîmée par les intempéries et l’abandon (voir plus loin).

 

Ce vendredi 20 juillet, cela fait trois jours qu’Alexandre s’affame (aujourd’hui, dimanche 22 juillet, ça fera cinq jours). Le samedi 21 juillet, Désiré Dharcinis a également décidé de ne plus s’alimenter (voir plus bas). Avant cette journée de janvier, où les averses de Berguitta ont tout emporté chez lui, Alexandre vivait sa vie de jeune, ne s’inquiétait pas de son léger strabisme, suivait des cours en hôtellerie, n’était pas très doué il le sait, mais il tras trase en prenant des petits jobs. «Je voulais devenir serveur ou barman. Mais aujourd’hui, je ne sais plus», confie celui qui a fait ses années primaires à l’école Serge Coutet et secondaires à la SSS de Port-Louis North.

 

La pluie a pris ses rêves mais a laissé un sillon de frustrations dans son âme. Une lueur qui a nourri un désir qui l’a poussé à prendre la décision de ne plus se nourrir. À 18 ans, on peut s’engager au prix de sa vie, avec une certaine impétuosité. À 18 ans, on ne mesure pas, sûrement, tous les risques, tous les enjeux. Pourtant, Alexandre est là. Et il sait pourquoi. «Nou pena enn twa. Monn rant ladan mo pou kontigne ziska mo gagn enn lakaz. Pena swa», dit-il, la voix forte malgré les crampes qu’il commence à ressentir.

 

La maison d’avant a été emportée. La vie, aussi : «Notre propriétaire ne nous laisse plus rester dans la maison que nous louions, c’est trop dangereux. Après les pluies, nous sommes retournés là-bas, tout était gâté, nous avions tout perdu.» Quand il dit «nous», il parle de lui et de sa mère Marie-Noëlle Roussety qui le regarde avec fierté. «Au début, j’ai été choquée quand il m’a parlé de sa décision. Me fode krwar linn trouv kouraz-la an li.» Son fils, elle ne va pas le décourager. Au contraire : «Linn anvi gagn enn lakaz. Linn konpran ki avan mo ferm mo lizie, mo bizin enn lakaz. Mo ankouraz li.»

 

La peur de perdre son «ti dernie» ne lui étreint pas le cœur. Elle a confiance : «Bondie la pou ed nou.» Et à force d’attendre – 15 ans qu’elle est sur la liste pour obtenir une maison, affirme-t-elle –, elle se dit que les voies «normales» ne fonctionnent pas : «Il faut bien essayer quelque chose. Nous, nous acceptons de payer. Mais qu’on nous donne notre chance. Pa kapav res san lakaz mem», lance celle qui est garde-malade.

 

Fatigue et désespoir

 

Stéphanie Hall le pense aussi. Avant que sa vie ne prenne un tour inattendu, cette journée de fin janvier, où la pluie s’est engouffrée de partout dans sa maison et où elle a craint pour sa sécurité et celle de ses enfants, son métier, c’était de faire des tresses. De faire naître de la beauté du bout de ses doigts. Mais aujourd’hui, la fatigue et le désespoir ont enlevé la lueur dans ses yeux. Les avenues sans issue peuvent provoquer ça : à un moment, on n’en peut plus de se battre.

 

Avant, elle louait une maison pour pas grand-chose mais c’était son chez-elle. Et il a été détruit après le cyclone : «Le propriétaire a dit qu’il ne prendrait pas le risque de nous laisser vivre là.» Elle n’a donc plus les moyens de louer un autre logement ; ce n’est pas aussi facile qu’on le pense de retrouver une case en tôle, au confort sommaire. Alors, elle a échoué au Jardin. En désespoir de cause : «Il ne faut pas croire qu’on est là parce qu’on le veut. Nous avons subi une catastrophe naturelle et on nous traite comme des roder bout. Fode vremem nou pena lakaz pou ki nou viv la.»

 

Allongée sur un matelas, à côté d’Alexandre, elle répond au téléphone, attend de passer les jours et les nuits : «Je n’ai nulle part où aller.» Ses deux enfants – âgés de 2 ans et 9 ans – sont chez son frère. Comme les autres familles, elle a dû trouver une solution quand elle a compris que les agents de la CDU allaient débarquer en début de semaine. Depuis 13 ans, elle est inscrite «lor la lis» afin d’obtenir une maison. Mais sa situation – elle est en instance de divorce – rend les choses difficiles, explique-t-elle. Et elle attend un miracle.

 

Tout comme Désiré Dharcinis qui a commencé une grève de la faim hier, samedi 21 juillet : «C’est un combat pour moi. Mo pena plas pou mo ale.» Il sait que, pour lui, les chances sont minimes de l’obtenir maintenant mais il n’abandonnera pas. Il ne s’est inscrit que cette année, sur la fameuse liste. Avant, il n’en voyait pas l’utilité. Il avait une petite habitation de rien. Mais les pluies violentes ont tout balayé. Ce manev mason se débrouille depuis : après le centre de Saint-Malo, il a découvert les nuits au Jardin de la Compagnie et la possibilité de squatter le canapé d’un ami : «Je ne peux rien faire de plus.» Une maison ou la mort : dans sa voix, la motivation est quand même vacillante. Lui est un homme mûr. Contrairement à Alexandre, il doit comprendre l’enjeu du combat imposé à son corps.

 

Parce que, dans une grève de la faim, un cœur vaillant ne suffit pas toujours.

 

Les propos d’Alain Wong provoquent la colère

 

Le ministre de l’Intégration sociale n’a visiblement pas très bien fait passer son message. Lors d’une fonction, Alain Wong s’est demandé si l’Évêché serait d’accord si les sinistrés venaient dormir dans les églises : «Ena dimounn pe dir ki bann legliz, se bann bon shelter. Met de ban legliz pou kapav dormi laba.» Ces propos ont provoqué une vague d’indignation. Notamment chez les réfugiés de Saint-Malo qui ont demandé sa démission. Lors d’un point de presse hier, samedi 21 juillet, le PMSD – son ancien parti – a également réclamé la démission d’Alain Wong. Paul Bérenger, également lors d’un point de presse, a qualifié ces propos d’inacceptables. Pour lui, le ministre de l’Intégration sociale est un «clown». Le principal concerné estime que l’objectif, aujourd’hui, est de ne pas faire de politique concernant la pauvreté et parle de lutte nationale, tout en affirmant avoir rencontré le cardinal Piat pour discuter de la question.

 

Douglas Baya : «Je ne peux faire la grève indéfiniment»

 

Le président du Mouvement Zenfan Baie-du-Tombeau est à Quatre-Cocos, ce samedi matin. Il donne un coup de main, dit-il, à ceux qui ont obtenu leur maison, dont celle qu’il décrit désormais comme son ex-compagne : «Moi, je n’ai pas besoin de maison. J’aide simplement.» Il pleut et il faut faire vite : «Sinon, leurs affaires vont s’abîmer.» Néanmoins, Douglas Baya est de tout cœur avec ceux qui restent au Jardin de la Compagnie : «Je passerai les voir ce soir.» Après avoir entamé deux grèves de la faim en soutien aux sinistrés, explique-t-il, il a décidé de s’arrêter : «Je ne peux faire la grève de la faim indéfiniment. Je n’ai aucune idée combien de temps les autres dossiers vont prendre.» Il parle du dossier de la mère d’Alexandre. Et de celui de Stéphanie Hall qui est en souffrance dans l’attente d’un papier de divorce. Mais aussi de ceux de ces autres individus qui ne répondent pas aux critères : «Mais je ne les abandonne pas. D’ailleurs, je vais organiser une série de rencontres avec les autorités afin que ces personnes puissent être logées contre un loyer. Je continue les démarches. Il faut un peu de patience. Le manager de la NHDC a bien précisé que personne ne va passer sur la tête des autres.» Douglas Baya tient à remercier les autorités et le personnel de la NHDC pour leur soutien ces derniers mois.

 

L’état d’Alexandre inquiète

 

«Linn tombe, li bien feb.» En ce samedi 21 juillet, Stéphanie Hall donne les dernières nouvelles du jeune Alexandre qui entamait, hier, son quatrième jour de grève. En se réveillant, ce matin-là, il a été pris de faiblesses. Et ses amis du centre s’inquiètent pour lui.

 

Grève de la faim, larmes, colères et maisons obtenues

 

Le bruit courrait. Vite. Et dès vendredi (13 juillet) soir, les réfugiés de Saint-Malo sentaient quelque chose venir. D’ailleurs, une partie d’entre eux avaient rallié le Jardin de la Compagnie, ce soir-là, pour entamer une grève de la faim afin de protester contre leur expulsion du centre. Douglas Baya, président du Mouvement Zenfan Baie-du-Tombeau, et Rajespedee Candasamy – qui a été hospitalisée au courant de la semaine – s’étaient lancés dans une grève de la faim. Mais, malgré leur mouvement de protestation, quelques jours plus tard, c’est sous forte escorte policière que les réfugiés ont été expulsés du centre.

 

Larmes, colères, désespoir. Les photos et les vidéos de ces moments difficiles ont fait le tour de la Toile, cette semaine. L’angoisse de ce mardi 17 juillet, Stéphanie Hall ne l’a pas oubliée. Ni l’impression d’être impuissante face à cette décision injuste. «Zot mem inn met nou laba, zot mem inn tir nou», confie-t-elle en parlant des policiers et dénonçant le fait qu’ils étaient armés. La plupart des sinistrés n’ayant nulle part où aller, ils ont rejoint le Jardin de la Compagnie avant de trouver des solutions alternatives – mais tous n’ont pas eu cette chance. Notre interlocutrice passe ses nuits au Jardin. Mais heureusement, ses enfants sont chez leur oncle : «Nous savions qu’ils allaient venir pou ramas nou bann zanfan. Alor, nounn prefer avoy zot kot fami.»

 

À Bambous et Tranquebar, aussi. Ce mardi-là, les sinistrés sont également sommés de partir. À Bambous, Louis Ulric Maleco regrette que les officiers n’aient pas eu de respect pour les réfugiés. Leurs affaires ont été jetées sous la pluie : «Inn tret nou kouma zanimo.»

 

Maison chérie. Les familles Pasnin, Candasamy et Augustin ont obtenu une maison à Quatre-Cocos. La famille Sobha de Tranquebar, également. Quatre familles de Saint-Malo, elles, attendent toujours. Néanmoins, le directeur de la NHDC, Gilles L’Entêté, rappelle qu’elles ne pourront pas faire pression sur les autorités. Leur présence au Jardin de la Compagnie ou les grèves de la faim n’y feront rien : «Nous suivons toutes les procédures et cela, dans la légalité.» Les futurs propriétaires doivent être en mesure de payer un loyer, ajoute-t-il.

 

Eddy Joson : «Ils sont éligibles»

 

Il va à l’encontre des propos de Gilles L’Entêté, directeur de la NHDC. Pour Eddy Joson, travailleur social, les sinistrés qui sont encore au Jardin de la Compagnie doivent bénéficier d’une maison : «Ils sont des victimes d’un cyclone, donc ils sont forcément éligibles pour recevoir une maison.» Les questions de deposit (même si un sponsorship a déjà été trouvé par la NHDC), de repayment policy, entre autres, ne doivent pas être prises en considération pour l’allocation des maisons dans la situation actuelle, a-t-il estimé lors du point de presse organisé hier, samedi 21 juillet, au Jardin de la Compagnie. Les réfugiés restants se sont désormais réunis autour du nom Sinistrés de Baie-du-Tombeau.

 

À Bambous : en attendant la lumière

 

Les rayons du soleil s’infiltrent par le toit en tôle, parsemé de trous. Des points lumineux qui s’éteignent sur le sol, là où de la poussière de terre et des feuilles mortes ont trouvé un instant de répit. Il règne un air d’abandon dans la maison de Marie-Rose Lux. Depuis mardi, elle a dû rentrer dans cette habitation qui coule, dont les poutres menacent de céder. Dans cette maison qui sent l’oubli. Mais elle n’avait pas le choix (comme les réfugiés de Saint-Malo, elle et sa famille ont été sommées d’évacuer les lieux) : «Zot inn tir nou dan sant sosial.» Elle y passe les journées mais fuit les nuits trop venteuses à Cité La Ferme, en allant chez son frère : «C’est petit mais on ne peut rien y faire. Il faut bien se débrouiller.» Elle n’a pas passé six mois de sa vie dans un centre de refuge pour le plaisir, explique-t-elle. Elle savait très bien que cette maison n’était plus un abri. Bien au contraire.

 

Néanmoins, dit-elle, les officiers ont estimé qu’elle et ses deux enfants, adolescents, pouvaient y vivre. Alors que ni la National Empowerment Foundation ni la Sécurité sociale n’ont exprimé le souhait de l’aider à réparer. Mais Marie-Rose ne s’effondre pas. Un bruit court dans le quartier, aux ruelles de boue et de déchets, que, bientôt, les terrains et maisons de La Valette seront disponibles. Des lettres auraient déjà été reçues. Les démarches avaient déjà été enclenchées depuis plusieurs années. Marie-Rose espère qu’elles aboutiront finalement après tant d’espoirs contrariés. Mais en attendant, il faut survivre, courir chez le frère, craindre les jours de pluies et les nuits sans fin où le ciel est lourd de nuages.

 

Sarojeenee Palaniyandi, aussi, rêve de partir. Elle nous invite chez elle, nous montre sa petite maison cabossée et sombre où elle vit avec ses deux fils. L’habitation ne tient pas à grand-chose. Amalgame improbable de matériau, qui coule, qui ne protège pas du froid – et des menaces extérieures – et volonté affichée d’en faire un endroit confortable et propre. Partir pour ses fils, leur écrire une histoire plus sûre, en dur : «J’espère que je recevrai la lettre aussi. En attendant, mo pran kouraz.» Et elle multiplie les démarches. Tout comme Louis Ulric Maleco qui, depuis mardi, frappe à toutes les portes pour demander de l’aide. Sa femme Clara raconte : «Nounn fatige marse.» Pourtant, personne ne veut les entendre. «Nous avons besoin d’un peu d’aide pour consolider nos maisons si nous devons y vivre», confie Louis Ulric Maleco. Les matelas mouillés les soirs de pluies, la crainte d’averses destructrices et l’envie d’ailleurs animent cette famille. Mais pour l’instant, il faut faire avec : «Nous avons mis des prélarts. Mais avec le vent qu’il fait ici, ça ne va pas tenir longtemps.»

 

Le couple espère aussi que La Valette ne soit pas qu’un songe. Qu’un autre départ est possible. Alors, ils attendent la lumière…