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Catherine Boudet, politologue : «Après la partielle ce sera intéressant de voir comment le champ politique va se restructurer»

Catherine Boudet, politologue

Le gouvernement actuel a fêté ses trois ans à la tête du pays, le lundi 11 décembre 2017. Pour l’occasion, la politologue Catherine Boudet passe à la loupe le prime ministership de Pravind Jugnauth ainsi que les forces, les faiblesses et les priorités du régime en place.

Le gouvernement Lepep a connu plusieurs secousses et scandales depuis le 11 décembre 2014. Quel bilan faites-vous de ces trois dernières années ?

 

La promesse de l’Alliance Lepep de lutter contre la fraude et la corruption est en cours de réalisation, même si on peut questionner les méthodes utilisées. Il faut distinguer entre le gouvernement de Jugnauth père et celui de Jugnauth fils. Sous le gouvernement du père, le nettoyage s’est appliqué au clan concurrent. Il a surtout consisté en l’élimination des concurrents économiques et politiques, avec le démantèlement du groupe BAI et les charges policières contre Ramgoolam et Soornack, avec des méthodes douteuses qui s’apparentaient plus à une chasse aux sorcières qu’à du nettoyage.

 

Et qu’en est-il du prime ministership de Pravind Jugnauth ?

 

Le Premier ministre Pravind Jugnauth s’est vu contraint, au cours de ces derniers mois, de nettoyer dans ses propres rangs, en limogeant deux de ses ministres impliqués dans des affaires. On déplore toutefois que l’élimination des «brebis galeuses» soit sélective, limitée par des considérations de politique stratégique, et s’effectue sous la pression de l’opinion publique. Le nettoyage s’est aussi fait à travers l’introduction de nouvelles législations telles que l’Asset Recovery Act et le Good Governance and Integrity Reporting Act sous le prime ministership de Jugnauth père. Toutefois, la législation anti-corruption et la lutte contre la fraude resteront des passoires tant que leur champ d’application n’est pas étendu aux campagnes électorales et au secteur privé. La mise en place d’une nouvelle Financial Crime Commission et l’introduction d’une législation sur le financement des partis politiques sont donc très attendues pour pallier cette lacune. Quant à lutter contre le gaspillage des fonds publics, on ne peut pas dire que les membres du gouvernement, la présidente de la République et même les parlementaires donnent le bon exemple. Malgré l’engagement du Premier ministre à nettoyer les écuries d’Augias, certains continuent de profiter du système au maximum tant qu’ils le peuvent encore, rendant contre-productif l’effort gouvernemental et entretenant de mauvaises perceptions dans la population et à l’étranger. Par contre, l’introduction du salaire minimum de Rs 8 000 est une grande avancée structurelle qui s’inscrit dans le programme de l’Alliance Lepep en faveur d’un développement à visage humain et de chances égales pour tous.

 

Quelles sont, selon vous, les forces et les faiblesses du régime en place ?

 

Le gouvernement de Pravind Jugnauth s’est aligné, au départ, avec un handicap de taille. D’abord, le fait que sa nomination en tant que Premier ministre a été rendue possible par des loopholes dans la Constitution lui a occasionné un déficit de légitimité. Ensuite, il paye les pots cassés de la politique de son père qui avait laissé en stand-by le développement économique et toléré la prolifération des brebis galeuses au sein de la majorité. Il traîne aussi un certain nombre de casseroles héritées du régime Ramgoolam, dont les dossiers du Metro Express et de Betamax, sur lesquels il a les mains liées par des engagements de ses prédécesseurs et qui plombent maintenant son action gouvernementale. La principale force de Pravind Jugnauth en tant que Premier ministre, c’est son style de leadership plus consensuel et novateur que celui de ses deux prédécesseurs, ainsi que sa volonté sincère d’œuvrer en faveur de la population. Il s’est montré plus à l’écoute de l’opinion publique et moins arrogant que ses aînés.

Quelles devraient être les priorités du gouvernement pour les deux ans à venir ?

 

À mon avis, parmi les priorités les plus graves et urgentes qui handicaperont lourdement l’avenir du développement humain dans l’île si elles ne sont pas prises en compte rapidement, il y a :

- la situation du déficit public, qui ne sera pas réglé par la mendicité auprès des puissances régionales amies

- les risques épidémiologiques internes en raison des conditions sanitaires de plus en plus déplorables dans le pays

- le problème de l’insécurité alimentaire en raison de la dépendance aux produits alimentaires d’importation

- le problème de l’insuffisance des stocks stratégiques d’hydrocarbure et de la politique d’approvisionnement en hydrocarbures

- la préservation de l’écosystème parce qu’actuellement Maurice se dirige vers un écocide, soit une destruction irréversible de son environnement.

 

Un bon exemple de cet écocide est l’abattage de centaines d’arbres sur le tracé du Metro Express et la confiscation des plages pour les promoteurs.

 

Qu’est-ce que les résultats de la partielle d’aujourd’hui peuvent provoquer sur l’échiquier politique ?

 

Les résultats de la partielle vont donner un goût de pas assez aux perdants et un goût de davantage au gagnant. Ce qui ne va pas manquer de faire redoubler d’efforts tout ce beau monde en vue des élections générales que d’ailleurs beaucoup veulent «anticipées». Les résultats de la partielle vont donc fatalement marquer le début des grandes manœuvres en vue des alliances nécessaires pour s’aligner aux élections générales. Maintenant, ce sera intéressant de voir comment le champ politique va se restructurer et, surtout, comment les arguments électoraux vont se déployer, puisqu’il va y avoir un hiatus entre les discours des candidats sur la nécessaire moralisation de la vie politique et l’immoralité des pratiques d’alliances qui sont inévitables.

 

Et pour ses trois ans au pouvoir, que souhaitez-vous au régime en place ?

 

Ce que je souhaite au gouvernement, mais aussi à l’opposition et aux citoyens, c’est-à-dire à la communauté politique dans son ensemble, c’est de trouver la voie vers un véritable renouvellement des pratiques politiques. Et si on n’est pas hypocrite, on se rendra compte que cela passe par un toilettage de la Constitution, dont l’esprit est devenu inadapté à la nation moderne. Il est grand temps de se rendre compte que gouvernement, opposition et citoyens sont dans le même bateau, un bateau qui est en train de pencher dangereusement, et que si le bateau coule, tout le monde coulera ensemble. Ce que je souhaite à l’ensemble de la communauté politique, c’est donc d’enlever leurs œillères politiciennes et d’arrêter un moment de se livrer à des stratégies égoïstes de conquête et de maintien au pouvoir. Il serait grand temps de construire ensemble des fondations saines pour l’avenir politique de Maurice, en jetant les bases d’une réforme constitutionnelle concertée au niveau national, par l’organisation de conférences constitutionnelles.