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Children’s Bill | Emilie Carosin, psychologue : «Est-ce que nos parlementaires entendront nos voix ?»

Alors que le mariage à 16 ans et l’âge fixé pour la responsabilité pénale, deux aspects du Children’s Bill, font débat, nous avons cherché l’avis d’Emilie Carosin, psychologue qui a fait sa thèse sur les adolescents mauriciens venant de milieux défavorisés…

Après la mise en ligne du Children’s Bill, qui était très attendu, plusieurs organismes contestent le fait  que le mariage à 16 ans ait été maintenu. Quel est votre avis de professionnelle sur le sujet ?

 

Mon avis personnel se fonde sur les recherches conduites dans le monde qui montrent les effets néfastes du mariage des enfants sur leur développement physique, psychologique et social. Et ce qu’elles disent sont plutôt évidentes : on se rappelle tous nos années en tant qu’adolescent, quand on découvre les grands concepts, et qu’on commence à comprendre le sens du monde; on y cherche notre place, on apprivoise tout juste notre corps, notre sexualité, on hésite encore à s’affirmer, on évalue mal les risques, les conséquences de nos décisions. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’on se préoccupe des fréquentations de nos ados, de leur consommation d’alcool et de drogue mais aussi de leurs études et de leur projet professionnel. Quand on pense à cela, je trouve tout à fait naturel que les Mauriciens soient contre le mariage avant 18 ans. Est-ce que nos parlementaires entendront nos voix, et demanderons l’annulation de l’article145 du Code civil pour interdire tout mariage ou concubinage avant 18 ans ? Est-ce qu’ils veilleront au respect du droit des enfants ? Ce sont des questions qui restent en suspens. Mais il faut rappeler que la vie et le bien-être de nos enfants en dépendent. Ces mesures sont essentielles pour protéger les filles en particulier : réduire le taux de mortalité ainsi que les difficultés physiques, psychologiques et sociales que peuvent entraîner une vie conjugale et des grossesses précoces, c’est l’OMS qui le dit ! Toutes les conséquences du mariage des enfants ont été mises en évidence dans le rapport que nous, les professionnelles en psychologie et éducation, notament Natasha Chakowa, Julie Curé, Emilie Duval, Teresa Lim Kong, Amélie Saulnier, Mélanie Vigier de Latour-Bérenger et moi-même, avons soumis à la ministre de l’Egalité des genres, du Développement de l’enfant et du Bien-Être de la famille l’année dernière et de nouveau cette année. Il est téléchargeable sur la page Facebook du KDZM pour les personnes qui souhaiteraient consulter le document dans son intégralité et les références scientifiques utilisées.

 

L’âge légal du mariage, qui demeure à 16 ans, va à l’encontre de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’Enfant. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela veut dire ?

 

Pour les chercheurs De Groot, Yiryele Kuuyem et Palermo (2018) «le mariage des enfants est une violation des droits humains et a des effets délétères sur les enfants - majoritairement des filles - qui sont mariés et leurs futurs enfants en créant un cycle intergénérationnel de pauvreté».

 

L’île Maurice est consciente de cela et a ratifié plusieurs conventions insistant sur l’intérêt de l’enfant, le respect de ses droits, de sa santé et l’interdiction du mariage de toute personne de moins de 18 ans. La CEDAW : Convention on the Elimination of All forms of Discrimination Against Women : ratifiée par Maurice en juillet 1984 recommandant que l’âge légal minimum du mariage est de 18 ans ; la Convention des droits de l’enfant ratifiée par Maurice en juillet 1990 dont l’article 24 prône le droit au meilleur état de santé de l’enfant ; la Charte africaine signée et ratifiée depuis 1982, sans réserve, met aussi l’emphase sur l’interdiction du mariage et des fiançailles des enfants de toute personne de moins de 18 ans et plus récemment l’adhésion aux objectifs de développement durables dont les cibles 5, 10 et 16 visent l’élimination de toutes formes de discriminations et de violences envers les enfants dont le mariage des enfants. Toutes ces conventions sont centrées sur l’intérêt supérieur de l’enfant. L’État mauricien est tenu de les respecter ! Mais ça fait onze ans que Maurice reste le seul pays de la SADC à ne pas mettre en œuvre un projet de loi pour empêcher le mariage des personnes de moins de 18 ans et protéger les enfants qui sont déjà en mariage, et j’ajoute les situations de concubinages.

Une nouvelle mesure : l’interdiction de forcer un enfant de moins de 18 ans à se marier, est considérée par certains comme un changement positif dans la législation. Ainsi, un jeune a la possibilité de rapporter à la police s’il a été forcé à s’engager dans un mariage. Qu’en pensez-vous ?

 

Une jeune fille qui se marie est, de ce fait, dans une situation précaire et vulnérable. Il y a peu de chances qu’elle soit consciente de ses droits, des recours dont elle dispose et encore moins qu’elle trouve la force d’aller à la police dénoncer ses parents. En plus, nous savons tous combien l’honneur familial est important à Maurice, il est très peu probable qu’une jeune trahisse l’honneur de ses parents en allant les dénoncer.

 

Constatez-vous qu’il y a une volonté politique de changer ce que beaucoup considèrent comme une «anomalie» dans la loi ?

 

Oui c’est une anomalie. Plusieurs lois sont en contradiction sans compter les traités ratifiés par les gouvernements successifs, mais j’ai l’impression qu’il y a un déni des effets que cela peut avoir sur le développement de nos enfants, en particulier les plus vulnérables, et sur notre responsabilité à anticiper et à empêcher le mariage avant 18 ans pour que chaque enfant, peu importe son sexe, sa classe sociale puisse avoir la chance de s’épanouir dans une société juste et respectueuse de ses droits. Autoriser le mariage des enfants, c’est être complice de la reproduction des inégalités et de la violence envers les femmes. Cela revient à dire que «nous sommes d’accord que certaines filles se marient jeunes et ne méritent pas de s’épanouir au maximum de leurs capacités - d’apprendre, d’étudier, de faire un travail qui leur plaît, de fonder la famille qu’elles souhaitent -», c’est dire «nous sommes d’accord que ces filles soient maintenues dans une position de dépendance où elles risquent même leurs vies et celles de leurs futurs enfants». Ces propos vont à l’encontre des valeurs de mon pays...

 

L’âge fixé pour la responsabilité pénale suscite aussi de vives interrogations. Ainsi,  l’article 43 du Children’s Bill stipule qu’un enfant de moins de 12 ans ne peut être tenu pénalement responsable. Cela veut dire qu’à partir de 12 ans, un enfant pourrait non seulement être tenu responsable mais il pourrait être incarcéré quand il commet un délit sanctionné par une peine de prison. Votre réaction…

 

Une incarcération à un si jeune âge a des conséquences très graves pour le jeune, mais aussi pour notre société. On voit mal comment un enfant, qui a vécu toute son adolescence en prison pourra s’intégrer dans la société. De plus, d’un point de vue purement neurologique, nous savons aujourd’hui que le cerveau de l’enfant est immature à cet âge. C’est pourquoi le Pr Anthony Pillay, expert en neurosciences à l’Université du KwaZulu-Natal, suggère que l’âge de la responsabilité criminelle soit de 16 ans. Il explique que la responsabilité criminelle fixée avant cet âge comporte des risques importants pour l’identité et la personnalité de l’enfant qui sera exclu de la société, du monde éducatif, si important pour trouver sa voie professionnelle ou ne serait-ce qu’une place dans la société. Au lieu de protéger l’enfant et de le préparer à une vie meilleure, l’enfant qui est incarcéré si jeune, est confronté à un contexte de vie violent tant sur le plan physique, que psychologique et social qui accentue les risques de comportement agressif et antisocial.

 

Bio express

 

Docteure en Psychologie et en Sciences de l’Éducation, chercheuse à l’Université de Mons en Belgique et consultante pour les ONG mauriciennes, Emilie Carosin a réalisé sa thèse sur les adolescents mauriciens venant de milieux défavorisés et travaille depuis plus de dix ans avec des acteurs de terrain.

 


 

Réaction de Fazila Daureeawoo, ministre de l’Egalité des genres, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille

 

Sollicitée pour une réaction autour de ces deux aspects du Children’s Bill qui font débat, Fazila Daureeawoo, nous a fait la déclaration suivante.

 

Sur le mariage à 16 ans : «Il faut comprendre que selon le Code civil mauricien, l’âge du mariage est déjà établi à 18 ans. Toutefois, il y a une dérogation selon laquelle il est possible de se marier à partir de 16 ans avec le consentement des parents, ou à défaut des parents, le consentement du juge en chambre. Lorsqu’on parle de consentement des parents, nous parlons forcément du besoin d’assumer leurs responsabilités parentales. Je dois souligner, qu’avec le Children’s Bill, il y a une clause selon laquelle c’est une offense de forcer un jeune de moins de 18 ans à se marier. Cela protège les enfants de tout mariage forcé. Il faut comprendre que la dérogation du mariage à 16 ans existe aussi parce que l’âge du consentement sexuel est à 16 ans sous le Code pénal. Cela se réconcilie aussi avec le fait que l’éducation est obligatoire jusqu’à 16 ans à Maurice.»

 

L’âge fixé pour la responsabilité pénale : «Quant à l’âge de responsabilité criminelle, sous le Code pénal, on peut actuellement poursuivre et condamner un mineur de moins de 14 ans si l’on considère qu’il a agi avec discernement. Il n’y a pas d’âge spécifique pour la responsabilité criminelle. Par exemple, un jeune peut être poursuivi à l’âge de 9 ou 10 ans s’il a agi avec discernement. Donc pour mieux protéger un enfant, il fallait introduire un âge de responsabilité criminelle. Mais, cela ne veut pas dire qu’un enfant de plus de 12 ans sera automatiquement poursuivi. Si l’enfant est âgé entre 12 et 14 ans, le Directeur des poursuites publiques (DPP) aura une discrétion. Il va prendre en considération plusieurs facteurs, dont l’âge de l’enfant, son niveau d’intelligence, son niveau d’éducation, sa maturité et ses circonstances domestiques. Même au-delà de 14 ans, le DPP gardera toujours la discrétion de poursuivre ou pas.»