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Malenn Oodiah : «Nous pouvons et nous devons réinventer notre modèle de société»

«Il existe de nombreuses initiatives citoyennes avec des jeunes qui sont de réelles lueurs d’espoir pour construire demain...»

Le social, c’est sa passion, son dada. Ce n’est pas un hasard s'il multiplie les initiatives allant dans ce sens, tout en continuant d'observer attentivement notre société. Malenn Oodiah nous livre ainsi une analyse pointue sur l’état de notre pays et du monde depuis que la Covid s’est invitée dans nos vies, et propose des solutions pour tirer le meilleur de tout cela. Car malgré tout, il faut y croire et «constamment entretenir la flamme de l'espoir».

Comment je vis ces temps challenging depuis 2020...

 

Équilibre. Oui, les temps sont challenging. Je les vis bien, en cherchant un équilibre dans la gestion de mon budget temps pour faire des choses importantes, intéressantes – voire passionnantes –, seul et/ou avec d’autres. J’ai aussi, pendant les deux confinements, communiqué et échangé avec de nombreuses personnes – proches, amis, connaissances – à travers Facebook et WhatsApp. J’ai pris le temps de développer et de planifier les différents volets de Lakaz Flanbwayan, tout en organisant différentes activités – table ronde, forum-débat, expositions, portes ouvertes. J’aime lire et je profite du temps pour lire de nouveaux livres et en relire d’autres. Et je me tiens au courant de l’actualité locale et internationale. En clair, j’essaie de vivre pleinement en composant avec les contraintes et les opportunités.

 

Mon regard sur la situation à Maurice et ailleurs...

 

Possibilité. N’oublions pas l’écosystème global et ses défis : le réchauffement climatique, la révolution numérique et les mutations profondes et structurelles de la géopolitique. Au niveau mondial, le post-Covid-19 aurait pu être une occasion pour repenser le développement en tirant des leçons de la pandémie. Il y avait la possibilité de nouvelles orientations pour lutter contre les dérives d’une mondialisation complètement débridée. Mais malheureusement, les dynamiques dominantes ne vont pas dans ce sens.

 

L’angoisse. Notre écosystème national connaît, avec ses spécificités propres, le jeu de ces dynamiques comme d’autres sociétés à travers le monde. Nous avons vécu et vivons encore avec l’angoisse de la pandémie et la peur qu’elle provoque. Sur les réseaux sociaux, nous avons eu droit à une avalanche de fake news matinées de thèses complotistes antivax.

 

Tout-à-l’Ego. À Maurice, les autorités, au lieu d’initier une mobilisation nationale en faisant appel à toutes les intelligences et bonnes volontés pour une cause nationale, a opté pour des raisons politiques bassement partisanes pour le «seul contre tous». Le pays connaît des dérives autocratiques et un «asshole governance»(1). Et en face, l’opposition est fracturée et la société civile fragmentée. Le tout-à-l’ego règne, donnant parfois dans le tout-à-l’égout. L’opposition politique est impuissante, dans l’incapacité de dégager une offre politique crédible, provoquant ainsi le désarroi de la population. Visiblement, les forces socio-politiques prônant le changement n’arrivent pas à opérer le changement de logiciel que la présente situation exige.

 

Ce que nous révèle cette crise sur nous-mêmes et le monde dans lequel nous vivons...

 

Crise du sens. La crise mondiale est sociétale, avec comme enjeux la civilisation et la démocratie. Elle vient confirmer la crise du sens que connaissaient déjà de nombreuses sociétés, dont la nôtre, avant la Covid-19. L’écosystème de la communication avec les réseaux sociaux – les fake news, les communautés virtuelles – est le terrain par excellence où s’expriment la colère, l’indignation, la haine et la défiance envers les élites politiques et scientifiques, l’attaque contre la rationalité, ainsi que les variantes du populisme. C’est très dangereux et on ne sait pas comment le combattre.

 

Accélérateur. La pandémie avait le potentiel d’être un accélérateur de dynamiques porteuses d’espoir, axées sur la solidarité, une humanité retrouvée, l’innovation créatrice dans de nombreux domaines. Il y a une prise de conscience de l’essentiel, de l’importance de la nature et de l’environnement, et du défi du réchauffement climatique, de l’importance d’un développement au service de l’humain. Le tout allant dans un nouveau sens de la vie et de la vie en société. Mais les dynamiques mortifères d’un système au seul service de l’argent diable ont encore le dessus. Actuellement, le défi consiste à trouver des réponses à la montée des forces populistes, voire néofascistes, pour un renouveau politique.

 

Comment donner un nouveau souffle au pays/réinventer notre modèle de société...

 

Mainmise. Eu égard aux tendances actuelles, ça va être très difficile. Ceci dit, oui on peut et on doit donner un nouveau souffle, sinon ce sera une descente aux enfers dont nous n’allons pas nous remettre. Le pouvoir politique en place n’a comme seul agenda que de développer et d'agrandir l’empire orange avec des méthodes mafieuses – népotisme, money politics, la mainmise sur et le contrôle des institutions stratégiques vitales au bon fonctionnement d’une société démocratique.

 

Orientations. Oui, on peut réinventer et on doit réinventer. D’abord, il s’agit de faire le bilan sans complaisance de la situation actuelle pour réfléchir aux orientations possibles et faire les choix appropriés pour le développement à venir. Globalement, le monde et le pays ont besoin d’un développement vert, humain et moderne qui réponde aux exigences et urgences du moment et de l’avenir. Ces urgences et exigences sont le réchauffement climatique et toutes ses implications, la précarité grandissante dans le monde, et les inégalités. Ce sont autant de bombes à retardement. Or, pour les autorités politiques et les principaux acteurs économiques à Maurice, c’est business-as-usual alors que le bon sens plaide pour qu’on repense le modèle de développement qui a fait son temps.

 

Déficit. Du côté des oppositions – partis et organisations –, elles pèchent par un déficit d’intelligence pour comprendre et analyser les nouvelles exigences. Elles restent dans l’ensemble encore engluées dans des postures faciles faites de commentaires-slogans qui manquent de profondeur, et il n’y a pas une démarche véritablement constructive.

 

Repenser. Concrètement, il faut inventer une nouvelle grille d’analyse des faits sociaux avec un nouveau logiciel. Les acteurs – politiques, économiques, sociaux, ONG et médias – doivent se repenser et intégrer les éléments de l’écosystème global dans lequel évolue notre société : la mondialisation, la révolution numérique, les mutations géopolitiques, l’avenir du travail, pour ne citer que ceux-là. Ensuite, fort de cette nouvelle grille d’analyse, il convient d’examiner les faits sociaux que sont les incertitudes, les peurs, la défiance, pour trouver des réponses adéquates dans une démarche collective et collaborative.

 

Les lueurs d’espoir que nous voyons briller...

 

Construire. Il y a un fait nouveau qui est la quête du bonheur individuel, avec toutefois une grosse interrogation sur le destin collectif. Il existe de nombreuses initiatives citoyennes avec des jeunes dans de nombreux domaines – socio-économique, environnemental, artistique, communautaire – qui sont de réelles lueurs d’espoir pour construire demain. Des synergies se mettent en place et demandent à être amplifiées à travers un dialogue fondé sur l’écoute et la raison communicative. Oui, ça va mal mais ça peut aller mieux et ces initiatives en font la démonstration concrète. Il faut constamment entretenir la flamme de l’espoir.

 

1) Aaron James, professeur de philosophie à l’Université de Californie, définit «asshole» comme suit dans son livre Assholes: A Theory : «A person counts as an asshole when, and only when, he systematically allows himself to enjoy special advantages in interpersonal relations out of an entrenched sense of entitlement that immunizes him against the complaints of other people.»

 


 

Mon actu du moment

 

Sociologue de formation, observateur et analyste social et politique, communicant de carrière – il a travaillé pendant longtemps comme responsable de la communication pour le Groupe Beachcomber –, féru d'écriture, de lecture, de photographie, de jardinage, Malenn Oodiah se consacre désormais pleinement à la Fondation Projet de Société qui a déjà concrétisé plusieurs initiatives, dont Lakaz Flanbwayan. Il est soutenu dans cette mission par une belle équipe, dont son épouse Adi Teelock (ils ont un fils, Milan, qui vit au Canada). Il nous en dit plus sur son actu du moment...

«Elle est bien remplie. C’est le temps du bilan avec l’année 2021 qui tire à sa fin dans moins de dix semaines. Je suis à fond avec l’équipe pour entamer une phase cruciale de la Fondation Projet de Société dans ses différentes déclinaisons, soit les analyses-réflexions pour alimenter les forums-débats pour l’année 2022 et les travaux – bâtiment et cour-jardin – à Lakaz Flanbwayan. Je dois trouver du temps pour me remettre sérieusement à maîtriser les outils de com sur la Toile, et commencer à travailler sur un nouveau logiciel pour mieux comprendre les nouveaux faits et dynamiques sociaux. Et continuer à réfléchir avec d’autres comment contribuer sur le plan des idées, de la réflexion-analyse concrète et des initiatives, à semer les graines d’une révolution culturelle tranquille pour construire demain et réaliser le rêve mauricien, forts de notre ADN à tous qu’est le vivre-ensemble.»