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Nishal Joyram : le citoyen derrière le gréviste

Ses proches le décrivent comme quelqu’un de très profond et qui a le goût des autres.

Il le précise souvent : sa lutte pour faire baisser le prix du carburant, c’est pour tous les Mauriciens. «Je ne suis pas là pour parler de moi, pour m’apitoyer sur mon sort. Je ne suis qu’un instrument au service d’une cause. Je suis là pour faire passer un message», nous déclarait, il y a peu, celui qui se retrouve sous le feu des projecteurs depuis deux semaines avec la grève de la faim dans laquelle il s’est lancé. Quelques proches nous racontent le frère, l’ami, l’enseignant et le citoyen qu’il est...

Dans sa voix, de l’émotion mais aussi de l’admiration. Difficile pour Vishwanee Shatee Joyram de ne pas être touchée en parlant de son frère Nishal, celui-là même qui fait la Une de l’actualité, depuis deux semaines, soit depuis qu’il a entamé une grève de la faim pour contester le prix élevé du carburant. Les jours passent et les Mauriciens sont de plus en plus nombreux  à lui rendre visite sur la place de la cathédrale Saint-Louis, à Port-Louis, où il a planté sa petite tente, pour l’encourager,   lui témoigner de la sympathie et le saluer pour son courage. De nombreuses initiatives ont été réalisées pour le soutenir, comme l’opération alim far, la marche dans les rues de la capitale le samedi 26 novembre pour dire que «les Mauriciens souffrent de cette situation» ou le candlelight du lundi 28 novembre. La vague solidaire qui s’est créée rend Vishwanee, quoique inquiète pour la santé de son frère, fière de sa force et de sa détermination mais aussi du mouvement qu’il a soulevé.

 

Elle l’épaule. Elle est à ses côtés, comme ce vendredi 2 décembre (dans la soirée), peu après le point de presse de son frère (pour informer sur la marche à suivre concernant sa bataille) qui, du jour au lendemain, s’est retrouvé sous le feu des projecteurs en donnant de sa personne pour faire avancer une cause dans laquelle il s’est jeté au nom, dit-il, de tous les Mauriciens. Elle le voit affaibli et dans l’incapacité de se déplacer, ayant dépassé plus de 15 jours sans se nourrir, mais a foi en lui. Comme tous ces Mauriciens qui le suivent depuis qu’il est au front pour mener cette bataille contre le gouvernement afin que le prix du carburant baisse.

 

Même si la situation concernant la santé de Nishal est préoccupante, sa sœur reconnaît bien là l’homme de conviction qu’il est, cet homme qu’elle a vu se construire au fil des années. Mais qui est donc le citoyen derrière le gréviste ? À cette question, Vishwanee accepte de nous raconter celui que certains appellent désormais le «soldat» ou encore qui le considèrent comme un porte-drapeau, en référence à la guerre qu’il livre au détriment de sa propre santé, et qui, de discours en discours ces derniers jours, a démontré qu’il connaît bien le dossier concernant le prix du carburant sur le marché international. «Nishal a 44 ans et il est le benjamin de la famille. Nous sommes à quatre enfants – trois filles et lui, le seul fils. Nous sommes originaires de Surinam, dans le sud de l’île, où notre père avait une petite boutique. Aujourd’hui, Nishal est enseignant de mathématiques et de physique au collège Medco de Cassis», nous confie la cadette de la famille. «Étant le seul garçon avec un écart d’âge important avec ses sœurs, il était le chouchou de la famille. Il a fait ses études primaires à l'école Gopeenath Cheetamun où son sourire et sa douceur ont tellement marqué sa prof, Mme Dowlut, devenue maîtresse d’école, que celle-ci a tenu à lui rendre visite à la Place de la Cathédrale pour lui donner sa bénédiction», ajoute Vishwanee, très fière en nous parlant de celui qu’elle décrit comme étant très humble.

 

«Un enfant rebelle»

 

«Nishal a fait ses études au collège du St- Esprit où il est connu comme discret, solidaire et bienveillant, pour reprendre les mots de Nad Sivaramen dans son article du 26 novembre. Il a poursuivi ses études supérieures à Maurice et au Canada. Pour moi, Nishal est un éternel étudiant. Il fait actuellement des études en droit. Il a également une connaissance profonde des livres sacrés, notamment les scripts hindous, la bible et le coran, qui le guide dans sa vie et ses actes, et d’où il puise sa force et exprime la profondeur de son âme», poursuit Vishwanee, en nous dévoilant des traits de caractère de son petit frère. «Malgré sa douceur, Nishal était un enfant un peu rebelle, avec des idées hors norme... Adulte, il est toujours ainsi. À l’adolescence, il est devenu végétarien et spirituel. Ce qui, à l'époque, causa pas mal d’agitation dans la famille. Plus tard, il a épousé Nathalie qui fut un acte très courageux de sa part, démontrant ainsi que, pour lui, l’amour n’a pas de frontières.»

 

Ce qu’il aime le plus, précise notre interlocutrice, ce sont les plaisirs simples de la vie. «Il trouve sa joie dans les petites choses de la vie. Il est adepte du karaoké. Les moments familiaux avec Nishal sont toujours très animés. Il est un bon vivant, il reste une personne humble, simple, généreuse, toujours prête à aider. Nishal est un pilier de la famille et marque le cœur de tous ceux qui croisent son chemin», ajoute Vishwanee. À l’heure où nous mettions sous presse, Nishal poursuivait toujours sa grève de la faim. «Son état est stable (Ndlr : dans la journée de ce samedi)», conclut Vishwanee.

 

D’un témoignage à un autre, le côté très humain de Nishal Joyram est souvent mis en avant. C’est également sur les bancs du collège du Saint-Esprit, qu’il a fréquenté, que ce citoyen engagé a forgé sa personnalité. Gaston Valayden, qui enseignait dans l’établissement de Quatre-Bornes, se souvient : «Je l’ai côtoyé pendant au moins trois ans au collège, sinon plus. J’ai travaillé avec lui de la Form III à la Form V, avant qu’il fasse son HSC. Je ne vais pas parler de son intelligence car il faut être intelligent pour se lancer dans l’action dans laquelle il s’est engagé. Mais une des choses que j’ai toujours constatées chez Nishal, c’est son sourire. Il avait toujours un sourire sur son visage, même si des fois, il me mettait en colère. Et avec son sourire, il faisait disparaître ma colère (rires). Je me souviens aussi qu’il était toujours très positif. Pa krwar ki li ti enn tro bon zanfan (rires) ! Enfin, comme beaucoup d’ados à cet âge... Mais quand je le ramenais à l’ordre, il avait toujours son côté positif qui prenait le dessus malgré les circonstances», raconte Gaston Valayden, en remontant le fil de ses souvenirs à l’époque où il enseignait la physique.

 

«Une autre chose qui m’a marqué en me remémorant Nishal dans sa jeunesse, c’est son talent d’artiste. Quand je faisais du théâtre au collège, il avait participé à une pièce et il campait un personnage qui est resté ancré dans ma mémoire. Il faisait partie d’un groupe d’élèves qui avaient beaucoup de talent et qui faisaient montre d’une grande créativité. Malheureusement, à cette époque, il habitait trop loin, à Surinam, sinon, mo ti pou ris li dan Trup Sapsiway. Depuis très jeune, Nishal avait aussi le sens de la responsabilité. Il était réfléchi. C’est une personne qui a une grande profondeur. Je l’avais décelée à l'époque et je le constate encore aujourd'hui, quand je l’entends donner sa position par rapport à la lutte qu’il mène. Quand on l’écoute donner ses arguments sur le prix du carburant, on comprend tout de suite que c’est quelqu’un qui s’est renseigné. Il ne dit pas les choses en l’air. Il sait de quoi il parle», ajoute l’homme de théâtre, tout en souhaitant qu’il y ait un move des autorités. «Quand j’ai su que Nishal se lançait dans cette entreprise, je n’ai pas été surpris parce que cette bataille, ce genre d’action, lui ressemble. C’est tout lui. Mais en même temps, je pense à sa santé», ajoute Gaston Valayden.

 

Un autre de ses proches amis, Alain Malherbe, parle de Nishal comme de quelqu’un d’entier. «Je vis la démarche de Nishal très mal et en même temps avec beaucoup d’admiration. Ce qu’il est en train de faire à travers son action, moi, ça ne me surprend absolument pas. L’ayant côtoyé et ayant été sur plusieurs forums avec lui, above les liens d’amitié qui nous unissent lui et moi, ça ne m’étonne pas que Nishal veuille continuer sa lutte jusqu’au bout. Quand il avait commencé sa grève de la faim, j’étais le premier avec lui. J’essayais alors de le dissuader, il m’a répondu non et m’a dit : "Au nom de notre amitié, ne me demande pas de ne pas me battre pour le peuple, je dois le faire..." J’ai vite compris qu’il avait une détermination à toute épreuve. Ce qui me fait peur, c’est justement cette détermination d’aller au bout. Je vois jour après jour que son état se détériore mais je vois aussi en lui cet ami sincère, fidèle dans ses engagements et qui, quand il prend une cause, la prend jusqu’au bout. Des fois, l’amour pour la patrie, l’amour des autres, pousse des gens à se sacrifier. Il milite pour le ‘‘mauricianisme’’ et c’est ce que j’admire chez cette homme modeste et humble», témoigne Alain Malherbe.

 

«Injustices»

 

Un autre proche qui le suit et qui est à ses côtés ces derniers jours, décrit Nishal comme quelqu’un qui a une belle personnalité : «Nishal est quelqu’un de très instruit. Il est poli et il parle avec beaucoup de diplomatie. Il aime vivre des expériences et avait tenté celle de la politique en 2019 mais aujourd’hui, il est complètement apolitique.» Un ami, qui a aussi côtoyé Nishal comme enseignant, met en avant le grand coeur du gréviste. «Nishal n’aime pas se mettre en avant. Pour lui, c’est la cause qui doit primer. C’est sa bataille qui est importante. Quand je pense à Nishal, la première chose qui me vient en tête, c’est qu’il est quelqu’un de très débrouillard. Il est très intelligent et très pieux. Il a une grande connaissance de la bible et de la religion hindoue. Il participe activement aux activités du mouvement Iskcon. C’est un très bon cuisinier, il cuisine notamment pour Iskcon à grande échelle», nous confie notre interlocuteur qui a aussi eu l’occasion de côtoyer Nishal dans le milieu professionnel.

 

«Il est, et il faut le souligner, un très bon enseignant. Il est très dynamique dans sa façon de faire et est très dédié à sa profession. Il cherche toujours des solutions et n’aime pas les injustices. Je vais vous raconter une petite anecdote qui date d’une dizaine d’années. À l’époque où on travaillait ensemble, on devait participer à un déjeuner avec tous les collègues. Il avait déjà payé, mais Nishal voulait vraiment que tout le monde soit convié. Les enseignants, le Non-Teaching Staff et également les Cleaners. Et comme ces derniers n’y étaient pas, il n’a pas été au déjeuner. Pour lui, tout le staff devait se rendre à ce déjeuner. Il a trouvé cela, et avec raison, injuste de ne pas inviter des personnes à cause de leur catégorie professionnelle. Il est comme ça Nishal. Il reste toujours fidèle à lui-même. C’est quelqu’un de complet. Il avait aussi tenté la politique et je pense que c’est parce qu’il voulait emmener du changement. Mais aujourd’hui, il évolue loin de ce monde», conclut ce proche, en nous racontant l’homme, le citoyen, derrière le gréviste...

 


 

Comité de soutien, vague de solidarité, «candlelights» et actions au coeur d’une bataille

 

Un visage, un nom... Aujourd’hui, rares sont ceux qui ne connaissent pas Nishal Joyram, surtout depuis qu’il est au cœur de l’action de par la bataille qu’il mène pour faire baisser le prix du carburant. Entre la classe politique, du côté de l’opposition, qui lui apporte du soutien (voir d’autres textes plus loin) et les anonymes qui saluent son courage, il y a aussi un mouvement solidaire.

 

En conférence de presse le samedi 3 décembre, le comité de soutien qui chemine avec le gréviste – qui était alors à son 19e jour sans se nourrir – a fait le point sur la situation. «Je lance un appel aux associations socioculturelles pour qu’elles organisent des candlelights dans leurs régions respectives. Nou bizin fer gouvernman kone ki Nishal na pa tousel ek pou ki zot pa inior so lalit ek vinn avek bann propozision. Nishal nous a donné son aval, à nous le comité, pour qu’on envoie des lettres aux ambassades et à d’autres instances internationales. Li pa zoli pou nou pei. Nou pe degringole an tan ki enn demokrasi. Nishal ti pe dir nou atann ki gouvernman vinn a bann meyer santiman, ensuite il nous a dit go ahead et d’envoyer les lettres. On fait un appel pour que les gens restent mobilisés. Si Dieu le permet, si Nishal a de la force, ce dimanche, il va lancer un appel pour demander à tous les citoyens de suivre son mot d’ordre d’actions ce lundi. On espère tous, même Nishal, ne pas en arriver là. On a envie que le gouvernement ouvre ses portes pour une négociation. On fait ces actions pour que tous puissent en bénéficier», a déclaré Ivor Tan Yan qui épaule Nishal Joyram dans sa démarche.

 

Le Dr Vasant Rao Gujadhur, pour sa part, a apporté des éclaircissements sur l’état de santé (à ce samedi) du gréviste. Le médecin a ainsi souligné que l’enseignant est très fatigué et qu’il a des difficultés à s’asseoir. «Nishal a perdu beaucoup de poids. Il est de plus en plus faible, ne peut pas marcher et il lui faut de l’aide pour se déplacer. Il a des vertiges quand il se met debout. On lui a mis un support pour le tenir. Il parle mais il ne peut pas le faire pour une longue période. Tout cela le met en position de faiblesse. Je suis son état de très près. Je lui fais passer régulièrement des tests. Si cela le demande, on va prendre des actions. On ne va pas mettre sa vie en danger», nous a déclaré le Dr Gujadhur. À l’heure où nous mettions sous presse, l’enseignant poursuivait toujours sa grève de la faim.

 

Sollicité ce vendredi, Nishal Joyram nous confiait son état d’esprit. «Mo pe manz ar li. Si enn dimounn anvi gagn enn batay, il faut descendre sur le champ de bataille. Pou ena, sert, bann domaz kolateral et, dans mon cas, c’est ma santé. Mais j’ai choisi cette bataille. La demande pour baisser le prix du carburant n’est pas une demande farfelue mais une demande qui est tout à fait cadrée avec la réalité. À partir de lundi, lorsque je serai au 21e jour de ma grève de la faim, la presse internationale s’intéressera à mon combat et ce sera malheureux pour la réputation de Maurice.   Ce qui m’arrive par rapport à ma santé est tout à fait normal pour une personne qui ne se nourrit pas depuis plusieurs jours. Tous les grévistes de la faim sont passés par là. Le Dr Gujadhur me suit tous les jours. Mes proches, sont inquiets mais ils savent que le Dr Gujadhur est là et me suit», nous a-t-il déclaré. Il a tenu à remercier les Mauriciens : «Si je tiens le coup, c’est grâce au soutien, à l’amour et à la prière des Mauriciens. Je leur dis de continuer à prier parce qu’on est en train de fight pour une cause. Je demande aux Mauriciens de continuer à prier pour moi car après cette bataille, il y en aura d’autres.»

 

Malgré la faiblesse, il ne perd pas sa détermination. «Dans ma tête, j’ai un objectif et je reste fixé sur cet objectif. Il y a aujourd’hui trois éléments qui, pour moi, doivent mener à une baisse dans le prix du carburant. Le prix du baril d’essence a chuté sur le marché International. Puis, il y a aussi le fret qui a drastiquement baissé.  Et finalement, le dollar a également chuté. Il n’y a donc pas de raison pour ne pas baisser le prix du carburant à Maurice. On paye le prix cher juste pour compenser les frasques du gouvernement et leur mauvaise gestion», conclut Nishal Joyram qui, après deux semaines de grève, est, pour les Mauriciens, bien plus qu’un visage et un nom...