L’arrestation de deux Mauriciens à La Réunion, il y a quelques jours, a donné une nouvelle direction à l’enquête sur la disparition, en décembre dernier, de Rajiv Fallee et Dylan Castor. Les deux suspects prétendent avoir fait la traversée jusqu’à l’île sœur avec eux dans le but de récupérer un colis de drogue. Les disparus ont-ils été victimes d’une histoire de drogue qui a mal tourné ? C’est ce que cherche à savoir la Major Crime Investigation Team qui a repris l’enquête. Les familles des deux hommes, elles, refusent de croire qu’ils sont mêlés à une affaire louche et racontent leur calvaire.
Leur attente est insoutenable. L’angoisse qui les étreint au quotidien n’arrête pas de croître à mesure que le temps passe. Qu’est-il arrivé à ces deux hommes ? Ont-ils été enlevés et séquestrés ? Ont-ils eu un problème avec le bateau ? Sont-ils encore vivants ? Comment expliquer leur disparition depuis voilà plus de trois mois ? Autant de questions qui hantent les familles de Rajiv Fallee, 33 ans, et de Dylan Castor, 23 ans, depuis que ces derniers n’ont plus donné signe de vie après une sortie en mer, le 15 décembre 2018, à bord d’un speedboat. Les interrogations se font encore plus persistantes et l’inquiétude est encore plus terrible depuis l’arrestation de deux Mauriciens à La Réunion, le 14 mars.
James Legrand, 23 ans, et Pascal Paris, 28 ans, deux habitants de Bois-Marchand, qui ont par la suite été déportés à Maurice, ont déclaré à la police qu’ils s’étaient rendus à l’île sœur en décembre à bord du Prince Thomas, piloté par Dylan Castor, un skipper résidant à Bois-Marchand, assisté du propriétaire du bateau, Rajiv Fallee, qui est aussi Attendant à l’hôpital Jeetoo et qui habite Pointe-aux-Piments. Ces derniers ne seraient donc pas allés pêcher comme ils l’auraient dit à leurs proches.
James Legrand et Pascal Paris ont déclaré être entrés sur le sol réunionnais illégalement par Sainte-Rose. Ils devaient ensuite récupérer un colis contenant une importante quantité de cannabis connu comme lake sat lorsque le deal aurait mal tourné. Selon un rapport qu’Interpol a remis aux enquêteurs mauriciens, cette affaire est liée à une fusillade qui aurait eu lieu dans une pizzeria à St-Denis. Après l’incident, James Legrand et Pascal Paris ont préféré, pour leur propre sécurité, se rendre à la gendarmerie afin de se dénoncer. Par contre, ils ont affirmé aux enquêteurs réunionnais et mauriciens ne rien savoir sur la disparition de Rajiv Fallee et Dylan Castor.
La Major Crime Investigation Team (MCIT), qui s’occupe maintenant de l’enquête du côté de Maurice, essaie de savoir si les deux disparus sont mêlés eux aussi à cette histoire de drogue ayant mal tourné et s’ils ont été kidnappés, séquestrés ou tués. En tout cas, les recherches pour les retrouver se sont avérées vaines jusqu’ici.
Les familles Fallee et Castor refusent, pour leur part, de croire que Rajiv et Dylan sont les complices de James Legrand et Pascal Paris dans cette histoire de drogue. Toutefois, elles sont persuadées que ces derniers en savent bien plus qu’ils ne veulent le dire sur cette mystérieuse disparition. Stellio Castor, le père de Dylan, n’en démord pas : «Sa de-la konn boukou kitsoz. Zot bizin kapav dir kot mo garson ek sa lot misie-la ete pou nou leker kler.»
Anousha Fallee, la sœur de Rajiv, est du même avis : «Ils doivent dire toute la vérité pour permettre à la police de faire la lumière sur la disparition de mon frère et de cet autre garçon. Notre famille est dans le flou total depuis que mon frère a disparu.» En janvier, sa famille avait lancé un appel à témoins avec une promesse de récompense dans le but de récolter des informations sur cette affaire mais la démarche n’a abouti à rien.
«Partie de pêche»
Le jour de sa disparition, explique Anousha, son frère est parti en disant à ses parents et à son épouse qu’il allait pêcher. «Mon frère a son permis de skipper et ce n’était pas la première fois qu’il sortait en mer pour aller faire une partie de pêche mais il rentrait toujours. Ti plenn linn sa zour-la. Li abitie al lapes mourgat.» En ce 15 décembre fatidique, Dylan avait également dit à son père qu’il allait à la pêche. «Il travaillait comme skipper en free-lance. Il est sorti vers 17h30 pour aller pêcher. Comme il n’est pas rentré par la suite, je pensais qu’il s’était rendu chez sa mère, à Pamplemousses, après sa partie de pêche. Mais à ce jour, il n’a pas donné signe de vie. Je suis toujours sous le choc de cette disparition», confie Stellio. Les Fallee et les Castor signalent alors la disparition des deux hommes à la police et la National Coast Guard se charge d’effectuer des recherches, mais sans résultat.
Stellio Castor souligne que c’est à travers la presse qu’il a récemment appris que son fils aurait disparu après avoir fait la traversée jusqu’à La Réunion en compagnie de Rajiv Fallee, James Legrand et Pascal Paris. «Fallee-la mo pa konn li ditou, me Legrand-la mo konn li bien. Mo garson ek li kamarad depi zot zanfan. Mo tann dir linn deza gagn case lapolis. Misie Paris-la osi. Me mo garson clean li, zame li pann gagn zafer ek lapolis.»
Anousha Fallee insiste elle aussi sur le fait que son frère n’a rien à voir avec le trafic de drogue : «Il y a beaucoup de fausses rumeurs. Des gens n’arrêtent pas de faire des palabres. Mon frère n’est pas un trafiquant.» Ce qui fait jaser, c’est notamment le fait que son frère soit propriétaire d’une grande maison à étage à Pointe-aux-Piments – ses parents habitent au rez-de-chaussée. Celle-ci est très sécurisée avec des caméras CCTV et est protégée par plusieurs chiens, et il y a deux bateaux dans la cour, dissimulés sous des bâches, en plus d’un trailer utilisé pour un autre bateau.
Mais Anousha balaie toutes les suppositions d’un revers de la main. «Mon frère a acquis tous ses biens à la sueur de son front. Et notre famille a fait beaucoup de sacrifices. Sa bann bato-la pou lafami sa. Nou sipoze fer enn biznes familial ar sa.» La jeune femme ajoute que son frère n’a jamais eu de démêlés avec la justice et récuse les allégations selon lesquelles il serait un transporteur de drogue sur son speedboat Prince Thomas. Elle persiste et signe : «Les deux hommes qui ont été arrêtés à La Réunion doivent dire la vérité. Ils savent certainement ce qui est arrivé à mon frère et à l’autre disparu. Nous, en tout cas, on ne connaît pas le dénommé Dylan. Mes parents et ma belle-sœur se sont aussi rendus à une parade d’identification aux Casernes. Ils ne connaissent pas non plus les dénommés Legrand et Paris.»
La MCIT a aussi entendu les parents de Rajiv Fallee et le père de Dylan Castor mais leurs déclarations n’ont pas été d’une grande aide car ils assurent ne rien savoir, à part le fait que les deux étaient allés pêcher ce jour-là et qu’ils ne sont pas trempés dans le trafic de drogue. Les limiers de cette unité sont, eux aussi, convaincus que les suspects Legrand et Paris en savent beaucoup plus que ce qu’ils ont déclaré à ce jour. Mais pour le moment, les deux hommes ne veulent pas en dire davantage. Ils font jusqu’ici seulement l’objet d’une accusation provisoire de Breach of Immigration Act et ont été placés en détention depuis leur arrivée à Maurice.
La MCIT continue son enquête pour savoir ce qui est arrivé aux deux disparus Fallee et Castor, s’ils sont eux aussi mêlés à cette affaire de drogue et, surtout, s’ils sont toujours en vie. Les enquêteurs seraient en présence de faits troublants qui pourraient les guider. L’un d’eux est un point commun entre les suspects Legrand, Paris et Castor. Les trois habitent à Bois-Marchand où un caïd tirerait les ficelles du trafic de drogue depuis la prison, avec la complicité d’autres barons. Cet homme de 33 ans avait été arrêté pour trafic de drogue en août 2018 après la saisie de Rs 7 millions de drogue synthétique et d’héroïne dans une voiture à Valton. Il serait membre d’un consortium comprenant d’autres caïds.
Fallee et Castor ont-ils disparu suite à une transaction de drogue ayant mal tourné ? Une hypothèse qu’étudient sérieusement les enquêteurs mais que rejettent complètement les familles des deux hommes, qui espèrent de tout cœur qu’ils seront retrouvés vivants.