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Le père Stéphane Joulain : «Si on ne prend pas soin de nos enfants, on tue l’avenir»

À l’initiative du cardinal Maurice Piat, le père Stéphane Joulain, spécialisé dans le traitement des agressions sexuelles sur mineurs, était à Maurice pour aborder, auprès de différents publics, la thématique des abus sexuels sur mineurs. Il a animé des sessions de formation avec le clergé, des religieux(ses), des accompagnateurs(trices) spirituels(les), des chefs d’établissements scolaires, et des personnes occupant des postes à responsabilité auprès des jeunes dans les mouvements et services du diocèse. Le père Joulain a aussi donné une conférence publique ayant pour thème «Construire ensemble un environnement sûr pour nos enfants». Rencontre…

Vous êtes à Maurice pour aborder la thématique des abus sexuels sur mineurs auprès de différents publics. Après avoir pris connaissance de la situation dans l’île, quel constat faites-vous ?

 

En ayant rencontré les Mauriciens dans les différents lieux où j’ai pu aller, je me suis rendu compte que la question des agressions sexuelles sur mineurs est encore largement taboue dans la société mauricienne. Il faut savoir qu’il y a des choses qui se passent mais on n’en parle pas. Si nous, les adultes nous n’en parlons pas, nos enfants ne pourront jamais en parler. Il faut en parler. C’est une des choses que j’ai découvertes à Maurice et qui ne me surprennent pas, parce que j’ai vu ce phénomène ailleurs, car je travaille beaucoup en Afrique et dans d’autres pays où il y a comme une sorte de déni du réel. C’est donc le constat que j’ai fait : on ne parle pas de cette réalité.

 

Avez-vous ressenti de la volonté pour faire avancer les choses dans ce domaine ?

 

Il y a des prises de conscience qui sont faites dans le sens qu’il faut libérer la parole. Je pense que c’est fondamental dans cette problématique sociétale : si on n’en parle pas, ça va perdurer. Il faut libérer la parole sur cette question douloureuse afin de pouvoir la traiter. Parce que, tant qu’on n’en parle pas, tant que le sujet reste tapi dans l’ombre, on ne changera rien. Mais si on emmène le sujet dans la lumière, on peut la regarder, on peut purifier ce qui a besoin d’être purifié et réparer ce qui doit être réparé.

 

Votre venue s’inscrit dans la volonté du cardinal Piat de traiter ouvertement de la question des abus sexuels dans le diocèse de Port-Louis. Que pensez-vous de cette initiative ?

 

Je pense que c’est une heureuse intiative. Il faudrait, selon moi, que beaucoup d’autres évêques à travers le monde aient cette même volonté et cette détermination qui s’inscrivent tout à fait dans celles du pape François. Le cardinal Piat marche là vraiment côte à côte avec le pape François et cette détermination qui doit être celle de toute l’Église. Je suis heureux qu’avec le comité, parce qu’il y a tout un comité qui travaille à cette question dans le diocèse, il y ait eu une volonté d’informer, de sensibiliser, de réagir, de traiter les affaires et d’avancer. Ça va prendre du temps, car ce n’est pas quelque chose qui va se faire en un claquement de doigts mais la détermination est bien là.

 

Vous avez rencontré des groupes évoluant dans les instances de l’Église mais vous avez aussi rencontré d’autres personnes dans différents secteurs, comme des avocats. L’État aussi vient de l’avant avec des initiatives pour renverser cette tendance. Qu’en pensez-vous ?

 

Les agressions sexuelles sur mineurs, c’est une violence sexuelle. Et la violence sexuelle, c’est la prérogative de l’État de la traiter, de la combattre. Ce n’est pas à l’Église de traiter de cela dans son coin. Il faut que l’État se rende bien compte de ses responsabilités. Toutes ces problématiques de violence, cette criminalité, c’est la responsabilité de l’État parce que c’est le seul qui a le pouvoir d’instruire, de juger, de condamner et de faire appliquer une sentence. L’Église ne peut pas faire cela. C’est l’État qui peut le faire et dans ce combat, il faut une détermination de toute la société mauricienne et l’État représente cette société mauricienne. C’est seulement comme ça qu’on arrive à changer des structurations du mal qui sont présentes dans toute la population.

 

Pourquoi est-ce  devenu important de «Construire ensemble un environnement sûr pour nos enfants», pour reprendre  le thème de votre conférence chez nous ?

 

Les enfants portent en eux le présent mais aussi l’avenir. Si on ne prend pas soin de nos enfants, de nos petits, on tue l’avenir de l’humanité. On voit de plus en plus une société qui est en perte d’espérance, en perte de repères. On voit bien aussi qu’il y a du désespoir dans les populations face aux problèmes de drogues, par exemple. Cette désespérance, elle est aussi fortement liée à la problématique qu’il y a une agression qui est faite sur l’enfance aujourd’hui. C’est important pour une société de ressaisir cette question et de remettre en question quel avenir on veut pour nous, pour notre société et nos enfants.

 

Est-ce que la façon d’agir des prédateurs d’enfants est différente d’un pays à l’autre ?

 

Il y a des éléments qui sont communs et qui font partie des cycles des agressions : s’approcher de la victime ou encore des comportements sexuels et autres… Après, il y a des éléments qui sont plus culturels qui vont faire que certaines personnes vont avoir plus facilement accès à la victime dans certaines cultures. Le cycle de l’abus est le même à travers les cultures. Il faut une motivation à l’abus, c’est-à-dire, quelqu’un qui veut abuser pour une raison particulière qui l’a poussé. Il faut surpasser des inhibitions internes : aller au-delà de sa peur de la police, la peur d’être arrêté, aller au-delà des inhibitions externes : des gens qui protègent l’enfant et puis annihiler la voix de l’enfant, son refus, pour pouvoir passer à l’acte.

 

Est-ce que les conférences que vous animez aident ?

 

Bien sûr ! On ne peut traiter un problème qu’à partir du moment où on réalise qu’on a un problème. Tant qu’on ne le réalise pas, on ne va pas avancer. Il faut prendre conscience qu’on a un défi qui est devant nous et qui doit être relevé. La sensibilisation qu’on fait : on a été dans différentes régions, on a rencontré différents groupes, on a rencontré des recteurs et des rectrices d’école, on a rencontré des religieux, on a rencontré le DPP et des avocats ou encore des animateurs de jeunes. C’est important qu’ils prennent conscience de cette réalité parce qu’ils ne pourront entendre la souffrance des enfants que s’ils sont alertés sur le sujet.

 


Bio express

 

Le père Joulain est l’un des rares prêtres et psychothérapeutes au monde spécialisés dans le traitement des agressions sexuelles sur mineurs. Il travaille cette question depuis plus de 15 ans, a accompagné les victimes et participe au traitement des auteurs d’abus sexuels au Canada.