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Le cardinal Maurice Piat : «Les électeurs ont soif d’être traités comme des personnes qui réfléchissent et qui ont à cœur le développement de leur pays»

Le cardinal Maurice Piat : «Les électeurs ont soif d’être traités comme des personnes qui réfléchissent et qui ont à cœur le développement de leur pays»

Les 50 ans de l’Indépendance, la prolifération de la drogue, la politique, ce qui s’est passé sur le plan international et ses vœux pour le pays… Ce sont là les sujets abordés par le Cardinal Maurice Piat, notre invité pour cette première interview de l’année 2019.

2018 pour vous : une bonne ou une mauvaise année ?

 

L’année 2018 a été marquée par le 50e anniversaire de notre Indépendance. À cette occasion, je me suis attelé à faire une relecture de ces 50 années d’Indépendance que j’ai vécues personnellement comme adulte. J’ai voulu partager les fruits de ma réflexion avec les jeunes du pays dans une lettre pastorale de carême en mars de cette année. Il y a beaucoup d’enseignements à retirer de ces 50 ans, des points forts comme des points faibles de notre parcours. En le faisant, j’ai pris conscience que les personnes de ma génération, qui ont vécu les premiers pas de notre île indépendante, ont quelque chose à transmettre aux jeunes d’aujourd’hui. Car leur responsabilité sera de construire le développement de l’île Maurice pour les 50 prochaines années. Ainsi, l’année 2018 m’a paru un peu comme une charnière, d’autant plus que des défis très nouveaux se posent à nous qui sommes désormais insérés dans le contexte de la globalisation. Par exemple, l’immense défi écologique qui devient de plus en plus urgent ; le défi de l’économie libérale qui accentue l’écart entre les riches et les pauvres, et qui soulève beaucoup d’interrogations dans les grands comme les petits pays ; le système démocratique s’essouffle lui aussi, dans le sens où beaucoup de gens n’ont plus confiance en ceux qui les représentent, comme nous le voyons avec les gilets jaunes en France. Je ne sais pas si c’est une bonne ou mauvaise année mais c’est une année qui nous a appelés à nous réveiller. La démocratie, l’économie et l’écologie perdent leur sens si le souci du développement humain, l’homme, n’est pas au centre des préoccupations.

 

Que retenez-vous sur le plan local ?

 

Je retiens d’abord la prolifération de la drogue qui touche de plus en plus de jeunes, malgré les prises spectaculaires de la police. Dans ce combat contre la drogue, je vois le peu d’empressement à étudier et à mettre en pratique le rapport Lam Shang Leen. Et pendant ce temps, il y a la souffrance croissante des familles mauriciennes dont un des membres est toxicomane. Par ailleurs, je salue le succès qu’a eu notre pays aux Nations unies pour faire porter notre litige sur les Chagos devant la Cour internationale de Justice ; le Metro Express pourrait aussi être une avancée dans le système de transport public. Mais le déclin de l’industrie sucrière et la réduction de l’espace accordé à l’agriculture nous interpellent sur l’équilibre de notre développement. Enfin, il y a aussi le nombre croissant de travailleurs migrants dont les conditions de vie et de travail sont souvent peu respectueuses des droits humains. Et cet afflux de migrants coïncide avec le chômage des jeunes qui atteint des proportions inquiétantes. Il y a un manque d’investissement dans la formation technique d’ouvriers spécialisés, d’ingénieurs et aussi de marins pêcheurs pour intégrer localement l’industrie de la pêche.

 

Politiquement parlant, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

 

L’essoufflement du modèle démocratique dont nous avons hérité et qui nous avait bien servi jusqu’ici. Cet essoufflement se traduit par un manque affligeant de relève dans les partis politiques, par l’incapacité d’arriver à une réforme du système électoral, par un manque d’imagination (et faut-il le dire, de détermination) pour arriver à une réglementation sérieuse des partis politiques. Serait-ce cela la cause de notre incapacité à retenir des Mauriciens de stature internationale à des postes-clés ?

 

Quels conseils donneriez-vous aux autorités pour cette nouvelle année qui annonce aussi les élections générales ?

 

Je n’ai pas de conseils à donner aux autorités mais je ne peux m’empêcher de partager quelques constats. Par exemple, de plus en plus de personnes sont saturées par des campagnes électorales où chaque camp se contente de démontrer que son candidat est moins corrompu et plus compétent que celui du camp adverse. Les électeurs ont soif d’être traités comme des personnes qui réfléchissent et qui ont à cœur le développement de leur pays. Ce qu’ils cherchent, c’est des candidats qui leur parlent d’un projet de société et des moyens qu’ils comptent mettre en œuvre pour relever les défis de notre société à ce stade de son histoire.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué sur le plan international ?

 

J’ai été frappé par le déclin de la capacité des États, qui se rencontrent aux Nations unies, d’avancer vers des solutions durables et acceptées par tous pour faire face à des crises qui touchent l’ensemble de la planète – comme la crise écologique et la crise migratoire. Cette incapacité vient en grande partie d’un manque de volonté à rentrer dans des accords multilatéraux et à s’en tenir aux décisions. Le résultat de la dernière COP est un exemple affligeant qui montre la gravité de cet échec. Le retrait des grandes puissances, comme les États-Unis, des accords multilatéraux déjà conclus est un très mauvais signe. Au niveau de l’Église universelle, le pape François a convoqué des évêques du monde entier à Rome pour une réunion de trois semaines afin de réfléchir à la question de la jeunesse dans le monde d’aujourd’hui. Ce qui a été le plus marquant, c’est que cette rencontre a été préparée par le pape et ses collaborateurs immédiats avec des jeunes venus du monde entier, dont une Mauricienne. Dans l’Église, comme dans d’autres lieux, le monde des jeunes nous interpelle et nous avons du mal à communiquer avec eux. Or, l’accent a été mis sur l’écoute des jeunes et sur ce qu’ils ont à nous dire sur notre manière d’être Église et notre manière d’aborder certaines questions du monde contemporain comme le mariage, l’homosexualité, les migrants, les réseaux sociaux. L’Église a aussi hérité d’une sagesse qu’elle voudrait communiquer aux jeunes, quitte à ce qu’ils la traduisent dans des manières d’être et de s’exprimer qui ne sont pas nécessairement celle de ma génération.

 

Et quels sont les grands rendez-vous de l’Église cette année ?

 

Les appels que nous ressentons et auxquels nous voudrions répondre sont, entre autres, de continuer et d’étoffer notre engagement dans la prévention contre la drogue. Plusieurs programmes ont commencé et portent déjà leurs fruits. Nous continuerons aussi à militer pour que l’État investisse dans la réhabilitation des toxicomanes qui doivent être traités comme des malades et non des criminels. Seuls les trafiquants sont des criminels ! Dans nos écoles, un programme d’éducation interculturelle a été conçu et commence à être mis en pratique. Nous espérons qu’il contribuera à la paix sociale. Le centre de formation interreligieux de Pont Praslin continue lui aussi à donner aux adultes une formation très pertinente pour le contexte mauricien. La Commission Justice et Paix du diocèse s’engage dans un projet ambitieux d’éducation pratique à l’écologie dans les écoles comme dans d’autres institutions du diocèse. Pour soutenir les familles, plusieurs paroisses accueillent des divorcés remariés dans des groupes de partages d’expérience où ils sont accompagnés sur leur cheminement spirituel. Par ailleurs, le programme des cours de préparation au mariage se renouvelle pour s’adapter aux différentes situations de ceux et celles qui viennent demander le mariage.

 

Derrière ces projets et bien d’autres, il y a le grand souci de l’Église d’être au service des hommes et des femmes avec qui elle vit. Pour assurer ce service sur le long terme, il y a dans les coulisses un immense travail d’annonce et de consolidation de notre foi en Jésus-Christ. C’est cette foi qui nous donne la vision et le courage d’assumer ce service avec joie, même si ce n’est pas tous les jours facile. C’est cela le but du projet Kleopas, mis en œuvre depuis 2016. Selon ce projet, cette éducation à la foi en Jésus-Christ se fait en famille, à l’école et en paroisse. Il ne concerne pas seulement les enfants mais aussi et surtout les adultes. Pour ceux qui veulent aller plus loin, il y a un institut de formation, l’ICJM, où les adultes qui veulent approfondir certaines dimensions de ce service peuvent suivre des cours, par exemple en leadership social, en interculturalité, sur les sciences de la famille, etc.

 

Que souhaitez-vous au pays pour la nouvelle année ?  

 

Je souhaite que le pays, qui s’achemine vers des élections générales à la fin de l’année, connaisse des élections sérieuses, fair-play, sans violence et sans corruption. Je souhaite aussi que les jeunes soient fiers de leur pays, qu’ils l’aiment vraiment et soient disposés à mettre leur talent au service de la population. Il y a déjà plusieurs exemples de cela mais notre pays a vraiment besoin d’une relève.