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Dr Deoraj Caussy : «Nous sommes loin d'être prêts pour l'ouverture des frontières»

L’épidémiologiste indépendant jette un regard sur la situation de la Covid-19 dans l’île. Deoraj Caussy a une double spécialité, la virologie et l’épidémiologie, et évolue dans son secteur depuis plus de 30 ans. Il a eu une riche carrière dans des institutions internationales, l’Organisation mondiale de la santé, par exemple. Et a été conseiller au ministère de la Santé. 

ll y a de nouveaux cas d’infection à la Covid-19 dans la communauté quasiment tous les jours. Le pays est à l’ère du déconfinement (à l’exception des zones rouges). Et aucun nouveau lockdown général ne serait envisagé selon le ministre de la Santé, le Dr Kailash Jagutpal. Il parle plutôt de «lockdown ciblé». Quel est votre sentiment par rapport à ce qui se passe ?

 

La science de l’épidémiologie a pour but de cartographier la répartition d'un événement en temps, lieu et personne, de sorte qu’on puisse expliquer l’événement ou du moins avancer des hypothèses valables... Si nous examinons la répartition des cas actuellement à Maurice, il est clair qu’il y a une transmission à grande échelle au niveau de la communauté. De plus, les autorités sanitaires sont déconcertées et ne peuvent pas vraiment préciser l’envergure de l’épidémie et, donc, en prendre sa pleine mesure. Cela, parce que pour de nombreuses personnes, la maladie se manifeste de manière asymptomatique. Il y a aussi un certain manque de fiabilité concernant les tests PCR. Et de nombreuses interrogations sur l’excrétion du virus et la durée de vie de ses sécrétions. De plus, le lockdown a été initié de façon tardive. Tout cela me fait dire que nous sommes en plein dans une épidémie en cours, qui n’a pas été maîtrisée complètement.

 

Le protocole sanitaire mis en place par les autorités est-il efficace ?

 

Il est difficile pour moi de juger si les protocoles sanitaires sont efficaces ou non. Mais posons-nous la question suivante : comment arrivons-nous à estimer une efficacité ? L’efficacité, c’est quand les protocoles sanitaires arrivent à éviter les morts dus à la Covid, à casser la chaîne des transmissions afin de réduire le nombre de cas à 0… Maintenant que ceci a été dit, je vous laisse juger, par vous-même, de l’efficacité des protocoles sanitaires mis en place par les autorités.

 

Comment pourrait-il être amélioré ?

 

Les protocoles doivent être développés en se basant sur la connaissance acquise jusqu’à présent et la science de pointe, avec un consensus de toutes les parties prenantes, y compris les scientifiques qui n’évoluent pas forcément dans la fonction publique.

 

Un homme testé positif n’aurait pas fourni toutes les informations concernant ses déplacements. Le papa d’une collégienne aurait menti ; il n’aurait pas dévoilé la participation de cette dernière aux examens… Cela provoque de l’angoisse auprès de la population et de la difficulté dans l’exercice du contact tracing, selon le ministre Jagutpal qui parle même de sanctions à venir. N’y aurait-il pas un autre moyen plus efficace «d’enquêter» suite à de nouveaux cas ?

 

Je n’ai pas tous les détails sur ces cas, donc il est imprudent de ma part de me permettre des jugements. Mais ce que je sais à travers mes études et mon travail à travers le monde dans plusieurs domaines qui touchent les comportements humains et la protection publique, c’est qu’il est nécessaire d’encourager les gens d’une telle façon qu’ils sont convaincus du bien-fondé de déclarer un cas, de donner toutes les informations demandées, de collaborer pleinement avec les autorités.

 

Si on adopte une attitude punitive et sévère, cela pourrait pousser beaucoup de personnes à ne pas dire la vérité. Je donne un exemple pour que l’on puisse comprendre ma réflexion : durant l’épidémie d’Ébola en Afrique, on savait très bien que la transmission du virus se faisait par la dépouille des défunts. Afin d’éviter que les autorités prennent en charge un cadavre, la famille cachait le corps ou ne déclarait pas un décès. Un phénomène qui aidait à la transmission du virus. La juste solution a été que les autorités cessent d’adopter cette attitude punitive et optent pour une dose de coopération avec la famille. Ce qui a aidé à casser la chaîne des transmissions.

 

De nombreuses photos circulent sur les réseaux sociaux. On y voit des gens qui ne portent pas le masque, qui ne pratiquent pas la distanciation sociale… Les Mauriciens prennent-ils suffisamment leurs responsabilités ?

 

Je n’ai pas fait une enquête du type micro-trottoir pour évaluer les comportements de mes compatriotes. Cependant, quand je voyage ou que je sors, il est évident qu’il y a pas mal de gens parmi nous qui portent très mal le masque et qui n’observent pas la distanciation sociale tout le temps. Le port du masque est primordial et le bon exemple doit venir d’en haut. Les gens qui sont dans le collimateur public devraient le montrer.

 

Comment pourraient-ils «faire mieux» ?

 

Pour améliorer les comportements, il faut comprendre la motivation des gens et leurs croyances afin de cerner ce qui mène à la pratique d’un certain comportement. Il faut alors faire le tri dans ces informations, dégorger cet embouteillage en quelque sorte, afin de trouver la bonne formule pour les convaincre que le port du masque ainsi que le respect des consignes sanitaires sont essentiels pour un bien commun, qui pourrait inclure la protection de leurs proches ou de leurs collègues qui sont les plus vulnérables. Il faudrait leur faire comprendre qu’il est dans l’intérêt de tous d’agir de façon responsable et de participer, ainsi, à la protection commune.

 

Vaksinasion sel solision, harangue Steven Obeegadoo. Que pensez-vous de la vaccination comme stratégie de protection ?

 

La vaccination est une très bonne stratégie et je dirai même que la vaccination nous a permis d’éradiquer certaines maladies comme la variole. Mais dans le cas de la Covid-19, nous faisons face à une maladie nouvelle. On est en train d’utiliser des vaccins de la première génération et de travailler sous des conditions où beaucoup de paramètres ne sont pas encore bien définis. Donc, il serait précoce de ma part de dire que le vaccin est la seule solution. On doit prendre en considération le possible échec des vaccins contre les variantes du virus. Mais aussi le fait que certaines personnes refusent la vaccination pour des raisons médicales ou personnelles. Ainsi que le paramètre important qui est celui de la disponibilité des vaccins. À quoi bon avoir une seule solution quand on n’a pas les moyens de l’exécuter ? Ceci remet en question le fait que la vaccination soit la seule solution pour l’instant. Certes, c’est un objectif à atteindre mais il doit être accompagné par d’autres mesures qui sont connues, notamment le respect des consignes sanitaires : le port du masque et la distanciation sociale, par exemple.

 

Il est de plus en plus question de la réouverture des frontières. Plusieurs secteurs – principalement le tourisme mais pas que – sont à l’arrêt. Il s’agit d’une nécessité économique, selon les autorités. Mais le pays est-il prêt ? 

 

Encore une question : quand peut-on dire qu’on est prêts ? Quand on a maîtrisé les flambées, quand on a réduit la transmission locale, quand on a les effectifs nécessaires, quand les protocoles sont réévalués en fonction des évolutions de la maladie et la connaissance scientifique, et quand on a conscientisé la population et qu’on l’a protégée avec la vaccination. Là, on pourrait dire que nous sommes prêts pour la réouverture de nos frontières. Mais je pense qu’on en est loin d’être prêts. Surtout quand je vois des lacunes concernant tous ces critères.

 

Le variant indien est au cœur de toutes les inquiétudes, en ce moment. Sommes-nous à l’abri ?

 

On n’est jamais à l’abri des variants, qu’ils soient indiens, sud-africains, brésiliens ou britanniques, etc. Et c’est à cause de la mondialisation, des mouvements des personnes ; des hommes d’affaires, des diplomates et du voyageur qui ne représente pas un risque de contamination à première vue. Même si on ferme une frontière avec un pays X, le virus et sa variante auront d’autres circuits à leur disposition afin d’échapper aux mailles du filet.