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Contestation de la constitutionnalité de l’article 250 en Cour suprême : Un grand pas pour Ridwan Ah Seek, une «petite victoire» pour la communauté LGBTQ+

Ridwan est ici avec Muriel Yvon et Nicolas Ritter.

C’est avec beaucoup de courage dans les yeux et de la conviction dans la voix qu’Abdool Ridwan Firaas Ah Seek, sûr de lui et content d’avoir été au bout de sa démarche, nous raconte sa journée du mardi 16 novembre, jour où l’affaire de contestation de la constitutionnalité de l’article 250, qu’il a introduite en 2019, a été prise sur le fond en Cour suprême. La Cour a entendu son témoignage et celui de Nicolas Ritter, témoin dans l’affaire. Ridwan, défendu par Me Gavin Glover, Muriel Yvon, présidente du Collectif Arc-en-Ciel, qui soutient le jeune homme dans sa démarche, et Nicolas Ritter, nous racontent ce jour très spécial pour eux et pour tous ceux qui militent pour la communauté LGBTQ+.

Abdool Ridwan Firaas Ah Seek qui a introduit l’affaire en 2019 : «J’ai senti que les juges m’ont écouté»

 

Un jour pas comme les autres : «Cette journée du mardi 16 novembre 2021 a été, pour moi, riche en émotion. Il y avait de la pression, de l’inquiétude mais en même temps, il y avait ce feeling de fighter, du petit guerrier qui est en moi et qui veut aider à faire des choses et surtout à faire avancer les choses. Ça a pris un peu de temps avant que ça ne commence en cour mais une fois que ça a commencé, ça s’est très bien passé. On est sortis de la Cour suprême avec un positive feeling. En tout cas, j’espère qu’on va gagner... On y croit. C’était une première pour moi, de devoir m’exprimer devant la Cour suprême et devant deux grands juges. Je me sentais, par moments, stressé. Quand je me suis retrouvé dans le box, j’ai cru que j’allais mourir. J’ai eu peur de ne pouvoir parler ou encore de fondre en larmes. Mais porté par les bonnes vibes et l’amour de tous ceux qui croient en cette bataille, ça m’a vite passé. Je n’ai fait que raconter mon histoire, en toute honnêteté. Je n’ai rien inventé ni menti. J’ai d’ailleurs juré de dire que la vérité et c’est ce que j’ai fait. Certes, ils faisaient leur travail mais pour moi, les juges ont été à l’écoute. J’ai senti qu’ils m’ont écouté. Je me donne aujourd’hui à fond dans cette lutte parce que beaucoup de personnes ont compris que leurs droits, à travers cette Section 250, sont mis en péril. Un changement dans la loi apportera du réconfort dans la tête de beaucoup de gens. Parce que c’est bien de se sentir protégé par la loi. Quand je marche dans la rue et que quelqu’un me traite de criminel, et je l’ai vécu, je dois avouer que, même si l’acte est méchant et que c’est un manque de respect, que cette personne n’a pas tort parce qu’aux yeux de la loi, je suis un criminel. Et c’est ce qu’on veut changer.»

 

Au nom de tous ceux qui partagent ma réalité : «Je remercie tous ceux qui m’ont entouré. J’ai été bien soutenu et encadré, déjà par le Collectif Arc-en-Ciel, par des amis et par quelques membres de ma famille. Je ne me suis senti seul à aucun moment. Les avocats ont fait un énorme travail et je les remercie. Je me suis préparé en faisant un travail sur moi-même. Je me suis dit qu’il fallait y aller, qu’on ne pouvait pas reculer parce que la balle était déjà lancée et il n’était pas question que je recule. C’était à la fois stressant mais il y avait aussi ce sentiment fort de vouloir bien faire. Pour moi, cette action, c’est pour emmener un changement pour moi-même mais aussi pour tous ceux qui partagent ma réalité. Il s’agit d’un combat pour enlever certaines discriminations qui durent depuis trop d’années...»

 

Un engagement : «C’est important pour moi de m’engager dans cette bataille en tant que personne et en tant que citoyen de notre île. On est dans un pays libre où on peut s’exprimer en respectant les autres autour de nous mais en même temps, on a cette loi qui nous enchaîne pour un acte qui se fait en tout consentement et en privé. Je suis contre toutes les formes de discrimination et en tant qu’homosexuel, je fais partie de cette communauté qui est visée par cette loi. C’est très important de faire la différence quand l’acte est commis avec consentement. Ça ne devrait pas être une offense. À travers cette loi, je vis matin et soir enchaîné. En d’autres mots, je ne suis pas aussi libre que notre Constitution veut le faire croire. Je me dis  que  je vis sous la menace que la police puisse à n’importe quel moment venir frapper à ma porte pour venir m’arrêter parce qu’il y a eu un doute ou un soupçon que je pratique la sodomie. Je ne fais de mal à personne. Il s’agit de relation consentante et ce qui se passe dans ma chambre, dans mon intimité, en privé, entre deux adultes consentants, ne devrait pas être un problème devant les yeux de la loi, de l’État et de n’importe qui...»

 

Au fil de ces dernières années : «Depuis que je me suis lancé dans cette bataille juridique, je ne cache pas que j’ai ressenti une petite peur à un certain moment. J’avais la crainte que certains opposants viennent m’agresser et je me suis aussi demandé si je ne risque pas de me faire arrêter parce que je m’expose comme une personne qui pratique la sodomie. Car il faut le préciser encore, même si c’est entre personnes consentantes, c’est illégal selon notre Constitution. À un moment, j’ai pensé à tout cela. J’ai aussi eu des amis qui sont venus vers moi pour me demander pourquoi je me lançais dans une telle action, que j’avais une petite vie tranquille et tout, et que je pouvais me contenter de cela mais cette bataille, j’ai choisi de la mener et je compte la mener jusqu’au bout...»

 

Ma mère, mon équilibre : «Ma maman a toujours été à mes côtés, elle m’a soutenue et elle était d’ailleurs en Cour mardi. On a une relation très fusionnelle et c’était important pour moi qu’elle soit là. C’est aussi son combat. Une partie de ma famille n’est peut-être pas d’accord avec ma réalité mais je sais que je peux compter sur ma mère dans tous les combats que je mène. C’est encourageant. En la sachant avec moi, à mes côtés, je me suis senti plus fort et rassuré. Cette parenthèse me permet de m’adresser aux parents : c’est très important de soutenir votre enfant. Je reste le fils de ma mère, même si je suis gay. Votre enfant reste votre enfant, même s’il est gay.»

 

Les jours d’après : «Après mon témoignage, je me suis dit : j’aurais dû dire ça ou encore ajouter cela mais quand j’ai vu cet élan de réjouissance de la part de tous ceux qui étaient présents, comme ma maman, mes amis et les membres du collectif, j’ai compris qu’il y a comme moi beaucoup de monde qui croient en cette lutte. Il y a eu beaucoup d’émotion. C’était formidable. J’ai reçu des positive vibes de la part de tout le monde...»

 

Paméla, la mère de Ridwan : «Je suis fière de mon fils»

 

«Mon fils s’est bien exprimé et j’ai bien apprécié sa démarche. Il a dit ce qu’il devait dire et je suis fière de lui. Li pa pe koz pou litousel. Li pe koz pou tou dimounn ki dan mem sitiasyon ki li. Mo espere ki nou arriv inpe plis devan ar sa. Je l’ai toujours soutenu...»

 

Nicolas Ritter, témoin dans l’affaire : «Un changement constitutionnel potentiel pourrait empower les gens»

 

Pourquoi j’ai accepté d’être témoin : «Quand on mène la lutte contre le sida, on s’intéresse à tous ces cadenas qui favorisent la transmission du VIH et la criminalisation de la sodomie en est un. Pour moi, c’était tout à fait logique de dire oui quand des membres du Collectif Arc-en-ciel m’ont approché en me disant qu’ils allaient ‘‘filer’’ un case en cour sur l’anticonstitutionnalité de l’article 250 du code pénal et qu’ils souhaitaient avoir mon appui comme témoin. J’ai voulu, bien évidemment, apporter mon soutien à cette lutte. C’était tout à fait logique, en tant que personne engagée depuis 25 ans dans la lutte contre le sida et les droits humains, en tant qu’ambassadeur auprès de l’Union européenne pour la campagne Rise and Shine, de me jeter dans cette bataille. Je ne pouvais que dire oui. Il n’était pas question de se défiler. Au contraire, je n’en croyais pas mes oreilles.»

 

D’une étape à une autre : «Je trouve extraordinaire que le collectif réussisse à aller au bout de cet objectif qui était là depuis quelques années. Car lors des cinq dernières marches au moins, on avait, de façon très explicite, des panneaux qui dénonçaient cet article du code pénal. C’est un travail de longue haleine qui a été mené et qui n’a pas non plus complètement abouti. Il ne faut pas non plus crier victoire trop tôt. Il y a encore plusieurs étapes qui arrivent. Nous sommes à la première étape et, pour moi, c’était absolument indispensable que je sois partie prenante de cette lutte. Je suis également cofondateur du Collectif Arc-en-ciel et dans cette optique, quand nous avions réfléchi à l’organisation d’une telle ONG, une des principales missions, c’était de lutter contre l’homophobie et l’homophobie se réfugie souvent derrière cette loi coloniale qui date de 1838. Le Collectif Arc-en-Ciel a pris le taureau par les cornes. Je dis chapeau à Ridwan d’avoir eu ce courage.»

 

En attendant un éventuel changement : «J’ai toujours dit et je le répète encore, ce ne sont pas les lois qui vont faire changer les mentalités du jour au lendemain. Mais quand on a un verrou comme l’article 250 qui nourrit l’homophobie, je pense que pour une personne gay, bi, trans..., un changement constitutionnel potentiel pourrait certainement empower les gens d’une façon plus constructive et va probablement aider des personnes à mieux s’assumer et ne pas être considéré comme un criminel en puissance. Tout ne sera pas rose et merveilleux pour la communauté LGBT, avec un éventuel changement de la section 250. Non, il y aura encore beaucoup de défis mais je pense que ce sera plus facile pour des personnes de faire reconnaître leurs droits. Il n’y aura plus cette épée de Damoclès sur la tête des personnes gay, bi ou trans, dans le sens où ils peuvent potentiellement faire face à des poursuites juste parce qu’elles aiment quelqu’un et qu’elles l’expriment entre les murs de leur chambre à coucher. Il est vraiment temps que cela change. Maurice faisait partie des pays pointés du doigt par les Nations unies, l’OMS, l’ONU SIDA, l’UNDP, entre autres, parce que cette loi rétrograde est encore là et elle doit sauter.»

 

Muriel Yvon, présidente du Collectif Arc-en-ciel : «C’est déjà une petite victoire»

 

Un jour mémorable : «Cette journée du 16 novembre 2001 est qualifiée d’importante parce que le collectif a été créé avec Nicolas Ritter et d’autres personnes il y a une quinzaine d’années pour combattre l’homophobie et la section 250 qui est clairement dirigée vers la communauté LGBT. C’était très important pour nous de soutenir Ridwan. Il est dans le collectif depuis plusieurs années. Il a été président et vice-président aussi, et est quelqu’un de très actif au sein du collectif. Pour nous, c’était clair qu’on devait soutenir Ridwan dans sa démarche, certes, personnelle mais c’est aussi important pour le collectif dans son combat contre les discriminations. J’ai vu un jeune homme très courageux venir devant une Cour suprême parler de sa vie privée. J’ai vu de la bravoure. Oui, il se bat en son nom personnel mais nous savons aussi, de par ses engagements au fil de ces dernières années, qu’il ne le fait pas uniquement pour lui mais pour tout le monde. Il y avait aussi une émotion palpable. On n’arrivait pas à croire que ce jour était enfin arrivé. On a accepté de nous entendre ou plutôt d’entendre Ryan et ça rend cette journée très particulière.»

 

Un pas après l’autre... «On ne crie pas victoire tout de suite mais c’est déjà une petite victoire du fait que la cour a voulu entendre ce case. On est en train de challenger la constitutionnalité de cet article 250 et le fait que les membres du Collectif Arc-en-Ciel et ses membres exécutifs, de même que ses alliés dans la lutte, se soient retrouvés en cour le mardi 16 novembre autour d’une telle actualité rend ce jour très spécial. C’est un commencement. On sait que l’affaire va prendre un peu de temps mais ce n’est que le début du combat. Ce qu’on demande, ce ne sont pas des lois en plus. Pas du tout. On demande les mêmes droits pour tout le monde. Cet article 250 est comme une épée de Damoclès sur la tête de beaucoup de monde. Cette loi concerne également les hétérosexuels. C’était important pour nous, le collectif, d’être un soutien pour Ridwan mais aussi pour toute la communauté LGBT de par la mission du collectif.Ce qu’on reproche à la section 250, c’est que c’est une loi qui est là et qui discrimine. Cette loi porte énormément préjudice à ces êtres humains qui essaient de vivre normalement. Ils veulent juste s’aimer. C’est une loi archaïque qui n’a pas lieu d’être. L’État n’a pas à s’ingérer dans la vie privée sexuelle des gens. Nous faisons aujourd’hui la différence entre le viol et la sodomie consentante entre deux adultes. C’est une loi qui discrimine et qui est utilisée parfois pour incriminer une personne à tort. On peut, certes, ne pas gagner mais quoi qu’il arrive, on ne va pas baisser les bras. C’est déjà fantastique d’avoir mis un pied à la Cour suprême. C’est déjà une petite victoire d’avoir été entendu.»

 

What’s next ? «Il y a une autre partie légale qui se déroulera l’année prochaine en février et qui impliquera particulièrement les avocats. En attendant, nous, au collectif, nous allons continuer notre combat comme nous le faisons depuis ces dernières années. C’est très bien si les lois sont amendées mais cela ne veut pas nécessairement dire que les mentalités évoluent...»

 

Me Gavin Glover, avocat de Ridwan : «C’est une date à marquer d’une pierre blanche»

 

«Ça fait deux ans depuis que nous avons été mandatés par Abdool Ridwan Firaas Ah Seek et le Collectif Arc-en-Ciel pour porter cette affaire en Cour suprême. Elle a été assez vite par les temps qui courent. Nous avons eu une date assez rapprochée pour entendre le procès. Le procès a été entendu le premier jour qui a été fixé. C’est très rare. Nonobstant certaines objections et certaines demandes de renvoi de la part de l’État, nous sommes contents que Ridwan ait pu déposer et que Nicolas Ritter, son témoin, ait aussi déposé. Aujourd’hui, l’affaire est terminée, les témoignages sont terminés. Nous allons probablement plaider les points de droit au début de l’année prochaine, en attendant que l’affaire Fokeerbux soit entendue par le même juge au début de l’année prochaine, en février. C’est une date à marquer d’une pierre blanche parce que de contester le code pénal et de venir arguer que cette provision est anticonstitutionnelle alors qu’elle existe depuis quasiment 200 ans sur les livres est très intéressant et est quelque chose que tout avocat aimerait plaider. On ne conteste pas une provision du code pénal tous les jours de sa carrière.»

 

L’article 250 : explication... «Promulgué dans sa version actuelle en 1898, cet article est une relique de notre passé colonial et d’une vision passéiste et révolue des rapports sociaux. En criminalisant deux adultes du même sexe et consentants dans leur intimité, l’article 250 est en violation de la Constitution mauricienne, la loi suprême de notre pays. Les personnes reconnues coupables en vertu de cette loi encourent une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. L’article 250 contrevient à plusieurs droits fondamentaux constitutionnels, notamment à ceux de l’égalité, de la vie privée, de la liberté d’expression, de la liberté personnelle, de la protection contre la discrimination et la protection contre tout traitement inhumain et dégradant», explique la communication du collectif Arc-en-Ciel.

 

Marie-Noëlle Elissac-Foy, consultante en relations publiques pour le CAEC sur l’affaire Section 250 : «J’ai vu en Ridwan une personne courageuse»

 

«Cela fait deux ans que j’accompagne le Collectif Arc-en-Ciel en relations publiques stratégiques autour de l’affaire Section 250. Nous avons toujours placé notre communication sur le plan des droits humains. Et il fallait tread very carefully sur le plan de la communication et écouter l’équipe légale. L’enjeu était trop important. Durant cette journée en Cour suprême, j’ai vu en Ridwan une personne extrêmement courageuse qui portait une grande responsabilité. Je reste admirative de son courage. Et j’étais très heureuse, après le hearing, de pouvoir enfin communiquer sur cette journée historique. Ce travail aux côtés du CAEC et de Ridwan a fait de moi une meilleure personne.»