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Arvind Nilmadhub, économiste : «L’ombre du chômage plane et une perte de revenus est à prévoir»

Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, l’a souligné : la croissance économique du pays sera négative en 2020, en raison du confinement sanitaire lié au Covid-19. Quelles sont les prévisions pour notre île suite à cette crise économique et à quoi doivent s’attendre les Mauriciens dans les prochaines semaines ? Parole à l’économiste Arvind Nilmadhub.

En quoi cette crise financière est-elle différente des précédentes ?

 

La grande dépression de 1929 était due à l’effondrement soudain et dévastateur des cours boursiers américains. La crise financière de 2008 était une crise bancaire due à trop de créances douteuses. Toutes ces crises ont été causées par l’écroulement du secteur financier. Le confinement décrété pour combattre le Covid-19, et donc l’arrêt des activités économiques à travers le monde, a entraîné l’écroulement de tout un système. Le choc que subit l’économie mondiale en 2020 est tout à fait différent car la pandémie est le plus grand test du système financier d’après-crise à ce jour. Elle constitue un choc macroéconomique mondial sans précédent, poussant l’économie mondiale dans une récession d’une ampleur et d’une durée incertaines.

 

Le monde est déjà en récession économique selon le Fonds monétaire international (FMI). Quelles sont vos prévisions pour Maurice ?

 

Ce que nous vivons en ce moment est sans précédent. D’ailleurs, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les bourses sont en chute libre et le prix du pétrole est en baisse. Si on continue sur cette tendance, plusieurs pays seront au bord du collapse. Là, je pense à des pays qui dépendent du pétrole et de l’immobilier, comme les Émirats arabes unis. Il faut être réaliste. Notre économie va souffrir. Et là, je pense spécialement au tourisme, à l’immobilier, au transport et à l’effet ricochet sur les autres secteurs formels et informels. Comme les pays européens sont également affectés, leur priorité est de minimiser leurs pertes. Idem pour les gens ; la priorité est la sécurisation des emplois. Dans cette situation, on est sûrs d’avoir une baisse des arrivées touristiques et une baisse des demandes pour les projets de Property Development Scheme.

 

Selon certains observateurs, les mesures prises par le gouvernement jusqu’ici ne seront pas suffisantes pour empêcher les licenciements et les fermetures d’entreprises. Qu’en pensez-vous ?

 

Contrairement à ce qui s’est passé lors des épidémies précédentes, la plupart des pays sont venus de l’avant avec un plan d’aide pour soutenir leur économie et leur population. Les bailleurs de fonds sont ainsi en train de faire de sorte que l’économie mondiale ne s’écroule pas. Notre gouvernement a aussi emboîté le pas et a mis à disposition diverses mesures pour nous protéger. Cependant, je pense qu’il faut que le gouvernement, en collaboration avec le secteur privé et les économistes, dégage une stratégie sur le court terme, deux ans au moins, pour remonter la pente.

 

L’ancien ministre des Finances, Rama Sithanen, propose la mesure helicopter money pour bail out des entreprises. Toutefois, les spécialistes ne sont pas d’accord avec lui. Quel est votre avis ?

 

En termes simplifiés, l’helicopter money est l’impression de la monnaie par la Banque de Maurice pour la remettre au gouvernement, de telle sorte que ce dernier ne sera pas dans l’obligation de la rembourser, ce qui contiendra l’augmentation probable de la dette publique. Ainsi, le gouvernement pourra utiliser cet argent pour financer ses dépenses et d’autres plans de soutien et de relance. L’idée en soi est bonne. Cependant, il faut savoir que le rôle principal de la Banque de Maurice est de contenir l’inflation, alors que l’helicopter money est une mesure inflationniste.

 

Quels genres de plans d’aide voyez-vous pour notre île ?

 

Il n’y a pas mille solutions dans la conjoncture actuelle mais quelques solutions drastiques, faisables et implémentables. Même les mesures controversées doivent être à l’agenda et là, je pense notamment à la vente du passeport mauricien à des personnes très fortunées. Il faut que les gens comprennent que cette mesure va augmenter les réserves de devises étrangères de notre pays. Et c’est dans des situations de crise comme celle que nous vivons actuellement qu’on a besoin des devises pour aider notre pays.

 

Qui dit plan d’aide, dit source de financement. D’où va venir cet argent ?

 

Il y a différents moyens de financer tout cela. Tout d’abord, l’argent viendra des sources qu’on a déjà. C’est-à-dire par des collectes que l’État fait, comme la taxe sur la consommation et le revenu, et les frais des permis. Le gouvernement peut aussi se financer par des emprunts à des banques locales et des bailleurs de fonds comme la Banque mondiale. Il faudra une reforme structurale dans tous les domaines d’activités.

 

D’ici quand peut-on s’attendre à une meilleure situation ?

 

Avec le confinement à travers le monde et les conséquences engendrées, je pense que dans le meilleur des cas, la situation va s’améliorer en 2021.

 

À quoi doivent s’attendre les Mauriciens dans les prochaines semaines ?

 

À une situation difficile pour tout le monde. L’ombre du chômage sera là et une perte de revenus est à prévoir pour les entreprises et les personnes qui sont à leur compte. Les Mauriciens doivent revoir leurs priorités. Il faut surtout que tous soient unis pour qu’on puisse sortir de cette impasse.

 

Vous avez préparé un document que vous allez faire parvenir au ministre des Finances. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Il s’agit de propositions qui pourraient aider à remédier à la situation liée à la crise et qui pourraient aider à augmenter les revenus. Dans les grandes lignes, je propose que les autorités accordent une attention particulière à des institutions publiques et paraétatiques. Tout comme Air Mauritius, il y a d’autres institutions, le Casino de Maurice par exemple, qui risquent de se retrouver dans le rouge. Ce serait souhaitable que les autorités y mettent de l’ordre.

 


 

«The Great Lockdown»

 

Il faut désormais compter avec lui. Alors que le monde se débat actuellement contre le coronavirus, voilà qu’un autre mal se met de la partie : la crise économique. Comme toutes les grandes crises, celle de 2020 a été baptisée par le FMI The Great Lockdown, soit Le grand confinement, en référence aux précédentes crises : la Grande dépression des années 30 et la Grande récession de 2009 qui a suivi la crise financière mondiale. C’est l’économiste en chef du FMI, Gita Gopinath, qui a employé l’expression en dévoilant les dernières prévisions pour l’économie mondiale. Depuis, le nom a fait le tour du monde.

 

Les jours à venir s’annonce difficiles. Dans son scénario, le FMI prévoit un recul de la croissance de 3 % au niveau mondial. Ce qui ramène l’économie mondiale aux heures de la crise de 1929. Au Luxembourg, la chute serait de 4,9 % cette année. Le FMI a ainsi revu toutes ses prévisions depuis le déclenchement de la crise sanitaire. La mise sous cocon des économies du monde entier provoquera bel et bien la pire crise économique vécue depuis celle de 1929. «Il s’agit d’une véritable crise mondiale car aucun pays n’est épargné», lance Gita Gopinath, avant d’ajouter que «les pays dont la croissance repose sur le tourisme, le voyage, l’hôtellerie et le divertissement connaissent des perturbations particulièrement fortes».

 

À Maurice, cette crise financière est aussi au centre des préoccupations. Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a aussi prévenu que l’économie mauricienne s’enfonce dans une crise. C’est lors d’un point de presse récemment qu’il a brossé un sombre tableau de notre économie. Cette situation est due à l’arrêt des activités depuis le 19 mars, en raison de la pandémie de Covid-19. Le ministre des Finances a expliqué que le taux d’investissement chutera de 11 à 18 %, alors que le chômage se dégradera davantage, pour passer de 6,7 % de la population active à 17,5 %, soit dans la même proportion estimée par le FMI.