Ce parti politique est sur tous les fronts, même sur celui des réseaux sociaux. Et son initiative fait du bruit.
Métal contre métal. Deux casseroles qui s’entrechoquent. Accrochage entre une cuillère en métal et une poêle. Des moules à gâteaux qui font de la résonance. Du simple bruit, du tapaz sans rythme, une symphonie discordante et contestataire. Pas une cacophonie, non : la mélodie de la protestation rassemble, fédère, mobilise hommes et femmes contre le pouvoir. Vous n’êtes certainement pas passé à côté (ou si c’est le cas, ce n’est pas grave, nous vous faisons un topo) d’un mouvement lancé par Rezistans ek Alternativ (R&A) et qui a pris les réseaux sociaux d’assaut. C’est simple : avec le hashtag #aretmoulougande (qui veut dire : arrêtez de comploter), des utilisateurs de Facebook postent des vidéos d’eux faisant du bruit avec des ustensiles de cuisine en mode live.
En plus de remettre au goût du jour une expression du kreol morisien un peu oubliée, cette initiative s’inspire d’une pratique de contestation qui n’est pas nouvelle, si on oublie l’aspect réseaux sociaux bien sûr (voir plus bas). Une façon de prendre position, d’exprimer son indignation. Alors, certains Mauriciens ont décidé de s’emparer du concept pour dire leur colère face à la passation de pouvoir entre sir Anerood Jugnauth et son fils Pravind, désormais Premier ministre. Mais aussi pour dénoncer toutes ces «magouilles» qui pourrissent le pays (l’accaparement des plages, par exemple). Et pour dire leur peur face à ce que certains qualifient de tentative de museler la liberté d’expression suite à la décision de la police d’interdire la manifestation du 4 février (qui se tiendra finalement le 11 février), organisée par ce parti politique.
Ce serait une conséquence de la plainte de R&A suite à ce que l’opposition qualifie de deal papa-piti, selon les membres de cette formation politique (voir plus bas). C’est pour toutes ces raisons que Dylan Allagapen, jeune entrepreneur de 28 ans, s’est lancé et a fait une vidéo, deux casseroles en main : «Ces ustensiles de cuisine sont un symbole de protestation contre la situation économique et politique. Ça permet au peuple de faire entendre sa voix aux dirigeants.» De plus, explique-t-il, enn karay, c’est accessible à tous. Avec le parti dont il est membre, il participe à un mouvement en avant, semeur de la graine du changement. Pour cela, les jeunes de R&A sont sur tous les fronts, en compagnie de leurs aînés. Le mot d’ordre est : agir.
La succession au poste de Premier ministre est restée en travers de la gorge de Dylan. Il n’aurait jamais cru qu’une situation pareille pouvait se produire dans l’île Maurice de 2017. «Je trouve que c’est dégoûtant dans tous les sens : éthiquement, moralement et légalement. C’est une histoire de père et de fils qui fait fi de la Constitution et de la présidence. Je n’aurais jamais imaginé qu’en 2017 un Premier ministre élu par le peuple pouvait passer le pouvoir comme ça à son fils. C’est digne d’une république bananière.»
Odeur de pourriture
Actrice de son petit film en mode #aretmoulougande avec des amis, Delphine Momplé, 29 ans, est employée dans le privé. Elle a perçu une odeur de pourriture : «On a ressenti tout ça comme un complot, comme quelque chose qui se faisait derrière notre dos. Comme si c’était une dictature et que, de toute façon, nous les citoyens, nous n’avions pas notre mot à dire.» Il est impensable de laisser les pleins pouvoirs à ceux qui nous dirigent, de se laisser manipuler par eux : «Des invitations sont envoyées pour la prestation de serment avant même que SAJ ne démissionne ? C’est choquant.» Dans sa ligne de mire, également, la présidence de la République : «Il n’y a pas d’indépendance ? Elle fait ce qu’on lui dit et c’est tout ?»
Dans le cœur des jeunes engagés, la colère gronde. Néanmoins, il leur est impensable de baisser les bras. Alors, ils ont décidé de se battre pour l’île Maurice dont ils rêvent. Et le silence n’est pas une option : «Ces dirigeants doivent comprendre que la monarchie, c’est fini depuis longtemps. Un père qui donne le pouvoir à son fils sans élection ? Je trouve ça injuste. L’esclavagisme, c’est fini maintenant. Nous allons réclamer notre liberté», explique Shidan Ragavoodoo, 27 ans et engagé dans le social, qui a aussi fait un live. La liberté de dire et de redire que les Mauriciens ont voté pour un gouvernement avec SAJ comme Premier ministre, estime Nirvana Varma qui a aussi fait s’entrechoquer des casseroles : «Kot nu pe ale ? Si tous les politiciens se permettent d’agir ainsi, de bafouer notre liberté et nos droits, que ferons-nous ? C’est le moment de nous réveiller et de ne pas nous laisser faire.»
La jeune femme invite d’ailleurs d’autres Mauriciens à se mettre au #aretmoulougande. Du métal contre du métal. Des hommes et des femmes contre le pouvoir.
Karay : tout un symbole
Prendre des casseroles et faire du bruit pour exprimer la colère, c’est un concept qui date. Des années 70 au Chili, pour faire plus précis, où des personnes ont utilisé ces ustensiles de tous les jours, d’abord pour protester contre une pénurie de nourriture et ensuite pour contester le régime dictatorial d’Augusto Pinochet. Plus récemment, c’est lors des manifestations Nuit Debout en France que les fameuses cacerolazos ont été entendues.
Définition
MOULOUGANDE [mulugãde] v. Fer konplo kont enn dimunn. Kot to trouv zot, zot pe moulougande dan enn kwin. – Fr. comploter ; ang. to plot.
CARPOORAN Arnaud, Diksioner Morisien, première édition (Koleksion Text Kreol, 2009).
Dans le concret : une plainte et une manifestation
Une plainte. R&A l’avait annoncé : le parti contesterait la passation de pouvoir entre le père et le fils Jugnauth. Et il l’a fait sans perdre de temps. Un Constitutional Case a été déposé en Cour en début de semaine pour contester cette succession. Tous les ministres du gouvernement sont également cités. C’est sur le vide constitutionnel concernant la succession au poste de chef du gouvernement que se base principalement R&A. «L’article 60 évoque que ce poste devient vacant quand le PM démissionne comme député ou alors s’il y a une motion de censure qui défie la majorité que détient le leader of the House», explique le parti de gauche dans un document. L’affaire sera appelée en Cour suprême le 16 février.
Manifestation prévue pour le 11 décembre*. Elle devait avoir lieu le 4 février mais la police a objecté à ce rassemblement car le parti politique n’aurait pas le préavis de sept jours nécessaire pour organiser une manifestation. Les animateurs de ce parti ont, eux, une autre lecture de la situation : «Avec ces prises de décision, le Commissaire de Police laisse penser qu’il n’est plus indépendant, qu’il agit afin de faire plaisir au régime gouvernemental en place. D’ailleurs, il serait judicieux qu’il vienne justifier sa décision en prenant en ligne de compte deux événements où le délai de sept jours n’a visiblement pas été respecté», peut-on lire dans un communiqué émis par le parti.
Ces deux événements sont les suivants : la manifestation du 27 janvier du PMSD et du PTr, et le rassemblement des partisans MSM lors de la prestation de serment de Pravind Jugnauth en tant que Premier ministre.
*Elle se tiendra à partir de 10h30 au Jardin de la Compagnie.