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Rescapés : la douloureuse reconstruction

Il essaie d’avancer avec sa petite famille.

Ils ont un point en commun : ils ont survécu à de graves accidents qui ont fait plusieurs morts. Pour une raison, le destin les a épargnés, mais ils vivent depuis avec un terrible traumatisme, hantés par les souvenirs atroces du drame qui a pris la vie à d’autres. Parole à des «grands» rescapés.

Loïc Laviolette : «C’est difficile d’oublier»

 

Il esquisse un sourire forcé et sans joie quand on lui demande de revenir sur le tragique événement du 17 avril 2005. Ce jour-là, aux petites heures du matin, Loïc Laviolette rentre chez lui à Saint-Paul, en compagnie de son frère Harvey et de quatre amis, quand leur voiture entre en collision avec un autobus de la Compagnie nationale de Transport. Le bilan est lourd : trois morts, dont son frère, et trois blessés.

 

Aujourd’hui, Loïc Laviolette, âgé de 33 ans, n’a qu’une cicatrice au front comme souvenir physique de ce drame. Mais les autres souvenirs, eux, sont très nombreux. «C’est difficile d’oublier. Les images de ce terrible accident me reviennent souvent, notamment à chaque fois que je pense à mon frère», confie tristement le jeune homme. Marié et père de deux filles âgées de 4 ans et un an et demi, il a quitté la maison familiale à St-Paul et vit à Curepipe depuis cinq ans. «C’était important pour moi de changer d’air. C’est dur de voir ma mère souffrir tous les jours. Nous étions à cinq frères et deux sœurs. Je suis l’avant dernier et Harvey était le cadet», dit-il.

 

Après le 17 avril 2005, il n’y a plus jamais eu de fête familiale chez les Laviolette à Bechard Lane. «Nous n’avons plus le cœur à la fête. J’essaie autant que possible de ne pas penser à l’accident, même si c’est difficile. Je me consacre à mon travail et à ma famille. J’ai fait un choix. C’est très dur. Je l’assume. Aujourd’hui, il n’y a que mon épouse Sabrina et mes filles Nayeli et Gayanne, qui comptent à mes yeux», souligne le jeune homme. Quand il repense à l’accident, les regrets l’assaillent.

 

Ce dimanche-là, la petite bande d’amis revient d’une soirée. Aux alentours de 5h50, dans le tournant à proximité de la pâtisserie Karlos à La Caverne, leur voiture quitte sa voie et entre en collision avec un autobus de la CNT qui vient en sens inverse. La collision est fatale pour le conducteur de la voiture, Vijay Seeboruth, ainsi que Harvey Laviolette et Rajiv Conhyea. Loïc Laviolette, Devanand Conhyea, le frère de Rajiv, et Adish Mawooah sont blessés. Après dix ans, ils ont toujours du mal à s’en remettre.

 


 

 

Jacques Désiré Laval Bhugon : «J’ai toujours peur…»

 

 

Le 31 mars 2012, il a cru que sa vie allait s’arrêter net dans le virage de Sorèze. Car ce jour-là, Jacques Désiré Laval Bhugon a vu la mort de très près. «Je n’oublierai jamais ce qui s’est passé ce jour-là.» En ce samedi, il se trouvait à bord d’un poids lourd conduit par Clifford Lascarie, un habitant de Roche-Bois, lorsque les freins du véhicule ont lâché. Dans sa course folle, le poids lourd heurte une fourgonnette. Les deux véhicules font plusieurs tonneaux avant de s’arrêter.

 

«Le camion était sens dessus dessous. J’étais seul à l’intérieur de la cabine. Je ne voyais pas mon collègue, mais j’entendais ses hurlements. Je l’ai aperçu, coincé dans un amas de ferrailles. Il saignait. Au même moment, des gens m’ont extirpé du véhicule et transporté à l’hôpital. Quelques minutes plus tard, j’apprenais le décès de Clifford. C’était terrible», avance Jacques Désiré Laval Bhugon, aide-chauffeur pour la compagnie Innodis. Depuis ce jour-là, dit-il, sa vie n’est plus la même.

 

«J’ai toujours peur lorsque je suis sur la route. C’est d’autant plus dur que je fais toujours le même métier et que, chaque jour, j’emprunte la route où le drame s’est joué et où j’ai failli perdre la vie. J’ai toujours une pensée pour Clifford quand j’emprunte cette route au quotidien.» Suite à cet accident, Jacques Désiré Laval Bhugon avait souffert de plusieurs fractures à la jambe. Ce qui lui avait nécessité, un repos de quatre mois. Aujourd’hui encore, il en porte les séquelles.

 

«Je boite et j’ai toujours des douleurs musculaires. Je n’ai qu’un conseil à donner aux automobilistes. C’est d’être prudent et courtois sur la route. Car en une fraction de seconde, tout peut basculer», dit-il.

 


 

 

Nicolas Soopramanien, psychologue clinicien : «Il est important de se faire accompagner…»

 

 

La reconstruction est une étape importante après un accident fatal. Le psychologue Nicolas Soopramanien explique que cet exercice ne doit pas être négligé dans la vie d’un rescapé ou dans celle d’un proche d’une victime d’accident de la route, et ce pour plusieurs raisons.

 

La première raison est que le rescapé éprouve un sentiment de culpabilité. Des questions le rongent. Pourquoi a-t-il échappé à la mort. Pourquoi lui ? Il ressent également un sentiment d’impuissance et de colère lorsqu’il n’a rien pu faire pour sauver l’autre. Le parent ou proche d’une victime, quant à lui, est accablé par la tristesse. Son deuil est très difficile, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant. «Ce n’est pas dans la logique des choses d’organiser les funérailles de son enfant», souligne le psychologue.

 

Pour celui qui tue un inconnu, c’est également très dur, surtout lorsqu’il a commis une faute comme la conduite en état d’ivresse, l’excès de vitesse ou le non-respect du code de la route. Pour le proche qui tue un autre proche, le regard des autres est marquant et le sentiment de culpabilité est très grand. Son entourage ne doit toutefois pas le rejeter, car «c’est celui qui éprouve les plus grosses difficultés à se reconstruire»,
précise Nicolas Soopramanien.

 

La reconstruction est pénible. C’est pourquoi ce processus nécessite un encadrement. «Il est important de se faire accompagner pour se reconstruire», affirme le psychologue, car il est indispensable pour la personne de pouvoir parler afin de prévenir, entre autres, une tendance suicidaire.

 

Plusieurs personnes peuvent servir d’écoutants, à savoir le médecin de famille, un psychologue ou psychiatre, un proche, un religieux ou encore un travailleur social. Le cadre familial joue également un rôle important. «Celui qui passe par des moments difficiles a besoin de soutien. On doit lui prêter une oreille attentive», dit notre interlocuteur.

 

Le psychologue estime qu’il est grand temps de créer une structure pour écouter les personnes qui ont besoin d’aide après un accident mortel. Vincent Vardin, travailleur social et membre du collectif des ONG, partage cet avis : «Cela se fait déjà à l’étranger. Il y a des groupes de parole et des groupes de thérapie qui viennent en aide aux familles et où les personnes en souffrance sont ensuite devenues des écoutantes elles-mêmes.» 

 


 

Alain Jeannot, président de Prévention Routière Avant Tout : «Tous les usagers de la route sont responsables»

 

Cela fait des années qu’Alain Jeannot, fondateur et président de l’association Prévention Routière Avant Tout (PRAT), tire la sonnette d’alarme. La sécurité routière est devenue pour lui un combat de tous les jours, principalement en ce moment où le nombre d’accidents et de morts sur les routes ne cesse d’augmenter. Selon lui, plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation, comme le nombre important de véhicules pour un petit pays comme le nôtre et la composition du parc. Maurice comptait 465 052 véhicules, dont 187 851 deux-roues, en décembre 2014. «Avec un tel pourcentage de deux-roues, il est exceptionnel que nous affichions un taux de 11,2 morts pour 100 000 habitants. En Malaisie, par exemple, où le pourcentage de deux-roues motorisés n’est que légèrement supérieur au nôtre, ce taux est de 25 morts», explique-t-il.

 

Mais il n’y a pas que ça. L’indiscipline, le non-respect du code de la route et des autres usagers, le manque de formation pratique des motocyclistes et automobilistes, ainsi que la fatigue au volant contribuent aussi à l’augmentation des accidents. Pour Alain Jeannot, le permis à points et les speed cameras, malgré les manquements qui leur étaient reprochés, sont des outils dissuasifs, «sinon, comment expliquer la baisse de 8 % du nombre de morts en 2013 et 2014 par rapport à la moyenne des huit années précédentes ? Comment justifier, pour les mêmes périodes comparées, la chute de 25 % du nombre d’accidents ?»

 

Selon le président de PRAT, il serait aussi souhaitable d’augmenter le nombre de tests d’alcoolémie, car plus de 30 % des accidents graves sont liés à la conduite en état d’ébriété. Il serait également propice, souligne-t-il, que les lois soient revues pour permettre aux piétons de reconquérir l’espace qui leur est dédié. Pour Alain Jeannot, les automobilistes ne sont pas les seuls à blâmer dans la situation actuelle : «Tous les usagers de la route sont responsables.»