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L’indicible courage

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Souvent, nous nous concentrons sur des choses futiles. Il arrive même que nous en fassions tout un plat sans penser que des événements plus graves peuvent se produire. Perdre une partie de son corps est une souffrance atroce qui marque et transforme à jamais une personne. La vie a alors un goût amer. Récemment, ils étaient presque 200 patients à recevoir gratuitement une prothèse Jaipur Foot, à l’initiative de la Global Rainbow Foundation. Malgré un handicap, ces gens ont décidé de ne pas se laisser abattre, faisant preuve d’une joie de vivre et d’un courage qui forcent l’admiration. Rencontre avec trois de ces personnes qui inspirent le respect…

Vishal Chuttoo : époux et père comblé

Il a pendant longtemps souffert, enduré le regard insistant des autres, connu un mal-être profond d’avoir une jambe en moins. Mais l’amour et le soutien des siens, principalement de son épouse Kirty, ainsi que l’arrivée de ses deux enfants, lui ont permis de dépasser cette souffrance et de vivre enfin. Les souvenirs du passé sont douloureux et le ramènent à une période difficile de sa vie. Ça se voit. Il est mal à l’aise quand il s’agit d’en parler, ne trouve pas facilement les mots.

C’est en l’an 2000 que sa vie a basculé. Vishal, helper de son état, est alors âgé de 25 ans quand la moto qu’il conduit dérape et qu’il se fait une grave blessure à la jambe gauche. «À l’hôpital, on m’a soigné et plâtré la jambe», raconte-t-il. Les choses se détérioreront lorsque les médecins constateront qu’il y a du sang caillé au niveau de son tibia, ce qui a provoqué une grave infection et une gangrène avancée. Pour les médecins, l’issue est fatale : il faut lui amputer la jambe. À l’annonce de cette terrible nouvelle, il s’effondre. Il a l’impression que sa vie va s’arrêter là : «J’étais fiancé à l’époque. Je n’imaginais pas ma vie comme ça. J’ai pleuré.»

Face à l’inévitable, Vishal se voit amputer la jambe. Une situation tragique pour lui. Alors qu’il a plus que jamais besoin de soutien, la famille de sa fiancée ne souhaite plus que les deux jeunes gens se marient. «Ils lui disaient de ne pas se marier avec moi maintenant que j’étais devenu un handicapé. C’était d’autant plus dur. Mais elle ne m’a pas quitté», dit-il, le sourire aux lèvres.

Quelques années plus tard, c’est avec une prothèse que Vishal épouse l’amour de sa vie, Kirty. De cette union naîtront deux enfants, Karishma et Vineet. Époux et père, il mène aujourd’hui une vie heureuse, bien qu’il ne puisse

pas travailler et être indépendant à 100 %. Avec ses béquilles, il s’occupe de ses enfants et de la maison : «Je fais un peu de jardinage et, quand il y a des tâches ménagères à faire, je les exécute.»

Comme des centaines d’amputés, il a lui aussi reçu une prothèse Jaipur Foot. Comme c’est tout récent, il éprouve encore des difficultés à marcher avec, mais il est déjà un homme heureux.

Narain Permall : le fonceur

Il est un des visages incontournables de Cap-Malheureux. Les habitants et les touristes le connaissent. Dans sa «tabagie», située en face de l’église du village et qu’il a ouverte il y a 23 ans, Narain Permall,

60 ans, fait des «gâteaux de l’huile», sert les clients, fait la causette assis sur son fauteuil roulant. Chaque matin, son taxi le dépose devant son lieu de travail. Ses amis l’attendent avec son fauteuil roulant et ouvrent sa boutique.

Après son amputation, l’année dernière, il a tenu à reprendre sa vie d’avant. Sa motivation et sa joie de vivre d’aujourd’hui ne laissent pas transparaître les difficultés et les moments durs qu’il a eu à traverser en un an. Et pourtant, la route a été longue et semée d’embûches.

Atteint du diabète depuis qu’il est jeune, Narain a toujours fait attention à sa maladie. Mais une petite blessure au pied a tout fait basculer. C’est après plus d’un mois qu’il s’en est rendu compte. Entre-temps, la blessure s’est infectée. Après de nombreuses visites à l’hôpital, chez différents médecins et podologues, et plusieurs traitements, c’est le coup de massue. «Quand on m’a annoncé qu’il fallait m’amputer la jambe, je n’arrivais pas à y croire. J’étais sous le choc. Je me suis dit que ma vie s’arrêtait là, que je n’allais plus jamais être le même», confie-t-il.

Incapable de l’accepter, l’homme sombre dans la dépression. Son épouse, Yassodah, s’en souvient : «On l’emmenait dans la salle d’opération et lui n’arrêtait pas de me dire qu’il ne voulait pas y aller, qu’il ne pouvait pas.» Pendant plusieurs jours, raconte Yassodah, Narain ne sera pas dans son état normal. Lui aussi n’a pas oublié. «J’étais à l’hôpital. J’hallucinais. Je voyais des choses, j’entendais des choses. Je voulais juste rentrer chez moi», se rappelle-t-il. Grâce à un suivi psychologique, au soutien de sa famille et à la prière, il est revenu, dit-il, à lui-même.

Pour son retour, la famille réaménage la maison afin de faciliter son déplacement, place des rambardes pour l’aider à être un peu plus mobile d’autant plus qu’il a aussi perdu l’usage de son œil droit avec la maladie. Bien qu’il ne soit plus autonome physiquement, Narain n’a rien perdu de sa tchatche. Peu à peu, il retrouve une certaine joie de vivre même si, dit-il, «il (lui) manquera toujours quelque chose», cette partie de lui-même. Aujourd’hui, il vit au jour le jour, content d’être là malgré tout.

Quand on lui a annoncé qu’il allait recevoir une prothèse, il s’est tout de suite vu en train de marcher, de poser un pied devant l’autre tout simplement… comme avant. Mais la frénésie a vite disparu devant la réalité. «Je pensais que j’aurais pu marcher tout de suite, mais c’est difficile de coordonner ses mouvements. En plus, la prothèse pèse lourd et je ne suis plus tout jeune», reconnaît-il.

Comme pour tous les autres, il lui faudra du temps pour apprendre à marcher avec sa nouvelle prothèse, mais Narain est bien décidé à réaliser son rêve de remarcher normalement un jour.

La leçon de vie de Yolande Marie-Jeanne

Une émotion intense brille dans ses yeux. Ses paroles, elles, ne laissent aucun doute sur sa force de caractère et sa personnalité. Sa chaise roulante et ses deux pieds en moins n’y changeront rien. À 46 ans, Yolande Marie-Jeanne est une femme debout. Les coups durs de la vie n’ont pas eu raison de sa joie de vivre. Bien au contraire ! Cette lutte constante pour vivre lui a donné la rage de vaincre qui lui permet de faire face à toutes les épreuves. Pourtant, celles-ci ne lui laissent aucun répit.

C’est en 2007 que la vie de cette habitante de Trou-aux-Biches bascule. Diabétique, elle se blesse à l’un des orteils. Une blessure qu’elle remarque trop tard et qui finit par s’infecter. Malheureusement, le scénario est le même chez toutes les personnes amputées souffrant du diabète. Après plusieurs rendez-vous à l’hôpital, la nouvelle tombe. Une nouvelle qui lui fait l’effet d’une douche froide. Elle devra se faire amputer le pouce. «Pour moi, c’était inacceptable. Je ne pouvais imaginer cela une seule seconde. Je suis sortie de l’hôpital et je suis rentrée chez moi avec la ferme intention de ne pas écouter le médecin», avoue-t-elle.

Pendant des jours, elle n’arrête pas de pleurer, elle a peur, se replie sur elle-même, prononce à peine quelques mots. La souffrance générée par la gangrène, le soutien de sa famille et sa foi en Dieu finiront par la persuader d’être stoïque. «J’ai tout remis entre les mains du Seigneur. Dans ma tête, je voulais vivre et voir mes deux enfants grandir. Je suis entrée dans la salle d’opération avec le sourire», dit-elle. Ce fameux sourire l’accompagnera pendant plusieurs années malgré le fait que la maladie ne lui laissera aucun repos. Après son premier pouce, Yolande se fait amputer son second pouce, un premier pied, puis l’autre en février 2013.

Sa vie ne sera plus jamais la même, elle le sait. Mère célibataire, elle s’est toujours battue pour ses enfants Sophia et Andy, et son petit-fils, la prunelle de ses yeux, pour leur offrir tout ce dont ils ont besoin. Débrouillarde et indépendante, Yolande n’a jamais eu peur de travailler. Du coup, quand elle se retrouve clouée dans un fauteuil roulant, incapable de se déplacer, de s’occuper d’elle-même et de ceux qu’elle aime, elle prend un sacré coup, mais garde espoir. Cependant, un jour, elle commence à perdre la vue : «C’était vraiment dur. J’avais tout accepté jusque-là, mais perdre la vue pour moi, c’était trop. J’étais en colère. Mais un jour, j’ai recommencé à voir. Pour moi, c’est un miracle.»

Pour Yolande, pas de complexe, pas de honte. Elle mène autant que possible une vie normale. Sa fille, dont elle est très proche, s’occupe d’elle comme une mère le ferait pour son enfant. Avec sa famille, Yolande sort, va faire du shopping dans les centres commerciaux, va prendre l’air à la plage et joue aux cartes, son plus grand passe-temps.

Dans son village, tout le monde la connaît comme la «dame qui n’a pas de pieds». Yolande s’en amuse. Recevoir des prothèses Jaipur Foot, une initiative de la Global Rainbow Foundation, lui a donné encore plus de courage. Cela fait 13 jours seulement qu’elle les a reçues. Le premier jour qu’elle les a essayées, elle voulait déjà marcher comme avant. Cependant, il lui faudra un peu plus de temps pour apprendre à marcher avec ses nouveaux pieds. À ce sujet, elle ne se fait aucun souci. Avec son courage et sa rage de vivre, elle y arrivera dans pas longtemps. Elle en fait la promesse.

Parole de pro

Armoogum Parsuramen, président de la Global Rainbow Foundation :

«Ils pourront remarcher, se déplacer, peut-être retravailler»

Une amputation est une étape douloureuse dans la vie d’un patient. Dans ce contexte, quel est le rôle de la Global Rainbow Foundation ?

La mission principale de la Global Rainbow Foundation est de servir les personnes handicapées. Quand j’ai vu l’incapacité de ces personnes à avoir une bonne mobilité et les difficultés qu’elles rencontrent, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. Je me suis alors mis en contact avec Jaipur Foot en Inde. 200 personnes amputées, dont huit

à Rodrigues, se sont enregistrées à ce programme.

Nous avons alors réuni les entreprises qui souhaitaient soutenir cette action, telles que SICOM, Esquel Group et d’autres partenaires. Le but était d’offrir gratuitement une prothèse aux personnes qui ont déjà beaucoup souffert à cause de leur amputation. Il leur fallait quelque chose de flexible, de pratique et de confortable qui leur permettrait de reprendre une vie normale et leur donnerait la possibilité de travailler à nouveau.

Quelles sont les réactions, les différentes phases et les émotions que ressentent ces personnes à la perte d’une partie d’elles-mêmes ?

J’ai visité plusieurs personnes amputées et je peux vous dire que c’est très dur. Quelqu’un qui avait toute sa mobilité et qui se retrouve d’un coup en fauteuil roulant, incapable de bouger, perd toute essence de vivre. Il se renferme sur lui-même, refuse de sortir. Il est déçu, frustré, perd confiance en lui, perd toute dignité. Le regard des autres et les stigmates viennent s’ajouter à son malheur. Sans compter les contraintes, comme ne pas avoir accès aux lieux publics qui ne sont pas adaptés à leur situation.

Recevoir un nouveau «pied» s’accompagne-t-il aussi d’une prise en charge médicale

et psychologique ?

Bien sûr, nous avons travaillé avec des professionnels tels qu’un médecin orthopédique, un physiothérapeute, un occupational therapist et des psychologues. Les patients ont passé deux examens médicaux et ont chacun un dossier. Ils ont également été vus par des psychologues pour mieux comprendre leur état d’esprit, ce qui est très important pour les accompagner.

La prothèse est synonyme d’espoir pour ceux qui ont été amputés. Est-ce une nouvelle vie qui commence pour eux ?

Effectivement. C’est un nouveau contrat de vie. Ils pourront remarcher, se déplacer, peut-être retravailler. Le jour où ils ont reçu cette prothèse, ils étaient heureux. Il y a eu des larmes de joie. Des témoignages sont disponibles sur notre site web : www.grftrust.org. Pour beaucoup, c’est un nouveau départ. Avec le centre Jaipur Foot qui sera ouvert dans quelques mois, nous pourrons faire des suivis sur une base bénévole et sociale. Nous allons aussi offrir des formations aux patients afin qu’ils puissent s’intégrer à nouveau dans la société et vivre dans la dignité.

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