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Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur en environnement : «Notre système d’alerte est bien rodé mais dépassé»

Le cyclone Batsirai a mis en lumière quelques failles de notre système météorologique. Alors qu’avec le changement climatique, nous serons de plus en plus confrontés à ce genre de catastrophe naturelle, quelles leçons devons-nous tirer de ce que nous venons de vivre ? Réponses avec le spécialiste environnementale, Vassen Kauppaymuthoo. 

Batsirai s’est d’abord présenté comme un cyclone de faible diamètre, avant de tous nous prendre par surprise. Y avait-il des signes qui témoignaient de la puissance de ce cyclone ?

 

Nous vivons à une époque où le dérèglement climatique est en train de démontrer que nous nous acheminons vers une catastrophe planétaire. Parmi les éléments observés, des phénomènes météorologiques plus puissants et évoluant de façon explosive. Dans le cas de Batsirai, prenant en considération les variations en intensité depuis sa formation (dépression/cyclone/dépression/cyclone) et compte tenu de la marge d’erreur sur la trajectoire donnée par les modèles numériques utilisés (plus de 100 km), il fallait réagir rapidement, comprendre que le système devait être suivi de plus près et que les choses pouvaient évoluer très rapidement. Dans de tels cas, une approche en utilisant le principe de précaution s’applique.

 

Les conditions océanographiques avec des masses d’eau plus chaudes que la normale ainsi que cette instabilité laissaient entrevoir que les choses allaient se gâter et que cette dépression n’allait pas garder un petit diamètre ou rester avec une faible intensité. Batsirai est passé de la catégorie 2 à la catégorie 5 en quelques heures, témoignant d’une cyclogenèse explosive lors de son passage au Nord de Maurice, intensification qui était visible sur les sites météorologiques internationaux. Batsirai s’est ainsi rapproché des cyclones les plus puissants que notre région a connus en passant en catégorie 5. Un passage plus près aurait été catastrophique pour Maurice.

 

Beaucoup de Mauriciens reprochent aux autorités la reprise du travail le jeudi 3 février, alors que les conditions climatiques étaient mauvaises. Un homme a même perdu la vie en bravant le mauvais temps. Faudrait-il revoir notre système d’alerte ?

 

Notre système d’alerte est bien rodé mais dépassé ! Comment expliquer que les classes ont été enlevées rapidement après que le cyclone a commencé à s’éloigner, alors que le danger était toujours présent ? Remplacer une classe par un avertissement de forts vents était totalement inapproprié et malheureusement, cela a coûté la vie à une personne. C’est déplorable ! Quand un cyclone commence à s’éloigner, le danger ne disparaît pas comme par magie. Il diminue. C’est l’approche qui a été adoptée par la météo avant le passage en mettant une classe 2, alors que certaines personnes voyaient qu’il faisait encore beau. C’est pour cela que je ne comprends vraiment pas comment on a laissé les Mauriciens s’aventurer dehors en enlevant les classes tôt le matin, alors que le danger était encore présent.

 

Le bon sens aurait dû prévaloir et une classe 3 aurait été plus appropriée selon moi. Cela aurait permis aux gens de rester à l’abri et aux autorités de réparer les lignes électriques, de rouvrir les routes obstruées, de vérifier le niveau des cours d’eau, avant une reprise sereine le vendredi 4 février pour tout le monde. Au lieu de cela, il semble qu’il y ait eu un empressement de rouvrir les activités économiques, sans prendre en considération le danger. Les personnes qui ont pris la décision d’enlever les classes devront en assumer les conséquences. Un nouveau système d’alerte devra rapidement être mis en place. Je pense à un système hybride utilisant l’échelle de Saffir-Simpson pour indiquer la puissance du météore et un système comme celui utilisé à La Réunion, avec des couleurs mais tenant en considération non seulement la vitesse des vents mais aussi les houles, le niveau de la mer, les pluies torrentielles car un cyclone, c’est tout ça et pas seulement la vitesse du vent. Tous ces paramètres ont un impact sur la sécurité de la population.

 

Quelles leçons devons-nous tirer de ce que nous venons de vivre, surtout que nous serons souvent confrontés à ce genre de situation avec le changement climatique ?

 

Les scientifiques sont tous d’accord sur le fait que le changement climatique emmènera de gros bouleversements à travers le monde dans les années et les décennies à venir. C’est pour cela qu’il ne faut plus se cantonner à nos habitudes mais se préparer à faire face à ces dangers. Les cyclones seront plus intenses, avec des trajectoires plus erratiques et des intensifications explosives. C’est ce qui s’est passé avec Batsirai. Les modèles numériques généralement utilisés (GFS, ECMWF et même ICON) ont changé régulièrement, à part le modèle AROME qui a un maillage plus fin de 2,5 km et qui, lui, avait été plus précis. Ces changements réguliers ont déstabilisé nos capacités prédictives et ils auraient dû nous encourager à suivre la situation avec des intervalles plus réguliers et à réagir plus rapidement.

 

On a l’impression que les procédures ont été suivies sans adaptation par rapport aux incertitudes et sans considérer les impacts sur la population qui était en danger. Cela doit changer et vite car le dérèglement climatique posera de nouveaux défis majeurs. Il demandera une meilleure capacité d’intégration et de compréhension au lieu de suivre des procédures. Il faudra utiliser nos capacités humaines pour évaluer le danger en utilisant de nombreuses et diverses données météorologiques disponibles à travers le monde mais aussi les données océanographiques (houles, niveau de la mer, ondes de tempête), les précipitations et les dégâts causés aux infrastructures, avant d’émettre une alerte face au danger cyclonique. En deux mots, il faudra sortir des procédures et faire face à la réalité du changement climatique.