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Kelly Wayne : au service de l'art

Ses peintures vives et colorées, basées sur les émotions, se dévoilent dans une exposition en France du 30 octobre au 30 novembre.

Autodidacte, l’artiste Kelly Wayne, figure connue dans le milieu artistique mais aussi pour sa lutte pour la communauté LGBTQI+, n'a jamais arrêté de se battre pour se construire. Elle a pris des cours de dessin et a travaillé d'arrache-pied pour se faire une place dans le monde de l'art. Elle a ainsi fait de sa passion sa profession ; pour dévoiler le monde à travers ses peintures mais aussi pour «faire reconnaître aux yeux de tous qu’être transgenre n’est pas une maladie». Du 30 octobre au 30 novembre 2022, elle tient son exposition Meta-Morphe-Ose à l'Atelier Univers de Kelly Wayne, en France. Elle nous ouvre son petit monde...

Une identité, mon identité : «Je suis née à l’île Maurice en 1980. Je peins et dessine depuis mon plus jeune âge et prends plaisir à laisser voguer mon imagination créative pour échapper à mes douleurs et à ma grande souffrance d'être différent. Étant née “Il” avant de devenir “Elle”, je suis une artiste qui lutte contre vents et marées afin de faire reconnaître l'être humain que je ressens au plus profond de moi-même, de faire valoir ma véritable identité dans laquelle je me sens femme depuis toujours…»

 

L'art, un refuge : «Après avoir été longtemps incomprise et insultée, j'arrive à mes 20 ans de carrière. Depuis le début de cette aventure, je me bats tous les jours. Le parcours a été plein d'embûches mais je suis toujours restée déterminée, j'ai gardé la foi et à chaque fois, je n'ai fait que persister dans mon travail. L'art de peindre est pour moi un refuge. C'est aussi un exutoire pour mettre K.-O. tous les tourments.»

 

Un parcours du combattant : «Monn travay dir pou ariv la kot mo ete zordi. Monn gagn ousi boukou soutien avek mo kopin. Car je suis passée par un moment très difficile ces derniers temps avec des démarches sur Maurice kinn blok mwa pandan 2 an. Je ne sais pas comment j'ai pu créer après avoir été torturée pendant deux longues années. Je n'avais pas de papiers. Tout était bloqué. De 2020 à 2022, c'était horrible. J'ai même fait une dépression. J'ai été opérée en 2012 et à la fin de cette année-là, je suis retournée à Maurice pour enclencher les procédures pour mon changement de statut et pour avoir des papiers en règle. On m'a envoyée à gauche et à droite, sans aucun résultat. C'est lorsque mon passeport a expiré que les problèmes se sont enchaînés. Les autorités à Maurice ne voulaient pas renouveler mon passeport. Au bureau des passeports, on m’a dit que la décision pour changer mon genre devait venir du bureau de l’État civil. Là-bas, ils m’ont dit que les lois mauriciennes ne reconnaissent pas le changement de sexe et qu’ils ne pouvaient rien faire pour moi... C'est ce qui a tout compromis. Comme mon passeport était bloqué, mon titre de séjour en France était aussi compromis. Mes CDI (contrats à durée indéterminée) avaient été remis en question parce que mon passeport n'était pas à jour. Mes sources de revenus avaient également été compromis. Je ne pouvais même pas m'enregistrer à Pôle Emplois. C'était un cauchemar. J'ai pu, heureusement, récupérer mon titre de séjour en septembre. J’ai obtenu l'asile en mai de cette année et j'ai fait des démarches qui ont abouti car j'ai pu récupérer mon titre de séjour.»

 

Le coeur meurtri : «Ce qui me rend triste, c'est que je ne peux pas, à ce jour, retourner dans mon pays, dans mon île que j'aime tant et d'où je puise souvent mon inspiration. Je n'ai pas de passeport et je ne peux pas voyager. Je ne peux pas aller ailleurs. J'ai mes racines à Maurice mais je ne peux pas y retourner. Ça me bouleverse. Je revendique le fait d'être une artiste mauricienne et quand j'expose ici, je suis fière du rayonnement que cela peut avoir sur mon pays. Je n'expose pas uniquement des tableaux. J'expose aussi une culture. Qui mieux qu'un artiste pour raconter et être la vitrine d'un pays... J'essaie aussi, à mon niveau, d'ouvrir la voie à d'autres artistes de l'île, qui voudraient s'exporter. Mon combat, c'est aussi pour toutes les personnes trans de l'île, pour qu'il n'y ait plus de discriminations et qu'on leur donne leur chance. Tout le monde a sa place dans ce monde. Personne ne doit se laisser bloquer à cause d'une différence. J'en suis l'exemple. Aujourd'hui, je peux vivre pleinement ma vie de femme. Pourtant, je suis née dans une famille pauvre avec la différence que j’ai mais je ne me suis pas laissé faire. L’une de mes plus grandes satisfactions cette année et pour marquer mes 20 ans de carrière, c'est que je suis maintenant référencée comme une artiste reconnue sur l'Indice de Cotation des Artistes Certifiés (i-CAC). Ce site référence tous les artistes connus et reconnus en France, et j'y suis. Mon travail a été expertisé par des experts. Je suis donc maintenant une artiste-peintre certifiée et mes tableaux ont une cote. Ce n'est pas dégueulasse pour une petite artiste qui vient de l'île Maurice...»

 

Autour de Meta-Morphe-Ose : «Meta, c'est être entre deux mondes. Morphe, c'est pour faire référence au dieu grec Morphé parce que je trouve mes inspirations dans mes rêves. Et Ose, parce que ça définit bien mon histoire, mon parcours... J'ai toujours osé, pour exposer notamment. Et ça avait déjà commencé quand j'étais encore à Maurice. J'ai toujours cru en mes rêves. Toute ma vie, j'ai osé. J'ai osé m'afficher. J'ai osé faire mon opération après beaucoup de sacrifices. Il y a aussi l'aspect d'avoir osé quitter Maurice en 2013 pour venir en France et me lancer dans une carrière internationale. Ce n'est pas encore gagné. Je sais qu'il y aura encore des embûches sur ma route. Quand je suis arrivée en France, j'ai dû tout recommencer et continuer à me construire.»

 

Des enseignements : «Je me souviens très bien d'une rencontre que j'avais eue avec vous au début des années 2000, pour un article dans 5-Plus dimanche. Je me souviens parfaitement de ce que je vous avais dit à l'époque sur ma détermination. Je vous avez dit : “Quand on veut, on peut. Quand on ne peut pas, c'est qu'on ne veut pas.” Cette phrase, des années plus tard, m'accompagne toujours. Certes, la peinture peut être un don mais si on n'a pas la détermination de réussir, ça ne mène nulle part. On peut avoir un rêve mais si on attend que les choses tombent du ciel, ça ne va jamais arriver. La chance est pour tout le monde et apre bizin kapav provok li. Wi, monn gagn impe la sans me ena osi boukou travay deryer. Je ne me suis pas croisé les bras. Depuis 2002, j'ai fait mon chemin. J'ai organisé plusieurs expositions. Je me souviens de cette exposition avec 44 tableaux, des aquarelles, à la galerie Max Boullé. Puis, j'ai enchaîné encore et encore avec d'autres expositions. J'ai ouvert ma galerie à Grand-Baie, entre autres expériences, et tout cela avec beaucoup de travail. J'avais dit que j'allais réussir et j'ai tout fait pour avancer...»

 

Un rendez-vous : «Du 30 octobre au 30 novembre 2022, rendez-vous est donné à l'Atelier Univers de Kelly Wayne, au 386 Aristide Briand, 76600, le Havre, de 10 heures à 20 heures. Les Mauriciens peuvent avoir un aperçu de mon expo sur mon compte TikTok (Kelly Wayne artiste-peintre). Connectez-vous ce dimanche 30 octobre...»

 

Mes réalisations

 

C'est en 2000 que l’artiste-peintre a fait sa toute première exposition collective à l'Alliance française de Maurice. En 2002 et 2003, elle a fait deux expositions en solo à la maison du Poète, à Port-Louis, et à la galerie Max Boullé, à Rose-Hill, et a vendu plusieurs de ses tableaux. En 2005, elle a tenu sa plus grande exposition, Cadeau d’amour, à la galerie Malcolm de Chazal, à Curepipe. Elle a vendu 60 tableaux mêlant la sensualité à l'érotisme du féminin. C'est en 2008 que l’artiste-peintre ouvre sa première galerie (Kelly Wayne art & décoration) à Grand-Baie. En 2013, elle quitte définitivement Maurice pour aller s’installer en France. Elle peint et expose une trentaine de ses toiles à l'hôtel Ibis, au Mans, en 2019, tout en menant le plus grand combat de sa vie. Celui «de faire entendre (sa) voix» pour avoir «le droit d’exister. D’être actée et validée par l'administration française au sujet de (son) identité»…