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Soupçons, mainmise et danger : un pays à la dérive ?

On s’attendait à une campagne électorale intense faite de coups bas et de scandales pour anéantir l’adversaire politique, mais elle va bien au-delà. Dans cette course effrénée vers le pouvoir, un personnage sorti de nulle part semble avoir pris tout le monde de court, que ce soit dans le camp du gouvernement sortant ou dans celui de l’opposition. Si celle-ci se frotte secrètement les mains devant ces révélations qui apportent, qu’on le veuille ou non, de l’eau à son moulin des opposants, du côté du MSM, c’est le branle-bas de combat. Face à une opposition qui surfe sur la vague du scandale, qui crie au manque de respect, à une atteinte profonde à notre liberté et à notre démocratie, le gouvernement sort la carte de la manipulation et du complot orchestré par ses détracteurs. Quelle incidence aura cette affaire sur la suite de la campagne ? Nous avons demandé à Kris Valaydon et Faizal Jeeroburkhan de livrer leurs analyses... 

Aujourd’hui, l’île Maurice est choquée, dégoutée et révoltée. La colère et les tensions sont-elles justifiées ?

 

Kris Valaydon : «Évidemment. Il y a un profond sentiment de colère chez le Mauricien puisqu’il se rend compte du fonctionnement de certaines de nos institutions, du comportement de certains proches du pouvoir, de leur agissement et de leurs transactions. Il se rend compte qu’il n’a aucun contrôle sur ceux qui semblent vouloir dire à la population que le pouvoir est dans leurs mains et qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent et de l’état de pourrissement de nos institutions. Le public ne s’intéresse pas à connaître l’identité de la personne qui a fait les révélations, il est concerné par le contenu de ces enregistrements.»

 

Faizal Jeeroburkhan : «Ce sentiment est largement justifié. Les citoyens ont toujours entretenu de sérieux doutes sur certaines pratiques au sein de la police et d’autres institutions. Les récents sondages d’Afrobarometer révèlent que 47% des citoyens ont peu ou pas de confiance dans la police et que 73 % estiment que certains policiers sont corrompus. Dans un contexte où la plupart des institutions publiques sont cadenassées et dirigées par des partisans fidèles du régime, ces révélations ont permis de percevoir des explications plausibles sur une série d’événements douteux. Le PM et le CP affirment qu’il s’agit de l’AI avant même les conclusions de l’enquête et le CP n’a pas step down. Pas un mot du président de la République. Cela révèle l’embarras au sommet de l’État et une mainmise de l’exécutif sur l’appareil de l’État.»

 

Que révèle cette affaire sur notre pays ?

 

Kris Valaydon : «Je crois que c’est cela le point le plus important, mais qui, malheureusement, échappe à notre attention. Avec ces révélations, il y a une indication de l’existence d’un État fragile. Il y a des doutes sur le fait que le pouvoir a échappé des mains de l’État et qu’il se trouve dans celles d’un petit groupe qui agit sous les ordres des proches du pouvoir. Le pouvoir est donc accaparé, pris en otage par des personnes qui n’ont aucune légitimité populaire et qui peuvent faire régner la pluie et le beau temps dans le pays. Avec l’aide de leurs complices, elles nuisent à la réputation du pays et accentuent le manque de confiance du public dans nos institutions. Le rôle des institutions est de protéger les données personelles et elles on failli dans leur tâche. Pourtant, nous avons une législation et des structures pour nous protéger. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on n’est plus à l’abri. Ce qui est grave aussi sur le plan institutionnel, c’est que ces pratiques semblent être courantes. Il y a des mandarins en action qui font du sabotage, donnent des ordres et des passe-droits pour privilégier certains.»

 

Faizal Jeeroburkhan : «C’est une affaire très grave qui risque de déclencher des soulèvements citoyens et communaux dans le pays. Les propos blasphématoires et inacceptables contre certaines communautés sont inacceptables dans un pays multiracial où le tissu social est particulièrement fragile. Le contexte électoral rend la situation encore plus explosive, mettant en danger notre harmonie sociale. Heureusement que les dirigeants religieux ont intentionnellement et avec beaucoup de sagesse calmé le jeu pour maintenir le calme dans le pays. Cette affaire prendra une dimension encore plus grave avec le deal hypothétique avec le Royaume-Uni pour l’occupation de Diego-Garcia pour la base militaire américaine. Avec ce scandale, les milliards de roupies que le pays devrait encaisser, selon le PM, risquent de s’évaporer.»

 

Alors que les explications du CP ont du mal à convaincre, la confiance dans nos institutions a-t-elle une fois de plus pris un mauvais coup ? 

 

Kris Valaydon : «Est-ce que le citoyen s’intéresse vraiment à connaître l’identité de Missie Moustass ? Ou alors s’intéresse-t-il au contenu des enregistrements ? Et veut-il écouter des explications sur l’AI ? Tout va dépendre de ce qu’il pense du gouvernement, des institutions, du comportement des politiciens lorsqu’ils sont au pouvoir et de tout ce qui s’est passé dans la vie politique du pays pendant les cinq dernières années. Voilà autant d’éléments qui vont fonder son jugement. L’opinion du citoyen sera personnelle et se formera selon sa propre histoire, sa propre conscience et son propre jugement de la crédibilité à octroyer à ceux qui viennent défendre l’authenticité des enregistrements. Cependant, quel que soit le jugement que l’on peut porter sur ces explications, le doute s’est installé et il est très difficile de le retirer de la tête du public, surtout dans un environnement où la réputation des politiciens au pouvoir et celle de nos institutions n’est pas  favorable pour empêcher qu’une perception négative s’installe.»

 

Faizal Jeeroburkhan : «C’est certain que la confiance du public dans nos institutions et dans la police a été gravement ébranlée malgré les grandes parades officielles pour les justifications et les explications. Le CP pourra difficilement convaincre, surtout qu’il a refusé de répondre aux questions des journalistes. Le scénario de montage avec l’aide de l’AI est difficile à avaler. Ceux qui ont analysé les bandes sonores ont attiré l’attention sur les éléments d’authenticité de ces bandes : la bonne qualité des enregistrements, les sonneries de téléphone en arrière-plan, la toux et la respiration des protagonistes, le bruit de pages tournées, les mots créoles les plus vulgaires et obscènes utilisées, qui sont tous difficilement réconciliables avec l’utilisation de l’AI. Intercepter les communications téléphoniques et espionner la vie privée des citoyens Mauriciens est une pratique injustifiable, répréhensible et condamnable. C’est non seulement une violation de la vie privée, mais elle porte aussi atteinte à la sécurité de l’État et des citoyens aussi bien qu’à la confiance du public dans les institutions.»

 

On s’attendait à une campagne électorale intense, mais ce scandale la propulse à un autre niveau. Comment cette affaire affecte-t-elle la suite de la campagne ?

 

Kris Valaydon : «Le Moustass Gate a fait shifter le focus de la campagne électorale et de la mobilisation des troupes en vue des élections générales. Malheureusement, le programme électoral des partis politiques est relégué à un niveau secondaire. Pour l’opposition, les grands scandales, l’assassinat de Kistnen et la gestion du pouvoir pendant les cinq ans passés risquent d’être délogés dans leur importance comme thème de campagne face à un Missie Moustass qui révèle des choses incroyables et extrêmement graves pour le pays. Je pense que la majeur partie de la population avait déjà pris sa décision bien avant l’affaire des enregistrements. 

 

Toutefois, ces enregistrements sont venus ajouter un plus à ceux qui ont l'intention de se défaire du régime au pouvoir. Nous sommes dans une période très délicate où les antagonismes politiques se manifestent ouvertement. Il y a nécessité à l’heure actuelle de se méfier des  personnes avec l’agenda de communaliser la politique afin d’en tirer un capital électoral. Souhaitons seulement que le but de rendre publique ces enregistrements n’est pas pour instaurer un climat de violence afin de d’avoir un prétexte pour renvoyer les élections générales. Cette crainte existe, mais j’espère que les Mauriciens ne sont pas dupes et ne se laisseront entraîner dans une scission du pays.»

 

Faizal Jeeroburkhan : «L’affaire Missie Moustass aura indubitablement des répercussions sur la campagne électorale. Ce scandale pourrait faire basculer les indécis, qui représentent un gros pourcentage des électeurs, dans le camp de l’opposition, mais il y a aussi le risque d’un dérapage incontrôlable mettant en danger la suite de la campagne. Nous devons tout faire pour éviter ce scénario. Cette affaire jouera définitivement en la défaveur de l’Alliance Lepep. Ils vont évidemment réagir en faisant feu de tout bois, avec les énormes moyens dont ils disposent, pour manipuler l’opinion. Heureusement qu’en 2024, on a des citoyens mieux éduqués, conscientisés et informés qui ne se laisseront pas embobiner par des arguments sectaires et bancales.

 


 

Mgr Jean Michaël Durhône et Anil Kumar Dip : une rencontre mal vue et des excuses acceptées

 

Colère, incompréhension et frustration. Si la rencontre entre Anil Kumar Dip et l’évêque de Port-Louis, Mgr Jean Michaël Durhône, avait pour but d’apaiser les tensions après les propos offensants présumés d'Anil Kumar Dip, elle a eu l’effet inverse. Les deux hommes se sont rencontrés au Diocèse de Port-Louis le 22 octobre, à la demande du commissaire de police, pour évoquer une enquête qui ferait la lumière sur cette affaire. Cependant, nombreux sont ceux qui n’ont pas compris cette démarche, estimant que l'évêque n'aurait pas dû rencontrer le CP et qu’il est impossible que celui-ci initie une enquête sur lui-même.

 

Face à l’indignation, le Diocèse de Port-Louis a publié un communiqué le 25 octobre dans lequel Mgr Durhône s’est excusé : «Je suis conscient que cela a suscité colère et frustration et que vous avez été blessés. Ce n'était pas mon intention, je vous demande pardon. À travers vos réactions de colère, vous exprimez une frustration face à des situations où la vérité semble étouffée. Je demande aux autorités de créer une instance indépendante et crédible pour enquêter sur les allégations faites dans les bandes sonores. C’est par ce biais que la confiance dans nos institutions, fondement de notre démocratie, sera rétablie.»

 

Mgr Durhône exhorte aussi les fidèles, catholiques et non-catholiques, à rester en paix en cette période électorale et à participer à une messe le 31 octobre, clôturant le mois du Rosaire. Les fidèles sont invités à se vêtir de blanc, symbole de paix.

 

Une commission d’enquête initiée pour «démasquer» ceux qui sont derrière l'affaire «Missie Moustass»  : Pravind Jugnauth se défend et met en garde contre une «campagne malsaine»

 

Il n'a pas mâché ses mots envers ceux qui accusent son gouvernement. Prenant la parole après l'éclatement de l’affaire Missie Moustass qui éclabousse plusieurs membres de son équipe, la riposte de Pravind Jugnauth n’a pas tardé. Il estime que cette affaire n’est nul autre qu’une «kanpagn zet labou» de la part de ceux qui veulent mettre le feu au pays en soulevant les communautés les unes contre les autres. Il a ainsi appelé à la vigilance des Mauriciens pour qu’ils ne tombent pas dans le piège d’une «campagne malsaine» en cette période électorale.

 

Pour lui, ses opposants n’ont ni argument ni bilan. Il a affirmé qu’il est le premier à vouloir faire la lumière sur cette affaire et que c’est pour cela qu’une commission d’enquête sera mise sur pied pour examiner «l’utilisation abusive d’infrastructures de télécommunication» pour la diffusion d’écoutes téléphoniques alléguées» sur les réseaux sociaux. La commission d’enquête sera présidée par un ancien juge, épaulé par un expert en technologie. «Je veux connaître la vérité. Je veux démasquer ceux qui ont fait ce complot», a martelé Pravind Jugnauth.

 

Ingérences, favoritisme et insultes : Anil Kumar Dip, le bad boy ?

 

Après avoir été banni de Facebook, Missie Moustass réapparaît sur TikTok pour une deuxième série de révélations et d’allégations explosives. Il vise principalement Anil Kumar Dip, affirmant que c'est sa voix qu’on entend. Dans un des épisodes, des conversations, il est question d'Adrien Duval et de son accident en septembre 2022. Il est question de le rechercher, de l’arrêter, et même de l’enfermer à Alcatraz. Bref, de le «coincer».

 

Dans une autre vidéo intitulée «Complot pour pardonner son fils», les conversations laissent entendre que le CP aurait tenté d’interférer pour éviter la condamnation de son fils, reconnu coupable de détournement de fonds de Rs 3 millions et condamné à 12 mois de prison, peine qui a ensuite été convertie en une amende de Rs 100 000 par la Commission de pourvoi en grâce.

 

Dans un autre extrait, attribué au CP et à un membre d’une association socioculturelle, on découvre avec effroi une conversation où ils auraient conspiré pour refuser la caution aux suspects issus d’une certaine communauté. Cette voix, présumée être celle du CP, aurait ensuite tenu des propos inappropriés et irrespectueux envers la Vierge Marie, des propos vulgaires, offensants et incendiaires, suscitant l’indignation et la colère d’une communauté. La saison 3 des Missie Moustass Leaks va encore plus loin, dévoilant ce qui serait une tentative de cover-up dans la mort de Jacquelin Steeve Juliette, choquant davantage la population.