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Après la libération des condamnés de l’affaire L’Amicale : Des mamans entre bonheur et soulagement

De gauche à droite  : Sakina Deenmahomed aux côtés de son gendre Sheik Imran Sumodhee, sa fille Rosina, Khaleeloudeen Sumodhee et Moneerah Owadally, la mère des deux frères.

Elles ont passé plus de 18 ans séparées de leurs fils respectifs, à se languir et à rêver du jour où elles les reverraient enfin en liberté, alors que d’autres membres de la famille n’ont pas pu attendre et ont quitté ce monde. Mais le jeudi 23 août, les trois mamans des quatre condamnés de L’Amicale ont eu la joie de voir leurs fils être libérés. Récits.

Les larmes de joie ont remplacé les larmes de tristesse. En ce jeudi 23 août, Moneerah, 89 ans, maman de Sheik Imran Sumodhee, alias Mounou, et Khaleeloudeen Sumodhee, alias Bébé, et Khairoon, 70 ans, la mère d’Abdool Naseeb Keeramuth, alias Zulu, attendent l’arrivée de leurs fils respectifs devant la grille de la prison de Richelieu. Laila, 62 ans, la mère de Muhammad Shafiq Nawoor, alias Fico, est, elle, restée à la maison pour l’accueillir dans leur nouvelle maison.

 

Ces quatre hommes, reconnus coupables dans l’affaire de l’incendie meurtrier de L’Amicale en 1999 et condamnés à vie en l’an 2000, ont été libérés le jeudi 23 août après avoir passé 19 ans derrière les barreaux. Ce, suivant une recommandation de la Commission de pourvoi en grâce prise en 2015 (voir plus loin). 

 

Muhammad Shafiq Nawoor fait la joie de sa mère Laila.

 

En cet après-midi, le temps s’égrène lentement, trop lentement. Parmi la petite foule impatiente réunie devant la porte de la prison, Moneerah ne cesse de demander à sa belle-fille Rosina, l’épouse de Khaleeloudeen Sumodhee : «Mais où sont-ils donc ?» Elle a les nerfs à fleur de peau. Sous le soleil qui tape fort, la vieille dame fait même un petit malaise et ses proches la conduisent jusqu’à un van où elle peut s’asseoir. Ils lui donnent de quoi manger et boire afin qu’elle puisse reprendre des forces car elle est diabétique et souffre de problèmes cardiaques. Assise dans une voiture, Khairoon ne tient pas non plus en place depuis qu’elle a appris la libération de son fils.

 

Quand Mounou, Bébé, Zulu et Fico apparaissent dans l’allée qui mène vers la grille principale de la prison, Moneerah puise dans ses maigres forces pour aller au premier rang afin d’embrasser ses fils. Puis, ils se prennent tous par la main, heureux. Khairoon enlace également son fils Zulu avec tendresse et émotion. «J’avais perdu l’espoir de te revoir en liberté un jour», lui lance-t-elle. Quelques minutes plus tard, Abdool Naseeb Keeramuth et les siens prennent la route en direction de Cité Martial où d’autres proches dont son père Farouk, 75 ans, les attendent.

 

Les fils Sumodhee regagnent, eux, leur domicile à Vallée-Pitot avec une Moneerah aux anges. Elle aussi croyait qu’elle n’allait jamais revoir ses fils en liberté. Ce jour-là, elle était dans sa cuisine quand elle a appris la nouvelle de sa bru Rosina. «J’étais en état de choc. Je tremblais. J’avais des palpitations. J’ai pleuré et hurlé de joie», se souvient-elle. Son rêve est devenu réalité : «Tous les jours, je demandais à Allah de me permettre de revoir mes fils ; il était toutefois difficile pour moi d’aller les voir en prison. La veille, on célébrait l’Eid-Ul-Adha et j’ai dit à Allah que sans doute je ne savais pas demander. Le lendemain, mes prières ont enfin été exaucées.»

 

C’est autour d’un bon briyani préparé par un voisin que toute la famille s’est réunie pour fêter les retrouvailles. «J’avais perdu espoir de revoir mes fils en liberté. Je ne sais pas si quelqu’un d’autre aurait tenu le coup. Durant les 19 années qu’ils ont passées en prison, j’ai perdu beaucoup de proches : mon époux Jamat, il y a neuf ans, ma belle-fille Nazida, l’épouse de Mounou, il y a six ans, et mon fils Fazil, il y a quatre ans. Cette affaire nous a également ruinés. Nous avons dû vendre nos deux boulangeries pour régler les honoraires de certains avocats. Notre famille a vécu un véritable calvaire depuis l’arrestation et la condamnation de mes fils», souligne Moneerah.

 

Abdool Naseeb Keeramuth est très heureux de retrouver ses parents Khairoon et Farouk.

 

Laila, la mère de Muhammad Shafiq Nawoor, n’en finit pas non plus de remercier Allah. Ce matin-là, elle a cru à une mauvaise blague quand un neveu lui a annoncé la libération de son fils mais elle a explosé de joie quand son aîné est venu lui confirmer la nouvelle. La sexagénaire avoue être passée par des moments très durs. «Mon fils avait 19 ans à l’époque. Nous avons dû vendre notre maison de Vallée-des-Prêtres pour payer les frais des avocats. Nous avons dû louer une maison à la route des Pamplemousses avant d’aller habiter dans une autre maison de location à Vallée-Pitot. Ma santé est précaire. Mon état s’est détérioré à la mort de mon époux Siddick, il y a huit ans. Je suis devenue diabétique. J’ai aussi des problèmes de tension artérielle et de vue. L’attente a été très dure. J’ai beaucoup souffert», confie Laila.

 

Le cœur de Khairoon, la maman d’Abdool Naseeb Keeramuth, a également beaucoup saigné durant ces 19 dernières années. Elle ne sait pas ce qu’elle serait devenue sans son époux et ses 10 autres enfants. «Mes enfants sont mes véritables trésors. Je suis devenue diabétique par la force des choses. Je souffre également d’une forte tension artérielle. L’ambiance était toujours morose chez nous après cette histoire», souligne Khairoon.

 

Son époux Farouk a, lui aussi, une santé précaire. Il souffre de stress et de complications cardiaques pour lesquelles il a dû être opéré. Il est aussi passé sur la table d’opération pour une hernie discale. «Ce n’était pas évident de vivre durant toutes ces années, surtout avec une lourde étiquette sur le dos : celle de parents d’un condamné. La vérité finira par triompher par la volonté d’Allah», lance Farouk.

 

Son fils ainsi que les trois autres condamnés dans l’affaire L’Amicale n’ont jamais cessé de clamer leur innocence depuis leur arrestation suivant l’incendie meurtrier à Chinatown, dans la soirée du 23 mai 1999. Ce jour-là, Port-Louis est la proie de plusieurs incidents suivant le match Fire Brigade-Scouts Club. Les responsables sont des fans du Scouts en colère face à la défaite de leur équipe. Des voitures sont saccagées et le siège de la Mauritius Football Association est pris d’assaut.

 

Raisons juridiques

 

Dans le même temps, la maison de jeux prend feu. L’incendie est attribué aux mêmes fauteurs de trouble, quoi que cette thèse est contesté (voir hors-texte). Sept personnes périssent – la femme du propriétaire de la maison de jeux et ses deux enfants de 2 et 6 ans, leur baby-sitter enceinte de huit mois au moment du drame, un cousin du propriétaire et deux employés.

 

Plusieurs suspects sont arrêtés par la suite. Toutefois, seulement quatre d’entre eux sont poursuivis et condamnés à la prison. «Koup mwa pena disan sa zour-la. Li ti difisil pou mwa aksepte ki mo de garson inosan bizin al kraz sa kantite lane la», se remémore tristement Moneerah. Un sentiment partagé par Laila et Khairoon.

 

Durant les années qui suivent, les condamnés et leurs familles multiplient les démarches pour les faire libérer, en vain. Après le rejet de plusieurs appels pour revoir le jugement, dont un au Privy Council, les choses prennent une autre tournure en 2014, après une démarche entreprise par l’avocat Rama Valayden, son jeune confrère Shameer Hussenboccus et plusieurs autres hommes de loi. Ils avaient compilé le document Wrongly Convicted, où ils démontrent que les quatre condamnés sont innocents, et l’avaient présenté à l’ancien président de la République, Kailash Purryag, en juillet 2014. L’affaire a ensuite été référée à la commission de pourvoi en grâce qui a recommandé à la présidence, en 2015, de commuer leur peine à 19 ans de prison et de les faire libérer en 2019 après l’application des remissions de peine. Finalement, pour des raisons juridiques, la libération est survenue plus tôt.

 

«Notre Créateur nous a donné beaucoup de courage durant toutes ces années. Je ne finirai jamais de le remercier», martèle Moneerah qui a passé toute la soirée de jeudi dernier aux côtés de ses fils. Laila et Khairoon en ont fait de même avec leurs fils respectifs. Même si elles ne pourront jamais rattraper le temps perdu, elles vont tout faire pour ne pas perdre une miette de cette nouvelle chance d’être avec leurs fils.

 


 

Rama Valayden : «Ce sont des boucs-émissaires…»

 

Le jeune Shameer Hussenboccus et son mentor Valayden.

 

L’avocat est catégorique. Les quatre condamnés dans l’affaire L’Amicale ne sont pas les auteurs de l’incendie qui a ravagé la maison de jeux en 1999. Il est d’avis que c’est l’œuvre du défunt Escadron de la mort. L’homme de loi explique qu’il détient de précieuses informations à cet effet pour soutenir sa prise de position. Il martèle que les quatre hommes sont victimes d’un complot : «Ils ont été des boucs-émissaires. J’insiste pour la mise sur pied d’une commission d’enquête.»

 

Selon Valayden, il y a eu plusieurs actes terroristes à Port-Louis après le fameux match Fire Brigade-Scouts Club : «Il y avait plusieurs incendies. Ceux qui ont commis cet attentant avaient bien préparé leur coup en déviant l’attention des pompiers avec d’autres interventions. Vous n’avez qu’à vérifier le nombre d’appels qu’ont reçu les pompiers ce soir-là. Ils en avaient reçu plus de 100. J’ai d’autres preuves que je suis disposé à fournir devant une commission d’enquête.» Lesdites preuves dont il dit disposer figurent dans le rapport Wrongly Convicted, rendu public en 2014.

 


 

Ils veulent laver leur honneur

 

Les condamnés à leur libération.

 

Ils ne comptent pas dormir sur leurs lauriers malgré la joie de retrouver la liberté. Ils veulent pouvoir marcher sans l’étiquette de «condamnés» dans l’affaire l’Amicale collée à eux. Les frères Sheik Imran et Khaleeloudeen Sumodhee, Muhammad Shafiq Nawoor et Abdool Naseeb Keeramuth comptent désormais prouver leur innocence. Ce sera leur cheval de bataille après toutes ces années passées derrière les barreaux. Pour y parvenir, les quatre hommes invitent les proches des victimes à s’unir à leur combat. Ils sont également disposés à fournir des éléments importants aux autorités dans l’éventualité d’une commission d’enquête afin que «les vrais coupables» soient retrouvés. «On va se battre pour que justice soit faite», précise Sheik Imran Keeramuth.

 

Son frère Khaleeloudeen abonde dans le même sens : «Le système nous a présentés comme de dangereux criminels alors que nous sommes innocents. Ce crime atroce ne doit pas rester impuni.» Abdool Naseeb Keeramuth est lui aussi du même avis : «Les vrais coupables doivent payer. Nous ne sommes pas des criminels. C’est pour cela que notre Créateur nous a permis de retrouver nos familles.» La vérité doit triompher, souligne également Fico : «Nous avons été victimes d’une grosse injustice. Il est important pour nous de prouver notre innocence.»

 


 

Chronologie

 

Les proches des quatre condamnés s’étaient déplacés en grand nombre pour les accueillir à leur sortie de prison.

 

Dimanche 23 mai 1999, 17 heures : C’est la fin du match Fire Brigade-Scouts Club, au Stade Anjalay, avec une victoire de la Fire Brigade qui remporte la finale du championnat. Des incidents éclatent dans les gradins qui sont même saccagés par plusieurs supporteurs du Scouts Club et se poursuivent sur tout le trajet menant du stade à la capitale.

 

18h55 : L’Amicale, à Port-Louis, est encerclée par des assaillants qui y mettent le feu et saccagent aussi des véhicules aux abords de la maison de jeux. Le poste de police de Pope Hennessy subit également des assauts.

 

Lundi 24 mai 1999 : Le pays se réveille en émoi en découvrant le lourd bilan des victimes de l’incendie de la maison de jeux. Les funérailles de trois des sept victimes se feront le même jour, dans l’après-midi.

 

28 mai 1999 : L’inhumation des autres victimes a lieu et environ 100 000 personnes sont présentes dans les rues de la capitale pour rendre un dernier hommage aux victimes.

 

L’enquête préliminaire aboutit à l’arrestation des frères Sheik Imran et Khaleeloodeem Sumodhee, Abdool Nadeeb Keramuth et Muhammad Shafeek Nawoor, et au terme de l’enquête préliminaire, les quatre accusés sont déférés aux assises.

 

20 novembre 2000 : Les quatre accusés sont condamnés à perpétuité par le juge Paul Lam Shang Leen.

 

1er octobre 2015 : La condamnation à vie est commuée en une peine de 19 ans de prison par la commission de pourvoi en grâce.