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Violée à 13 ans, elle raconte sa reconstruction

Violée à 13 ans, elle raconte son long chemin vers la reconstruction

Alors que La Sentinelle se mobilise contre les violences sexuelles envers les enfants à travers une campagne pédagogique nationale visant les adultes, des brochures imagées pour les écoliers et une formation dispensée aux journalistes, nous vous proposons le témoignage d’une femme de 25 ans, violée à 13 ans, dont le cas est actuellement en cour.

Plus rien n’a été pareil pour elle après. Le 12 mars 2003, la vie d’Arthémis – le prénom qu’elle a choisi elle-même –, a basculé. Elle prenait sa douche quand son grand frère a fait irruption dans la salle de bains pour abuser d’elle. Tout s’est passé très vite, dit-elle. Choquée, apeurée, paralysée, elle n’a rien pu faire contre celui qui, depuis sa tendre enfance, a une grande emprise sur elle. Auparavant, il s’était livré à des attouchements sur elle. Des gestes qu’elle ne comprenait pas et qu’elle ne pouvait qualifier de mauvais, car celui qui les perpétrait était un membre de sa famille et lui disait toujours de se taire.

 

Mais ce jour-là, alors qu’elle se préparait à aller participer aux festivités de l’Indépendance dans son collège, son frère a franchi une autre étape. «Il m’a violée», lâche Arthémis. Au fil du temps, elle s’est efforcée de ne plus repenser à cette «terrible histoire», mais celle-ci revenait toujours la hanter. S’il y a une chose dont elle se souvient bien, ce sont les mots de son agresseur après son acte : «Tu vas te taire. Tu es moche, tu ne vas jamais trouver de mari. Tu dois te taire.» Des mots répétés jusqu’à ce qu’elle lui réponde «oui». Elle se souvient de son regard dur, du ton de sa voix et de son aptitude à lui faire croire que rien de grave ne s’était passé.

 

Aujourd’hui, à 25 ans, c’est après un long cheminement, une descente aux enfers, des actes de désespoir comme l’automutilation, des appels au secours et des traitements, qu’elle peut venir de l’avant pour révéler ce qu’elle a vécu : «J’ai porté plainte contre mon frère le 1er juin 2015.» «Pendant longtemps, j’ai souffert en silence, même si ça me rongeait. Comme la situation était difficile à la maison et que j’ai vu ma mère être une victime de violences conjugales, je ne voulais pas causer plus de problèmes. Mais cela me pesait. Je me souviens qu’un jour, je n’ai pas voulu rentrer à la maison, mais le père d’une de mes amies, qui m’accompagnait, m’a fait changer d’avis. Il ne savait pas ce que je vivais», raconte Arthémis.

 

Avant ce jour noir, elle était, raconte-t-elle, une petite fille qui adorait l’école, la lecture et le sport. Mais après son viol, elle n’a plus eu goût pour grand-chose. Elle a toutefois connu des moments où elle se sentait bien et où elle dévorait des livres de Samuel Taylor Coleridge, de Charles Baudelaire ou encore de Victor Hugo : «C’était comme une sorte de thérapie. J’écrivais aussi des poèmes. J’avais même décroché un prix au collège pour un poème que j’avais écrit en créole.»

 

Dans les bons moments, la jeune femme excelle aussi en sport : «Je ramenais des médailles des compétitions inter-collèges. En m’occupant, j’arrivais à ne pas y penser, mais pas toujours.» Les jours passent et Arthémis n’arrive pas à oublier ce qu’elle a vécu. Pour trouver un peu de répit, elle essaie de ne pas rester seule avec son frère : «Lui, il faisait comme si rien ne s’était passé.» C’est ainsi qu’elle trouve souvent refuge chez ses voisins qui deviennent très vite comme une deuxième famille.

 

L’histoire de Sandra O’Reilly

 

Un jour, elle tombe sur un journal : «C’était en 2003 et j’ai vu une copie de 5-Plus dimanche. On y parlait de l’histoire de Sandra O’Reilly. C’est ce jour-là que j’ai découvert le mot victime. J’ai réalisé que ce genre d’actes ne pouvaient rester impuni.» Peu de temps après, elle décide de s’ouvrir à une de ses profs au collège : «Comme j’adorais écrire, j’ai décidé de coucher sur papier mes états d’âme et de le lui remettre.» Cela l’apaise un peu : «C’était un pas en avant.» Avec l’accord d’Arthémis, son prof décide d’en parler à un autre collègue qui informe les autorités. La Child Development Unit (CDU) s’occupe alors de son cas.

 

Quelque temps plus tard, sa mère et elle sont convoquées. «Je me souviendrai toute ma vie de ce jour. Lorsque l’officier a fait part de mon histoire à ma mère, elle a dit : “Qu’est-ce qui va arriver à ton frère ?” À aucun moment, elle ne m’a demandé si j’allais bien.»

 

Puis, vient une autre rencontre avec les officiers de la CDU en présence de sa mère et de son frère : «Mon frère leur a dit que je n’avais pas dit non au moment de l’acte. Là, je me suis demandée si c’était moi la coupable.» La question de porter plainte contre son frère s’est ensuite posée. «On m’a fait comprendre que si je portais plainte, j’allais me retrouver dans un shelter. Je ne voulais pas briser ma famille plus qu’elle ne l’était déjà. J’ai abandonné cette idée.»

 

Pendant les mois qui suivent, l’adolescente, quoique suivie par des psychologues, broie du noir : «Je me sentais bien, car j’avais pu en parler, mais de par la tournure des choses, je me suis à nouveau retrouvée au plus bas.» Alcool et cigarettes deviennent ses alliés : «J’ai arrêté le collège en Form IV, alors que mes profs trouvaient que j’avais du potentiel.» Dans les moments où elle va un peu mieux, Arthémis dévore les bouquins. C’est pourquoi elle maîtrise aujourd’hui les termes familiers aux victimes de violences sexuelles.

 

Reprenant le collège une année plus tard, elle essaie de s’accrocher jusqu’au bout. Aujourd’hui, femme indépendante et employée d’une firme privée, elle s’efforce de se battre pour aller mieux. Notamment, dit-elle, grâce à son traitement et ses thérapies psychologiques : «J’ai décidé de venir de l’avant, car j’ai compris que je dois avancer. En parler est l’étape qui me permet de franchir de nouveaux pas.»

 

Son affaire est actuellement en cour et elle comprend tout le tabou qui entoure les victimes de violences sexuelles. Mais la plus grande des thérapies, c’est d’en parler. «Et de dénoncer les coupables. Cela fait partie de la longue marche vers la reconstruction», dit-elle. Ajoutant avec force que ces «horribles actes ne doivent pas rester  impunis». Par son témoignage, elle espère avancer et aider d’autres qui ont vécu le même calvaire à en faire de même.