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Sandy, 17 ans, torturée et forcée à la prostitution

Après avoir vécu l’horreur, l’adolescente essaie tant bien que mal de se reconstruire.

C’est une erreur de jeunesse qu’elle regrettera toute sa vie. Elle n’aurait jamais dû, dit-elle, claquer la porte de ses parents sur un coup de tête, pour se réfugier chez des amis qui, au premier abord, étaient très gentils. Sauf qu’ils ont vite montré leur vrai visage en obligeant Sandy à se livrer à la prostitution. Après sept mois d’enfer, la jeune fille a pu échapper aux griffes de ses proxénètes grâce à l’intervention de la Brigade des mineurs et essaie difficilement de reprendre goût à la vie.

La peur a parfois un pouvoir extraordinaire. Qui nous paralyse et limite nos actions. Vaincre ce sentiment de faiblesse n’est pas simple. Surtout lorsqu’on est encore tout jeune en plus d’être fragilisé mentalement et physiquement plus et qu’on fait l’objet des menaces les horribles. C’est le calvaire qu’a vécu Sandy* durant sept longs mois, après avoir déserté le toit de ses parents qui vivent dans une région des basses Plaines-Wilhems, alors qu’elle était âgée de 16 ans seulement. 

 

Pour cause, elle a été vendue par ceux-là même qui l’avaient alors recueillie chez eux, à plusieurs hommes contre des sommes variant entre Rs 1 000 et Rs 1 500. Elle a finalement pu sortir de cet enfer et a porté plainte contre ses proxènetes le lundi 21 juillet, à la Brigade des mineurs de la Western Division. Depuis, les suspects sont activement recherchés par la police de Camp-Levieux. La Child Development Unit se penche également sur cette affaire qui a choqué l’île Maurice cette semaine. Les services d’une psychologue de ce ministère ont aussi été sollicités pour aider Sandy, qui a perdu toute confiance en elle, à retrouver son équilibre. Ce qui n’est pas une mince affaire.

 

Quand nous nous sommes rendus au domicile de ses parents, en fin de semaine, nous avons rencontré une adolescente très frêle, d’à peu près 1m50 pour 40 kg. À la regarder, on a du mal à deviner l’horreur qu’elle a vécue durant plusieurs mois, entre les mains de ceux qui l’ont transformée en véritable objet sexuel. Mais aussi entre les griffes de ces hommes qui l’ont souillée et parfois maltraitée. «Je suis une fille sale maintenant», lâche Sandy d’une petite voix, sous le regard de sa maman qui l’observe avec une tristesse qui fend le cœur. Car, pour une mère, il n’y a pas pire que de voir souffrir son enfant, tout en se sentant presque impuissante face à cela. «Ces monstres doivent payer. Ils ont brisé l’avenir de ma fille. Il y a un Dieu. Il va juger. La justice doit aussi faire son travail. Il faut les arrêter sans tarder», lâche Pamela*, avec colère.

 

Avant ce qu’elle qualifie d’«épisode de la honte», sa fille, dit-elle, menait une vie des plus honorables aux côtés des siens dans leur modeste demeure. Jusqu’à ce jour où après un conflit avec ses parents, Sandy a quitté la maison, ne se doutant pas qu’elle allait plonger dans les bas-fonds de l’horreur peu de temps après. C’était en septembre 2013. «Je suis amoureuse d’un garçon depuis que j’ai 12 ans. Mais mon père ne voit pas notre relation d’un bon œil. Quand je suis revenue d’une balade en sa compagnie en septembre de l’année dernière, mon père s’est mis dans tous ses états. Il m’a grondée et a lancé une télécommande sur moi. Je ne l’ai pas supporté et j’ai quitté le toit familial sur un coup de tête», explique Sandy qui, aujourd’hui, regrette amèrement son geste. 

 

«Il fallait faire plaisir à ces hommes»

 

Elle se lance alors dans la quête d’une personne qui pourra l’héberger. «Ce jour-là, j’ai frappé à la porte d’une amie. Je lui ai demandé de me laisser rester chez elle, mais elle n’a pas accepté parce que je suis mineure. Je n’ai eu d’autre choix que de dormir dans la rue. Le lendemain, mon petit ami m’a suppliée de retourner chez moi, mais je ne l’ai pas écouté», confie Sandy, les larmes aux yeux. Comme la jeune fille ne veut pas entendre raison, le petit ami, que nous prénommerons Ashley, lui propose d’aller vivre chez une de ses cousines, qui serait, à l’en croire, très compréhensive. 

 

«J’ai tout de suite accepté car je n’avais pas d’autre choix. D’autant que mon petit ami me disait que sa cousine avait seulement un an de plus que moi, soit 17 ans. Je me suis dit qu’on allait sans doute se comprendre entre jeunes.» Et c’est effectivement l’impression qu’elle a eue lorsqu’elle a été accueillie chaleureusement par Preety*, la cousine d’Ashley, ainsi que le concubin de celle-ci, Shakil*. «Ils ont accepté que je vive chez eux d’autant que mon copain habitait également sur place à ce moment-là. Il a perdu sa mère et n’a plus de contact avec son père. Au départ, tout se passait très bien. Mais il n’a suffi que d’un malheureux événement pour qu’ils changent de visages et se transforment en monstres avec moi», poursuit-elle péniblement. 

 

Le 23 novembre est une date que Sandy n’oubliera jamais. Car c’est le jour où elle a été forcée à se prostituer après que son petit ami Ashley avait été arrêté par la police pour un délit. «Le même jour, Preety et Shakil m’ont dit qu’il fallait que je trouve un moyen de payer la caution d’Ashley et de le faire sortir. Et qu’ils n’allaient pas me nourrir gratuitement. Ils m’ont ordonné d’enfiler une petite robe, m’ont embarquée dans un véhicule et conduite dans un endroit des basses Plaines-Wilhems où plusieurs hommes étaient réunis. Preety et Shakil m’ont laissée là et m’ont dit qu’il fallait faire plaisir à ces hommes. Ces hommes-là ont abusé de moi à tour de rôle. Je ne sais pas combien ils étaient.» Une fois les clients satisfaits, ils ont passé un coup de fil aux proxènetes afin qu’ils viennent récupérer Sandy et leur argent, soit un montant allant de Rs 1 000 à Rs 1 500 par client. 

 

«Ils ont gardé la majeure partie de l’argent et m’ont remis seulement une petite somme comme les fois qui ont suivi, entre Rs 150 et Rs 200, pour que je m’achète des cigarettes. En rentrant de la maison ce premier soir, je leur ai fait comprendre que je ne voulais jamais plus vivre cela. Mais ils m’ont maltraitée, m’ont battue et m’ont brûlée avec un briquet.» Les marques de brûlures sont toujours visibles sur son dos, ses épaules et ses bras. Craignant de se retrouver à la rue et, surtout, paralysée par la peur d’être à nouveau torturée, Sandy accepte, malgré elle, de se prostituer à nouveau dès le lendemain.

 

«J’étais dégoûtée. Car, parmi les clients, il y avait aussi des vieux d’une soixantaine d’années. Certains étaient des pervers qui ont tenté de me sodomiser. Et quand j’ai fait de la résistance, ils m’ont frappée. La plupart des clients en question vivaient dans des quartiers huppés de Beau-Bassin, des gens friqués. Parfois, on me conduisait à Grand-Baie ou dans des pensionnats situés à Rose-Hill, pour satisfaire l’appétit sexuel de ces hommes. J’étais envahie par la honte à chaque fois», soutient-elle, d’une voix triste.

 

Jour après jour, elle vivra des situations les unes plus pénibles et honteuses que les autres, qu’elle essaie aujourd’hui de chasser de sa mémoire. En vain. Lorsque son amoureux retrouve la liberté après 21 jours d’emprisonnement, Sandy croit enfin que son calvaire va prendre fin. Mais la perversité de ses proxénètes devient encore plus diabolique. «J’ai tout de suite confié à mon copain le calvaire que j’avais vécu depuis son incarcération. Il m’a conseillée de dénoncer sa cousine et son concubin. Mais quand je leur ai fait part de mon intention, ils m’ont menacée de me tuer et de faire porter le chapeau à mon copain. Ce jour-là, ils m’ont à nouveau brûlée et battue après avoir drogué Ashley pour qu’il ne puisse pas voler à mon secours. Depuis, chaque soir Ashley prenait sommeil très vite jusqu’à ce que je comprenne pourquoi. Un soir, j’ai surpris Preety en train d’écraser des comprimés qu’elle a ensuite versés dans le verre d’Ashley et quand j’en ai parlé, j’ai été à nouveau frappée», précise Sandy. 

 

Ces épisodes traumatisants la hantent nuit et jour. «Le soir, une fois qu’Ashley était endormi, Preety et Shakil m’emmenait chez des clients. Un soir, on m’a conduite chez un Français. Mais je n’étais pas seule. J’étais accompagnée d’une autre fille. Le Français a abusé de nous à tour de rôle. Il souffre d’asthme car parfois il s’arrêtait pour prendre sa pompe. D’ailleurs, il y a plein d’équipements médicaux dans sa chambre. Il avait donné beaucoup d’argent à Preety et Shakil. Mais je n’avais touché que Rs 200, comme d’habitude. Parfois, ils ne me donnaient pas le moindre sou. Et si en me voyant, le client n’était pas satisfait de mon physique et qu’il ne souhaitait pas avoir de relations sexuelles avec moi, il devait quand même payer un frais pour le dérangement. C’était la règle d’or de mes proxénètes : toujours tirer profit de la situation. Et quand de telles situations surgissaient, ils ne me donnaient pas à manger.»

 

Cauchemar sans fin

 

Prise dans cette terrible spirale, Sandy n’a d’autre choix que d’accepter son triste sort et de subir jour après jour l’escalade de la cruauté de ses bourreaux qui deviennent encore plus barbares lorsque son copain est arrêté une deuxième fois. Un soir, se souvient-elle encore, on l’a conduite non loin d’un bassin d’eau à Mont-Roches, où elle a été abusée par sept hommes à tour de rôle. Un cauchemar sans fin. Jusqu’à décembre 2013.

 

Ayant eu vent des pratiques douteuses auxquelles se livrait la jeune fille en décembre de l’année dernière, ses proches donnent l’alerte à la Brigade des mineurs. «En décembre, ma sœur est venue me rendre visite. Elle avait eu vent de ce qui se passait. Devant Preety et Shakil, elle a raconté qu’elle venait de perdre son emploi. Preety lui a lancé qu’il y avait du travail pour elle en précisant qu’il s’agissait de prostitution. Ma sœur est sortie de là complètement bouleversée. Mais je n’ai pas pu partir avec elle ce jour-là car le couple avait menacé de faire du mal à mes parents. Ils savent où se trouve notre maison», explique Sandy. Son calvaire durera jusqu’en avril dernier, quand elle a été arrachée des griffes de ses proxénètes par la Brigade des mineurs. Malgré cela, Sandy avait tout bonnement refusé de dénoncer officiellement ses proxénètes à la police. Par peur, dit-elle.

 

Ce n’est que le lundi 21 juillet qu’elle s’est décidée à franchir ce cap. Ce, après avoir croisé Preety et Shakil dans les rues de Rose-Hill. «Ils m’ont menacée de mort. J’ai eu très peur. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller de l’avant. Ils doivent payer. Avant, j’étais belle, j’avais une belle peau et de très longs cheveux. Aujourd’hui, je suis une fille complètement salie. Qui voudra un jour de moi ?» se demande l’adolescente.

 

Sa plus grande peur aujourd’hui, c’est de croiser l’un de ses clients quelque part. Quoi qu’il en soit, Sandy est déterminée à retrouver une vie normale, à reprendre ses études et à devenir avocate pour aider les jeunes filles qui, comme elle, se retrouvent sous l’emprise des proxénètes. Torturée et forcée à la prostitution, Sandy doit désormais se battre pour retrouver confiance en elle. Même si sa vie ne sera plus jamais comme avant. 

 

(*Prénoms fictifs)

 


 

Pamela, la maman de Sandy :  «Ma fille est en danger. Qu’on arrête ses proxénètes !»

 

Elle craint pour la sécurité de son enfant. Pour cause, les proxénètes de celle-ci sont toujours en cavale. «Ils savent très bien où on vit. Ce sont des gens dangereux qui sont prêts à tout. Ils vont essayer de se venger. D’ailleurs, ils l’ont dit haut et fort. Rien ne les arrêtera», soutient Pamela qui ne dort plus sur ses deux oreilles. Elle ne souhaite qu’une chose : que les proxénètes de sa fille soient arrêtés au plus vite. « On ne dort pas. On ne mange pas. Bref, on ne vit plus. Ce sera ainsi tant qu’ils seront en liberté.»

 

Il y a autre chose qui la révolte encore plus. C’est le fait que sa fille a été forcée à la prostitution par une autre mineure. «Cette fille avait 17 ans lorsqu’elle a vendu ma fille. Aujourd’hui, elle a atteint sa majorité. De plus, elle est maman de deux enfants. Elle était enceinte lorsqu’elle conduisait ma fille chez ces pervers qui ont abusé d’elle. Mais comment a-t-elle pu ? Je ne sais plus dans quel monde on vit», soupire-t-elle. La police de Camp-Levieux est à pied d’œuvre pour coffrer le couple en question avant de pouvoir procéder à l’arrestation de ceux qui ont abusé de Sandy contre paiement.

 


 

Questions à Saib Ameer-Beg, psychologue/sociologue

 

On voit de plus en plus de cas à Maurice où des adultes poussent des adolescentes à la prostitution. Mais une ado qui force une autre à se prostituer, c’est plutôt nouveau. Qu’est-ce qui explique cela, selon vous ?

 

Une mineure qui pousse une fille de son âge à se prostituer soulève bien des questions. Car les enfants ont pour habitude de répéter ce qui se passe devant eux. Donc, cette adolescente, devenue proxénète, a certainement été exposée à ce même schéma dans son entourage. Elle a vu faire un de ses proches ou un voisin et répète tout simplement ce qu’elle a vu et appris secrètement avec un objectif en tête : tirer profit de la situation, dominer l’autre et se faire beaucoup d’argent. Il y a aussi un autre facteur qui encourage les proxénètes : la demande. Certains hommes veulent des jeunes filles dans leur lit. Plus les filles sont jeunes, mieux c’est. Dans ces cas précis, la loi n’a aucun effet dissuasif.

 

Comment une jeune fille qui a été torturée et forcée à se prostituer peut-elle se reconstruire ?

 

Se reconstruire est possible. Par contre, se reconstruire à 100 % est une mission impossible lorsqu’on est passé par là. Il est conseillé à une victime d’avoir recours aux services d’un psy ou d’un religieux. Mais le plus important, c’est l’amour et le soutien qu’une victime de violence sexuelle reçoit de son entourage. Tout repose sur l’attention, la tendresse et la gentillesse. Il ne faut pas juger, mais essayer simplement de comprendre.

 


 

Trafic d’enfant : ce que dit la loi

 

Dans son livre intitulé The Right of the child in Mauritius, l’avocate Marie-Lourdes Lam Hung, spécialiste des droits de l’enfant et de la femme, avance que le trafic d’enfant se produit dans presque toutes les sociétés. Elle souligne également que le nombre d’enfants impliqués dans le trafic du sexe à Maurice est en hausse. «La traite des enfants peut être définie comme le recrutement, la transportation, l’hébergement ou l’accueil de toute personne âgée de moins de 18 ans aux fins d’exploitation», fait-elle ressortir dans son ouvrage. Le Child Protection Act stipule, par ailleurs, que toute personne qui recrute, volontairement et illégalement, transporte, transfère, héberge ou reçoit un enfant à des fins d’exploitation, commet une infraction et est, sur déclaration de culpabilité, passible à des servitudes pénales de 30 ans maximum. L’exploitation des enfants inclut toute forme d’esclavages et des pratiques qui y ressemblent comme le mariage forcé, l’exploitation sexuelle, le travail forcé ou encore le trafic d’organes.