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Les sacrifiés du Metro Express | Le gouvernement persuadé d’avoir bien agi

Face à ce drame, ils étaient plusieurs politiciens à descendre sur le terrain.

Face aux critiques et aux incidents de vendredi dernier, le gouvernement campe sur sa position. Malgré la détresse humaine, il ne reculera pas.

Ils sont convaincus d’avoir bien agi. Après les événements à Cité Barkly et La Butte, Étienne Sinatambou, porte-parole du gouvernement, affirme qu’ils n’ont «en aucun cas mal agi». Alors que l’ordre intérimaire expire demain à 13h30 et que le Premier ministre et les représentants des ministères du Logement et des Infrastructures publiques doivent se présenter en Cour pour s’expliquer sur la demande d’injonction des habitants, c’est lors d’une conférence de presse hier, samedi 2 septembre, que le ministre de la Sécurité sociale a rappelé que ces familles sont au courant de la destruction de leurs maisons depuis trois mois. 

 

Si la situation a dégénéré dans ces deux régions, ce serait, selon lui, de la faute des membres de l’opposition qui «font tout pour saboter leur projet. Ça montre leur irresponsabilité. Zot al laba, zot al met dife». Dénonçant une «récupération politique», Étienne Sinatambou s’en est ouvertement pris aux Rujubali, les seuls qui, selon lui, ne souhaitent pas quitter les lieux. «C’est uniquement eux qui posent problème. Ils vivent dans l’illégalité.» 

 

Dans un communiqué émis vendredi soir, le ministère des Infrastructures publiques et du transport affirme que toutes les procédures ont été suivies et que les dispositions légales ont été respectées. Si à La Butte, 15 familles sont considérées comme des squatters, à Barkly, 21 se retrouvent sur le terrain de l’État et une acquisition obligatoire a eu lieu pour 32 occupants. Cet exercice a commencé en 2014. Le ministère affirme que des notices ont été servies pour l’évacuation des sites. «Depuis avril 2017, les occupants concernés ont été constamment avisés qu’ils allaient devoir évacuer les sites.» 

 

Alors que les familles disent ne pas avoir reçu leur argent, le gouvernement soutient que Rs 371 millions ont été déboursées et que des réunions ont eu lieu avec les habitants concernés. Dans le cas d’Azam Rujubali, les autorités affirment qu’il occupe un terrain loué à un homme décédé en 2005. Après un affidavit jurant qu’il a la permission d’y habiter, une demande de régularisation a été faite avant d’être rejetée. Après le refus de la compensation offerte, une chose est claire pour le gouvernement : «Depuis 2005, M. Rujubali a été toujours dans l’illégalité sans un bail, sans payer de loyer et sans permis de construction de la municipalité.»

 

Sauf qu’aujourd’hui, après les images de l’expulsion forcée des Rujubali et de la démolition des maisons de Barkly, c’est l’indignation et l’incompréhension qui habitent les Mauriciens qui ne cessent de décrier la manière de faire du gouvernement. 

 

Réactions 

 

Alan Ganoo, leader du Mouvement patriotique  : «Outrage à la Cour»

 

«Ces incidents auraient pu être évités s’il y avait eu une meilleure planification. Le gouvernement est le seul responsable de cette situation. C’est un comportement qui frise l’outrage à la Cour, une violation des principes démocratiques et de la séparation des pouvoirs.»

 

Ashok Subron de Rezistans ek Alternativ : «L’histoire condamnera Pravind Jugnauth»

 

«Le métro léger est une bêtise monumentale pour notre société. L’histoire condamnera Pravind Jugnauth. Vous ne pouvez pas détruire la maison d’un citoyen sans lui donner une alternative qui lui permettra d’avoir un toit sur sa tête.»

 

Police : de la confusion à la cacophonie

 

Le cafouillage de vendredi n’a échappé à personne. À Cité Barkly, les habitants ont assisté impuissant à l’important déploiement des forces de l’ordre pour la démolition des maisons se trouvant sur le tracé du Metro Express. Toute la journée, l’atmosphère a été tendue. La forte présence de la SSU et de la SMF a suscité de vives tensions dans les rues. Si les habitants se sont d’abord barricadés dans leurs maisons pour empêcher la police d’entrer en action, ils se sont vite résignés face à l’important dispositif mis en place. 

 

À coups de bulldozers, la démolition démarre devant des habitants impuissants et abasourdis face à ce drame. Alors que la juge Rita Teeluck émet un Judge’s Order pour stopper les destructions, à La Butte, les forces de l’ordre préfèrent outrepasser cette décision et poursuivre la démolition, soulevant la colère de ceux présents sur les lieux. «Ils sont sans cœur. Ils ne veulent rien entendre. Ils ne pensent qu’à tout détruire. Regardez ces jeunes policiers. Ils ne comprennent rien à ce drame. Certains sont même en train de rire», lance un badaud. 

 

Face aux Rujubali qui ne se laissent pas faire, les policiers, près de 300, n’y vont pas de main morte, malmenant ceux qui veulent riposter. Face aux supplications de la famille qui demande d’attendre Azam Rujubali revenir de la Cour avec une injonction, les policiers se montrent fermes et pressés. Au moindre mouvement jugé inacceptable, ils sont plusieurs à bondir sans ménagement sur la personne pour l’immobiliser. «Nous avons un travail à faire. Nous n’avons pas de temps à perdre», lance un policier.Ils commencent par enlever une partie de la clôture, avant de s’attaquer à la porte, de la laisser, pour finalement casser une partie de l’escalier. Plusieurs fois, ils s’arrêtent, avant de recommencer, donnant l’impression de ne pas trop savoir quoi faire. 

 

Face aux attaques, certains policiers répondent qu’ils ne font que suivre les ordres, d’autres ne peuvent cacher leur incompréhension devant un tel traitement. Dans la foule, plusieurs personnes ayant écouté la radio leur crient d’arrêter. «À la radio, ils disent que c’est fini. Vous devez arrêter.» Mais les hauts gradés rétorquent qu’ils doivent recevoir en main propre le papier d’un huissier de la Cour. Ils finissent par partir à la tombée de la nuit, laissant derrière eux le chaos.

 

Après l’indignation, la mobilisation 

 

Les images de pleurs, de détresse et de douleur ont touché des milliers de Mauriciens. Depuis vendredi, l’indignation et la colère grondent contre le gouvernement. Dans les rues, une phrase revient sans arrêt : «Ce gouvernement est inhumain. Il doit partir.» Sur les réseaux sociaux, les images montrant la douleur des familles affectées ont tourné en boucle. Profondément touchés par ces événements tragiques, les internautes ont multiplié les vidéos, appelant les Mauriciens à se mobiliser afin de mettre un terme à cette tragédie. Les statuts Facebook dénonçaient tantôt le drame humain de ces familles, tantôt la façon de faire du gouvernement. Plusieurs citoyens appellent, depuis hier, les Mauriciens à se mobiliser et à descendre dans les rues lundi en signe de protestation. Une pétition a même été lancée en ligne pour réclamer la démission du gouvernement. À l’heure où nous mettions sous presse, plus de 10 000 signatures avaient été recueillies.

 

Souvenez-vous de Camp-Chapelon

 

Mai 1998. Dans le cadre du projet Ring Road, sous le gouvernement de Navin Ramgoolam, plusieurs familles de squatters, dont certaines avaient pourtant été autorisées à se connecter aux réseaux de la CWA et du CEB,  sont forcées à évacuer les terrains qu’elles occupent à la route Bonnefin, Camp Chapelon. Les maisons (en béton et en tôle) sont démolies le 4 mai de cette année-là. Cette partie de Pailles connaît une certaine agitation pendant quelques jours, avec la présence de la force policière, de politiciens et de travailleurs sociaux sur le terrain. Septembre 2017. La Ring Road ne passe pas à la route Bonnefin…

 

MBC : deux suspensions pour non-couverture des événements 

 

Mekraj Baldowa et Jugdish Jatoo, directeur général et directeur de l’information de la Mauritius Broadcasting Corporation respectivement, ont été suspendus jusqu’à nouvel ordre. Raison : l’absence de couverture des événements survenus à La Butte et Barkly vendredi dernier. Une initiative du PMO, entérinée par le board de la MBC. Le bureau du PM aurait aussi réclamé une enquête.

 

La valse des politiciens 

 

Récupération politique ou pas ? Ces deux derniers jours, les sorties politiques de tous les camps, sauf ceux du gouvernement, se sont multipliées à La Butte et Cité Barkly. Alors que la police procédait à la démolition des maisons le vendredi 1er septembre, le PTr, le PMSD et le MMM ont occupé le terrain. À La Butte, Shakeel Mohamed est sorti de ses gonds et a eu une altercation avec un haut gradé de la police ; Navin Ramgoolam, Arvind Boolell, Osman Mohamed et Patrick Assirvaden ont joué la carte du soutien. «Si on croise les bras en regardant la télévision et en attendant les élections, rien ne va changer. J’appelle la population à réagir. Ce gouvernement est en train de montrer son côté dictatorial», a déclaré l’ancien Premier ministre. 

 

 

Patrice Armance, député du PMSD, est, lui, resté toute la journée de vendredi aux côtés des Rujubali. Du côté du MMM, c’est Ariane Navarre-Marie qui s’est rendue à La Butte, et son collègue Rajesh Bhagwan se trouvait à Barkly. Là-bas, Patrick Assirvaden, Mamad Kodabaccus, Salim Abbas Mamode et Guito Lepoigneur étaient aussi présents. Xavier-Luc Duval et son équipe se sont, eux, rendus dans ces deux localités hier matin pour y rencontrer les habitants. Accusant le gouvernement de mettre en péril la paix sociale du pays, il a lancé une mise en garde : «Il faut traiter ces personnes avec dignité. Où est le plan de relogement et de dédommagement ? S’ils reviennent avec leurs bulldozers, il y aura une manifestation monstre.»

 

Maurice, a-t-il dit, n’est pas une dictature mais une démocratie. 

 

Textes : Amy Kamanah-Murday, Rehade Jhuboo et Stephane Chinnapen