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Les confidences d’Ameenah Gurib-Fakim

Avec sa fille Imaan, à Flic-en-Flac, il y a quelques années.

Celle qui remplacera Kailash Purryag au Réduit nous invite à une petite balade (fleurie) dans son monde…

Une fleur de plus. Dans son jardin à succès. Madame le Professeur fleurira bientôt en Madame la présidente de la République. Des pétales de bonheur pour Ameenah Gurib-Fakim, scientifique internationalement reconnue. Elle sera, dans quelques jours, la première femme à occuper ce poste constitutionnel. Une promesse de l’Alliance Lepep, victorieuse aux législatives qui se sont tenues le mercredi 10 décembre. En attendant de faire son entrée au Réduit, elle poursuit, tout naturellement, ses activités au Centre de phytothérapie et de recherche (Cephyr), à Phoenix, dont elle est le Managing Director : «J’ai parlé à Ivan aujourd’hui (NdlR : vendredi 12 décembre). Je pense être tranquille encore une semaine.»

 

C’est là, dans ses bureaux fraîchement aménagés, qu’elle nous reçoit en début d’après-midi, vendredi. Veste légère avec imprimés liberty, maquillage soulignant ses beaux yeux, Ameenah Gurib-Fakim – auteure de nombreux ouvrages tels que Toutes les Plantes qui soignent (Michel Lafon, Paris) ou Medicinal Plants of the Indian Ocean Islands (MedPharm Scientific Publishers, Stuttgart) – sait se mettre en valeur.

 

Avec un sourire, elle met à l’aise. Comme par magie. Malgré ses nombreuses réalisations (voir hors-texte), sa simplicité n’est pas feinte. Sa classe aussi est naturelle. Et c’est avec un certain plaisir qu’elle accepte de nous parler des cinq dates qui ont marqué sa vie de femme. La lauréate du prix L’Oréal-Unesco (Women in Science Award for Africa), en 2007, se confie sans détour. Si la future présidente de la République évoque, de prime abord, la naissance de ses enfants, nous débutons notre immersion dans son univers par un événement plus récent.

 

Apolitique

 

Octobre 2014. Le moment où elle a décidé d’accepter la proposition de l’Alliance Lepep. Quelques jours avant la première conférence de presse de l’Alliance Lepep, récemment constituée, elle reçoit un appel du leader du Muvman Liberater, Ivan Collendavelloo, qui lui fait une proposition qu’elle ne peut refuser : «Je n’étais pas vraiment surprise. Je l’ai pris avec simplicité, comme une décision à prendre. J’en ai parlé à mes proches et je leur ai fait part de ce que je voulais faire.» Une belle reconnaissance pour sa riche carrière : «Mais il ne faut pas s’arrêter là. C’est un début. Il faut construire maintenant, pour avancer.»

 

Donc, Ameenah Gurib-Fakim, 52 ans, n’a pas tergiversé. Elle voulait s’investir à un autre niveau pour son pays : «Je l’ai toujours dit. J’ai travaillé pour mon pays, mais de manière indirecte. Néanmoins, je ne voulais pas faire de la politique kes savon. Je suis heureuse d’avoir pu m’engager différemment.» Bien sûr, dès l’annonce de son engagement, on la met en garde : «Personne ne croyait en cette alliance il y a deux mois. On a dit qu’il s’agissait d’une formation hétéroclite qui n’avait aucune chance.»

 

Mais la docteur honoris causa de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Sorbonne) salue le choix de l’Alliance Lepep : «C’est une décision politique de mettre une personne apolitique à un poste politique.» Ameenah Gurib-Fakim le précise : elle n’a aucune couleur politique. D’ailleurs, elle n’a pas fait campagne pour la formation menée par sir Anerood Jugnauth. Un choix délibéré : «Le poste de président de la République est un poste constitutionnel et apolitique. Celui qui l’occupe doit être au-dessus de la mêlée. Être président, c’est l’être pour tous les Mauriciens. D’où le besoin de rester neutre pendant la campagne électorale. Surtout pendant la campagne électorale.»

 

Novembre 2009. Le moment où elle a créé le Cephyr. Après une longue carrière à l’université de Maurice, elle décide de claquer la porte de l’institution et de se lancer en imaginant ce centre pas tout à fait comme les autres : «J’y ai mis beaucoup de mon énergie et tout mon savoir-faire. J’aime l’idée de construire quelque chose et de laisser un héritage. C’est ma philosophie.» Cinq ans plus tard, elle est heureuse de ce qu’elle a accompli : «C’est une réussite. Il s’agit d’une entreprise en pleine croissance, qui surfe sur la connaissance et qui a obtenu la confiance de grandes entreprises à Maurice. Nous recrutons des jeunes et des femmes. D’ailleurs, notre équipe est composée uniquement de femmes !» Ameenah Gurib-Fakim estime que le Cephyr pourrait être une solution pour «absorber le chômage» : «Il faudrait la répliquer à travers l’île.» Enthousiaste, elle pourrait parler des heures de son entreprise. N’est-elle pas triste de la quitter pour occuper d’autres fonctions ? «On ne quitte jamais ce qu’on aime. On fait les choses différemment, tout simplement.»

 

30 juillet 1988. Le jour où elle a dit «oui» à Anwar. «Se marier, c’est une grande décision à prendre ! L’institution du mariage, c’est l’institution compromis», confie la future présidente de la République avec humour. C’est de retour à Maurice, après ses études en Angleterre, qu’elle rencontre celui qui va devenir son époux : «J’étais amie avec la sœur d’Anwar. C’est comme ça que je l’ai connu.» Elle avait 26 ans. Le coup de foudre ? «On peut dire ça comme ça», s’exclame-t-elle, en éclatant de rire. Elle se souvient de sa «grande robe blanche et du voile qui traînait» : «J’avais la totale !»

 

3 octobre 1989 et 26 avril 1998. Les dates où elle a donné naissance à Adam et à Imaan. Ameenah Gurib-Fakim est toute émue quand elle parle de ses enfants : «Avoir une carrière, c’est bien. Mais avoir une famille, c’est encore mieux. Le plus beau cadeau que la nature offre à la femme, c’est la possibilité d’avoir des enfants.» Pour elle, avoir des enfants, c’est participer à un dessein plus grand : «Si l’enfant grandit dans une famille unie, qu’il est choyé et qu’on lui enseigne des valeurs, on assure l’avenir du monde.»

 

Son premier enfant, elle l’attendait avec impatience : «Je me suis mariée et je suis tombée enceinte. J’ai toujours voulu avoir des enfants. Et j’avais 27 ans ! À l’époque, j’étais déjà vieille.» Elle se trouvait alors en Écosse, où son mari travaillait en tant que chirurgien

 

 

Loin de sa famille

 

Elle, elle avait pris un congé sans solde de l’université de Maurice : «C’était l’époque des tâtonnements. J’étais loin de ma famille avec un premier enfant. Je n’avais pas ma maman. Mais il fallait y arriver pour que l’enfant sorte gagnant.» En 1990, elle rentre à Maurice, reprend le travail et essaie de tout gérer : «Mon conjoint est resté en Ecosse encore quelques mois. Un enfant, le boulot… ce n’était pas évident.»

 

Huit ans plus tard, elle est enceinte d’Imaan : «Oui, j’ai pris mon temps ! Mais je faisais des livres, je bossais. On construisait notre maison. Il y avait d’autres contraintes.» Et l’arrivée de sa petite princesse ensoleille sa vie : «C’était beaucoup de bonheur. J’ai toujours rêvé d’avoir un garçon et une fille.» Aujourd’hui, Imaan est devenue une jeune fille de 15 ans. Et Adam est étudiant en Art & Design en Angleterre : «C’est vrai que c’est loin des sciences ! Nous n’avons rien imposé. Les enfants n’appartiennent pas aux parents. Nous sommes là pour les guider. Nous nous donnons à fond pour les aider à grandir du mieux possible. C’est tout.»

 

L’amour. C’est ce à quoi carbure Ameenah Gurib-Fakim. Celui qu’elle porte à sa famille, bien sûr. Mais aussi celui qu’elle ressent pour les plantes, les sciences et son pays. Alors, la future présidente de la République espère pouvoir  «changer les choses avec des bouquets de rose (…) changer les cœurs avec des bouquets de fleurs», comme le chante Laurent Voulzy dans le Pouvoir des fleurs…

 


Imaan, sa fille : «Honorée d’avoir une mère comme la mienne»

 

Bonheur et fierté. La consécration d’Ameenah Gurib-Fakim, c’est une bulle de joie pour toute sa famille. Sa fille de 15 ans est sur un petit nuage : «Je suis honorée d’avoir une mère comme la mienne. C’est vrai que j’étais étonnée qu’on lui propose le poste de présidente, mais au vu de son parcours, je me suis dit ‘‘pourquoi pas’’ ! Je ne crois pas que les choses vont changer. Elle trouvera toujours du temps pour mon frère et moi. Elle l’a toujours fait.»

 


Le jour du dépouillement, j’étais…

 

«… au bureau. J’ai travaillé comme tous les Mauriciens pendant une demi-journée. Puis, j’ai continué à suivre le dépouillement à la maison. Au fil de la journée, j’écoutais les résultats et je trouvais qu’ils étaient absolument incroyables ! Bien sûr, j’avais une attente particulière. Si l’Alliance Lepep remportait les élections, j’accédais à la présidence. Mon analyse, c’est qu’il y a plusieurs éléments qui ont fait que cette alliance hétéroclite a été élue : la IIe République, les neuf ans du PTr au pouvoir et beaucoup de frustrations. Il y a aussi ces choses basiques, comme l’eau que les gens n’avaient pas. »

 


 

 

Pas une présidente «vase à fleurs»

 

Vous avez dit «vase à fleurs» ? «Ce poste on en fait ce qu’on veut en faire. Si on veut agir comme un vase à fleurs, c’est un choix. C’est au président de s’engager s’il le souhaite. La présidence le permet. On dit que le président n’a pas de pouvoir. Mais ce n’est pas vrai. Tout dépend de ce qu’on entend par pouvoir ! Celui de hire and fire ? Je ne crois pas que cela soit ce qu’on attend de moi. Au-delà du pouvoir, ce poste appelle à une responsabilité envers les Mauriciens. Et c’est ça le plus important.»

 

Dessine-moi le poste de président de la République. «Je serai une présidente engagée. Je souhaite apporter ma contribution dans différents domaines comme la science, l’éducation, l’environnement, entre autres. Je vais continuer mon travail, mais à un autre niveau. D’ailleurs, je ne peux faire bien que ce que je sais faire ! Je suis prête à travailler avec la nouvelle équipe : les défis sont là, il faut s’y mettre ! Je serai aussi une présidente de proximité. Je serai proche du peuple. Et la nouvelle équipe dirigeante devra l’être également. La déroute de l’alliance PTr-MMM doit apprendre une chose : c’est qu’il faut être à l’écoute des gens et de leurs attentes, et travailler pour soulager leurs souffrances.»

 

Critiquera, critiquera pas le gouvernement ? «Il y a critique et critique. On doit pouvoir dire les choses, mais il faut avoir la manière de le faire. Et puis, il faut penser aussi aux critiques positives et aux propositions. Si on critique uniquement pour critiquer, c’est lâche.»

 


 

Passions fleuries

 

Donnez-lui un peu de terre, un pot et une graine à planter et Ameenah Gurib-Fakim est aux anges : «J’aime beaucoup planter. Bonzaï, cactus, orchidées ! Vous savez ce qu’il faut pour faire fleurir une orchidée ? Il faut qu’elle soit heureuse. C’est comme les femmes, pour avoir des enfants, il faut qu’elles soient épanouies.»

 


 

Sur son bureau

 

Si Ameenah Gurib-Fakim est rigoureuse et posée, son espace de travail l’est moins ! Et elle l’assume : «Je me retrouve dans mon désordre.» Sur son bureau : des livres, des souvenirs de voyage, des photos de ses enfants, entre autres. «C’est une partie de mon monde au boulot. Ça me rappelle des voyages, des rencontres…»

 


Sur ses pas…

 

Chercheuse, professeure de chimie organique, auteure…  Ameenah Gurib-Fakim a une carrière riche. Depuis toujours, cette scientifique aime les sciences. D’ailleurs, adolescente, elle demande son transfert du Couvent de Lorette de Mahébourg à celui de Quatre-Bornes afin d’étudier la chimie. Après son HSC, elle s’envole pour l’université de Surrey où elle obtient son diplôme en 1983. Puis un PhD en chimie en 1987 à l’université d’Exeter.

 

Elle poursuit sa formation aux États-Unis. Elle rentre à Maurice, est employée à l’université en tant que lecturer. Puis elle se tourne vers la phytochimie. Elle est également membre du conseil de direction de l’African Academy of Science, Commandeur de l’ordre «Star and Key of the Indian Ocean», docteur honoris causa de l’université Pierre-et-Marie-Curie, lauréate en 2007 du prix L’Oréal-Unesco, entre autres. Ameenah Gurib-Fakim a aussi travaillé au Mauritius Research Council comme Manager for Research and Development et a été doyenne de la faculté des sciences et pro vice-chancelière de l’université de Maurice.

 

Son seul échec ? Peut-être le fait de ne pas avoir obtenu le poste de vice-chancelière de cette institution malgré ses diplômes et son expérience.

 


 

Question time

 

Et si c’était l’Alliance PTr-MMM (sans le projet de IIe République) qui vous avait proposé le poste de présidente de la République ?

 

La présidence reste un poste constitutionnel et apolitique. Donc, pourquoi pas ? Je me suis engagée pour la fonction et non pour une alliance.

 

Une femme au Réduit : un pas de géant pour la femme mauricienne ?

 

Toute action qui pousse à augmenter la présence féminine est pour moi une bonne chose. Que ce soit en politique ou ailleurs.

 

Devenir un personnage politique : un changement drastique ?

 

Je n’y ai pas pensé. À Maurice, les gens me connaissent déjà pour mes travaux depuis des années.

 

«Personnalité musulmane», «femme»… ces qualificatifs utilisés durant la campagne n’étaient-ils pas réducteurs ?

 

Je vais être dure. Mais la représentativité est nécessaire. Donc, ces qualificatifs, il faut les employer. Maurice est une île plurielle où il est nécessaire que tout le monde se retrouve. C’est en mettant une diversité de personnes à des postes-clés qu’on arrive à fédérer le maximum de monde. L’équilibre est important. Il faut casser le modèle de dépôt fixe par la méritocratie. C’est seulement en faisant ça que nous nous rapprocherons de nos idéaux. Lee Kuan-Yew disait qu’il n’y a rien de pire que d’être dans un pays où on ne peut pas accéder aux postes suprêmes. Si on veut suivre un tant soit peu le modèle singapourien, il faut travailler en ce sens. Afin d’avoir l’île Maurice qu’on veut. Sinon, on aura l’île Maurice qu’on mérite.