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Affrontements entre la police et des rastas : «C’était l’horreur»

Certaines des personnes interpellées par la police avec, au centre, Siva Pareemanun  qui a pris la parole devant la cour intermédiaire.

Ce vendredi, la capitale a été témoin de heurts entre les forces de l’ordre et des membres de la communauté rastafari. Ces derniers se confient…

Il n’aura pas de souvenirs de cette journée. Nesta a six mois, des joues rebondies et des yeux qui s’étonnent de tout ce qui l’entoure. Mais malgré les images choc – répercutées sur les sites d’information et sur les réseaux sociaux – et la violence dont il aurait été victime, il oubliera. C’est comme ça. Peut-être que ses parents lui raconteront ces quelques heures «d’horreur» dans la capitale. Là où le vendredi 6 mai, des membres de la communauté rastafari, réunis pour une session de prière (le Naya bingi) et pour demander la légalisation du gandia(substance illégale à Maurice), ont été interpellés par les forces de l’ordre.

 

11 rastas présents ont été arrêtés, puis relâchés sur parole, le soir même. Le samedi 7 mai, huit d’entre eux, arrêtés pour obstructing public road,étaient à la Bail and Remand Courtet ont été libérés sous caution (voir hors-texte). Les trois autres, sur qui pèse une charge de possession de cannabis, restent en liberté sur parole jusqu’à demain, lundi 9 mai. À la fin du hearing, Siva Pareemanun du Grup Zistiss Iniversel a improvisé un point de presse pour s’indigner des événements de vendredi, de l’hypocrisie entourant la consommation du cannabis, mais aussi pour prôner la paix et faire un appel pour que le Premier ministre s’exprime et tente de redresser la situation (voir hors-texte).

 

Devant la cour intermédiaire, des rastas font le guet depuis 9 heures, ce samedi matin. Un signe de soutien, un signe de solidarité. Parmi, Sandra Jhabeemissur, la maman de Nesta. Elle tient son trésor au creux de ses reins, porte son enfant à fleur de peau, comme pour le protéger encore d’un monde où les membres de cette communauté disent ne pas avoir leur place. Au moment de revenir sur les événements de la veille, elle resserre son étreinte d’amour. Il est trop tôt pour que la peur s’estompe.

 

Avec ses premiers mots, la circulation s’efface, les bruits de klaxon s’étouffent et la capitale qui vibre autour, inconsciente, insouciante, s’éloigne : «Nous étions tranquillement dans le jardin. Nous ne gênions personne. Et puis les policiers ont débarqué. Ils ont envoyé du gaz lacrymogène. J’en ai eu dans mon visage. Nesta aussi. C’était l’horreur.»Selon le Police Press Office, l’utilisation de gaz était nécessaire pour «ramener l’ordre»car «les rastas faisaient de la résistance face aux policiers». Ce que démentent, bien sûr, les rastas que nous avons rencontrés le samedi 7 mai.

 

Frustrations, larmes...

 

Dans le mouvement de panique qui suit, se remémore Sandra, elle ne sait pas comment ses jambes les ont portés, elle et son enfant. Les cris de Nesta, elle les entend encore. Stridents, douloureux. Entre ses efforts désespérés pour calmer la brûlure dans ses yeux, alors qu’elle n’y voit pas grand-chose non plus, et son inquiétude de savoir où est son compagnon, Wendy Ambroise, que les policiers ont interpellé, le reste de cette journée se déroule sur un tempo déroutant : «J’ai demandé à ce qu’on nous emmène à l’hôpital sans qu’on m’entende. Pour mon fils, je me suis débrouillée. Ensuite, il fallait rentrer chez nous à Rose-Belle. Il était tard. Mais nous y sommes arrivés.»

 

Ce qui s’est passé, ce vendredi, elle ne l’oubliera jamais. Mais chaque jour, dit-elle, les membres de la communauté rastafari vivent des drames : «Nous sommes tout le temps contrôlés par des policiers. Il y a des fouilles chez nous. Nous perdons nos maris qui vont en prison parce qu’ils fument. Nos enfants grandissent sans papa. Combien de nos sœurs sont en prison à cause du même problème ? Combien d’enfants sont livrés à eux-mêmes ?»interroge-t-elle, amère. Celle qui se présente comme Sista a aussi son mot à dire. Les langues se délient, les frustrations, les blessures et les larmes enfouies se libèrent. «Nous sommes victimes du regard des Mauriciens au quotidien. Malgré nos diplômes, notre expérience, nous ne trouvons pas de travail. Pourtant, nous respectons tout le monde, nous ne sommes pas racistes et nous prônons la paix», confie-t-elle.

 

Une paix que les forces de l’ordre ont souillée, explique Sista. Comme les droits de la femme qu’elle est : «Dan lalwa dir zom pa gagn drwa bat fam. On ne savait pas que les policiers étaient au-dessus des lois.» Aujourd’hui, dit-elle, elle et ses compagnons ont décidé de s’engager pour leurs enfants : «Nous ne voulons pas qu’ils subissent ce que nous vivons aujourd’hui.»Ceux présents acquiescent, expliquent les nombreuses fois où ils ont été victimes de délits de faciès, leurs dreadsattirant les regards et les contrôles.

 

Une réalité quasi-quotidienne, raconte Anthonio Patrick. Et vendredi dernier, explique-t-il, cette violence a été vue par tous. Pour une fois. «Qui peut fermer les yeux maintenant ? Qui peut dire que nous inventons ? Personne.» Il se rappelle du gaz lacrymogène qui brouille la vue, des coups qu’il dit avoir reçus et sa fuite effrénée pour échapper aux forces de l’ordre : «Nu ti kapav truv la mor. Nous étions venus pour parler de paix, pour prier pour tous les Mauriciens, pourtant. Nous sommes des êtres humains, pourquoi fallait-il nous traiter ainsi ? Nous ne prenions pas de la drogue…»

 

Gregory Auriant, qui a été libéré sous caution ce samedi matin, a le même discours. Il apparaît dans une vidéo qui a été largement circulée sur Internet depuis vendredi. Devant les Casernes centrales, il est à terre faisant face à plusieurs policiers lorsque les images qui ont choqué de nombreuses personnes ont été filmées : «Mo lekor inn kas kase. J’ai eu des coups de pied dans le ventre, sur la tête, des coups de matraque. Les policiers m’ont traîné kuma enn lisien», allègue-t-il. Comme ses autres compagnons d’infortune, s’il n’a pas réglé sa caution d’ici demain, il se retrouvera en prison : «Mais je n’ai pas cet argent ! J’ai quatre enfants et je suis le seul à travailler. Je ne sais pas comment je vais faire.»

 

Pascal Sérieuse a aussi été arrêté et se trouve dans l’incapacité de régler la somme demandée : «Manze mo pena kot mwa… Kuma pu kapav peye ?»Ces hommes tentent, timidement, de faire un appel pour qu’on les aide. Comme un cri de détresse contenu. Comme peuvent le faire ceux qui n’ont pas l’habitude qu’on leur tende la main, qu’on les regarde autrement que comme des marginaux...

 

Les revendications d’une communauté

 

Ils étaient venus dans la capitale dans un but précis. Déposer une «énième» lettre, précisent ces rastas, au Bureau du Premier ministre afin de réclamer la légalisation du gandiaet pour, explique Ras Ta, partager et vulgariser leur rituel de prière auprès des Mauriciens et pour partager un message : le gandiaest la seule solution face aux drogues synthétiques. Au Jardin de la Compagnie, où ils se trouvaient, ils avaient emmené un plant de gandiaet un réchaud. Comme les heurts de ce vendredi 6 mai ont braqué les projecteurs sur eux, ils ont décidé de faire part de leurs revendications…

 

Un appel aux autorités. Siva Pareemanun du Grup Zistiss Iniversel, mouvement qui milite en faveur de la légalisation du gandia, a également été arrêté le vendredi 6 mai. Après sa sortie du Bail and Remand Court, il a lancé un message aux élus. Il attend, dit-il, que le Premier ministre réagisse. Qu’il s’exprime sur la façon dont des citoyens mauriciens ont été traités. De plus, il s’étonne du silence des membres de l’alliance gouvernementale et des députés de l’opposition. Aucun politicien n’était présent, le samedi 7 mai, devant la cour intermédiaire.

 

Le respect des croyances et des rituels. «À Maurice, la seule culture qui est illégale est celle du rasta. Ne sommes-nous pas des citoyens de ce pays ? N’avons-nous pas le droit au respect de nos croyances et de nos rituels ?» interroge Ras Ta qui attend ses camarades en face de la cour intermédiaire, en ce samedi matin. La communauté rastafari est victime de discrimination et de persécution, avance-t-il

 

Une demande : «la déportation».Le message est dur : «On ne nous accepte pas ? D’accord ! Mais qu’on nous déporte dans un autre pays où nous pourrons vivre notre culture en paix»,lance Ras Ta. Un avis approuvé par beaucoup de ceux présents. Néanmoins, quelqu’un, dans la foule, lance : «C’est notre pays, nous ne partirons pas !»

 

Halte à l’hypocrisie.«D’autres cultures utilisent le gandia,mais pourquoi sommes-nous les seuls à être victimisés, à être arrêtés, à être agressés ? On nous traite comme des chiens !» lance une des personnes présentes. Autour du gandiaune brume d’hypocrisie, estime Siva Pareemanun : «Il faut mettre fin à cette hypocrisie. La libéralisation du gandia,concerne tout le monde. Il est temps que les Mauriciens se mobilisent. Il n’y a pas que les rastas qui fument.» Ras Ta, lui, a fait un appel à la population :«Nous ne savons peut-être pas comment nous mobiliser, nous ne savons pas forcément comment mener cette révolution, nous faisons des erreurs dans nos initiatives. Nous n’avons pas les moyens, nous n’avons pas les connaissances. Alors, aidez-nous.»

 


 

Un samedi à la Bail and Remand Court

 

Ils sont arrivés tôt. Les rastas mobilisés en face de la cour intermédiaire de Port-Louis pour soutenir leurs camarades arrêtés discutent des événements de la veille, mangent un roti, assis à même le sol, scrutent les journaux du matin et passent le temps. Une conversation revient sans cesse : pourquoi seulement 11 d’entre eux ont été arrêtés et non les 100 personnes qui étaient présentes. Chacun y va de son explication.

 

Des éclats de voix. D’un coup, les groupes éparpillés se rassemblent. Les «frères» et les «sœurs» arrêtés viennent donner des nouvelles. Ils sont passés devant la magistrate Meenakshee Bhogun-Ramjutton à la Bail and Remand Courtce matin. Alan Puthiya, Anastasia St Mart et Jessica Fauvrelle ont été libérés contre une caution de Rs 5 000 et une reconnaissance de dette de Rs 30 000 chacun. Jacob Sagor, Aldo Augustin, Gregory Auriant, Pascale Sérieuse et Siva Pareemanun devront payer, eux, une caution de Rs 6 000 et une reconnaissance de dette de Rs 50 000 chacun.

 

Et ils ne sont pas contents. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont poursuivis alors qu’ils ont été, disent-ils, victimes de violence policière. Le ton monte. Certains veulent envahir les rues, d’autres appellent au calme et finissent par apaiser les esprits. Siva Pareemanun improvise un point de presse sur les escaliers de la cour intermédiaire : «Où est le droit humain ?Où est la loi quand on voit que des policiers peuvent agresser impunément des citoyens ? Vous imaginez que nous sommes tenus à un objection to departure.Nous ne sommes pas des criminels !»La difficulté de payer ces cautions est aussi évoquée ainsi que la nécessité que l’hypocrisie autour de la consommation du gandiacesse.

 

Désormais, c’est vers l’avenir que ces membres de la communauté rastafari se tournent : une grève de la faim n’est pas à négliger ainsi que des plaintes contre les policiers.