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Jonathan Ramchurn, pêcheur de Mahébourg : l’amère interdiction

Rencontre avec un des premiers bénévoles sur le Waterfront, qui, aujourd’hui, doit faire face à une existence difficile : privé de pêche et de mer, de son travail et d’une aide des autorités.

Avec lui, les émotions ne sont pas vaguelettes. Elles sont tourbillonnantes, écrasantes, vivifiantes. Elles transportent, elles transpercent. Elles ont le goût du sel, de la mer, de ces larmes qu’il verse pour son lagon pour qui il porte le deuil. Car dans les veines de Jonathan Ramchurn, zanfan lakot, skipper, pêcheur et père de quatre enfants, l’amour coule à flots. Celui qu’il porte pour sa ville natale, Mahébourg, pour son océan, ses coraux, ses poissons. Pour la moindre algue, la moindre poussière de sable. Ce monde dont il fait partie et qui fait partie de lui et qui, depuis le naufrage du Wakashio et la marée noire qui a suivi, lui est interdit. Sans revenu depuis des mois, sans espoir de toucher une quelconque aide, sa vie et celle de sa famille sont devenues un océan de désespoir. Pourtant, dès le premier jour de la marée noire, il était un des premiers à se mobiliser au front, à créer des booms artisanaux, à aller les placer en mer. Pourtant, il est un oublié, un héros mis de côté…

 

Quand on arrive sur le Mahebourg Waterfront, ce mercredi 30 septembre, il n’y a plus de trace visible de ces escarres noires ; juste de la paille qui clapote dans l’eau et qui vient titiller les images stockées. Le ciel s’est paré de gris et les nuages s’accrochent aux montagnes environnantes et lointaines. Dans l’air, il y a le bruit de quelques conversations, celui des vagues, mais très vite, le cerveau revient au 6 août et aux jours qui ont suivi, là où les bénévoles, comme Jonathan, ont travaillé d’arrache-pied, ont fait vibrer ce bout du Sud-est, avec l’énergie de l’amour. En une fraction de seconde, le monde s’arrête et les souvenirs d’hier refont surface… Pas longtemps car Jonathan attend. Il a demandé de venir le rejoindre là où se trouvent les drapeaux. L’ancien QG de mobilisation s’est déplacé de quelques mètres, a trouvé refuge sous un impressionnant pie lafous et s’est paré de pancartes hurlant une détresse que Jonathan et les siens vivent au quotidien.

 

Cet abri de fortune, permettant de se retrouver entre alliés du désespoir, est sous la menace d’une destruction. Encore une. Mais Jonathan et ses kamarad d’infortune, dont il est un peu le porte-parole, tiennent bon. Ils occupent l’espace tous les jours pour tenter de se faire entendre des autorités (ils demandent une première compensation, puis une allocation mensuelle de Rs 15 000). Car depuis le début de l’année, leur monde s’est effondré. Il y a eu le lockdown, l’absence de touristes et, maintenant, l’interdiction de pêcher. La pauvreté, elle, s’installe petit à petit, depuis que la mer est interdite, depuis qu’elle est souillée. Mais Jonathan tient bon, il connaît les vents et les marées de la vie. Rencontre avec un homme différent…

 

«Mo fami peser, mo finn ne lor bor lakot…» Cette chanson de Cassiya raconte son histoire. Les pieds dans les rues de Mahébourg, les doigts occupés à dessiner des sillons éphémères dans son lagon, penché par-dessus la pirogue familiale lors des sorties en mer, voici Jonathan. À 5 ans, il est petit moussaillon avec son grand-père. Puis, au fil de la vie, il pêche le soir avec ses parents et va à l’école le matin (Willoughby pour le primaire, Hamilton pour le secondaire), nage entre les cahiers et les calamars jusqu’en Form V, apprend le calendrier lunaire des marées, les chiffres, les lettres, les courants, les saisons, puis choisit sa voie. Ce sera celle des flots. Et des cases nautiques, du domaine touristique. Il s’en va vers le nord de l’île, trace sa route vers les Seychelles, puis revient chez lui, là où il se sent bien : «J’avais envie de liberté, j’ai décidé d’être free-lance. Je me suis occupé des bateaux de plaisance, j’ai pêché… Je travaillais dur, je gagnais bien ma vie», raconte-t-il de sa voix profonde.

 

La Covid-19, le premier uppercut. «Il n’y avait plus de touristes, on n’avait plus le droit de sortir, mais on a tras-trase, on a pu s’en sortir. On n’a pas fait de bruit, on a fait face», confie-t-il. Quand on est si proche de la nature, on apprend à aimer l’essentiel et à s’en contenter. Et puis, quand la mer peut ouvrir son cœur, la détresse est contenue par des récifs d’abondance.

 

Le Wakashio, briseur de cœurs. Jonathan l’a vu, cet immense bateau, quelques heures après son échouage : «Sur le coup, je me suis dit : comment est-ce possible que ce cargo ait pu déjouer toute la sécurité ?» Les jours sont passés et, pour lui et ses amis, le pire était inévitable : «Pourtant, il y avait des mesures simples à prendre ; si on nous avait laissé faire, rien de tout ça ne serait arrivé.» Et puis, le 6 août est arrivé avec ses premières traînées d’huile, l’odeur entêtante de fioul et Jonathan, qui habite à quelques pas du Waterfront, s’est réveillé en plein cauchemar : «Là, j’ai vu des gens de Rezistans ek Alternativ qui tentaient de faire des booms artisanaux, je suis parti donner un coup de main, avec des amis, on a cherché de l’essence pour aller les placer afin de dévier la course de la marée noire.» Le travail a continué longtemps, malgré la fatigue, malgré le désespoir. Mais il fallait avancer, faire quelque chose, effacer l’horreur, la gommer, même si c’était au péril de sa santé : «Notre peau est encore sèche, notre gorge, irritée. Les joints, douloureux. Nou la po inn manze.»

 

Parler de ces journées et des nuits qui ont suivi, de la détresse, du trauma de voir sa maison salie et Jonathan craque. Des larmes qu’il ne peut retenir affluent. Pudique, il tente de cacher son visage derrière son foulard. Mais la blessure est encore là. Elle suintera encore longtemps : «Zot vini, zot pa fer nanye, zot vinn detrir nou mama. Ek lorla, zot p*** lor nou !» articule-t-il difficilement.

 

La colère. Elle est là, elle s’infiltre dans ses paroles, dans sa gestuelle, dans ses émotions, mais elle ne colore pas tout. «Les gens qui nous dirigent sont des incompétents. Il est temps qu’ils partent, il est temps de penser à autre chose, à une union collective, où les gens compétents pourront faire bouger les choses, travailleront pour améliorer la vie des gens. Il y a beaucoup de terrains autour de nous mais nous n’y avons pas accès pour les cultiver, pour faire quelque chose qui a du sens : nourrir les gens.» Il souhaite que les mouvements de protestation qui vivent à travers l’île permettent une chose : «Que les Mauriciens prennent conscience de tout ce qui se passe en ce moment et se demandent ce qui se passera demain si nous ne faisons rien.»

 

Son combat pour survivre. Dans sa voix, de la rancœur mais aussi une certaine lassitude face à l’injustice qu’il dit subir : «Il y en a qui se font payer. Mais nous, non.» Il n’a pas de carte de pêcheur, malgré ses nombreuses tentatives pour en avoir une, dit-il, mais il est bien enregistré comme skipper, a une pirogue. Pourtant, rien ne fonctionne, il ne touche aucune aide. Père de quatre enfants, âgés de 3 à 17 ans, il survit grâce à l’aide de ses parents et au petit salaire de sa femme. Pour arriver à manger au quotidien, il est désormais question de priorité : «On donne à manger aux enfants, avant tout, on se débrouille avec ce qu’il reste.» Avec les familles en pleine galère, comme lui, car l’argent venait de la mer, il y a l’entraide : «C’est la seule façon de faire face.» En attendant, les dettes s’accumulent, les projets prennent l’eau, l’avenir se noie.

 

Il pousse au loin l’envie d’aller pêcher, de tras-trase malgré tout, malgré les interdictions : «Je ne veux pas empoisonner les enfants, les gens… Ce serait un génocide. Il faut attendre cinq à six ans avant de pouvoir reprendre une activité… Comment allons-nous faire ?» Alors, il s’interroge : où sont passés les millions donnés au gouvernement et aux ONG ? Cet argent ne devrait-il pas servir à aider ceux qui sont dans le besoin ? À quelle porte doit-il frapper pour se faire entendre ? Comment un pays peut-il abandonner autant de familles, victimes d’une négligence criminelle ?