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Leur grève de la faim, leur dernière chance

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Les deux hommes ont décidé de se battre jusqu’au bout.

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Pour les encourager, des citoyens engagés et des syndicalistes se relaient au Jardin de la Compagnie.

Ils ont, tous les deux, été renvoyés de leur emploi. L’un travaillait à la Cargo Handling Corporation et l’autre dans un centre d’appels. Pour obtenir justice, ils ont décidé de s’affamer.

De la musique festive résonne dans le Jardin de la Compagnie. Ceux venus soutenir Sheryad Hoseny et Jaheed Hossain Saeb espèrent, peut-être, que ces mélodies rythmées leur donneront du baume au cœur. Au centre de ce lieu de la capitale, à l’aspect un rien négligé, un kiosque drapé de grands morceaux de tissu disparates pour donner une illusion d’intimité à ceux qui ont décidé de mener le combat de leur vie. Allongés sur des lits (donc pas sur des matelas posés à même le sol), ces deux jeunes hommes qui réclament justice se battent contre la faim… et la chaleur (malgré la présence d’un ventilateur de la marque Pacific). Ils ont entamé une grève de la faim le mardi 11 février, pour Sheryad Hoseny, et le mercredi 12 février, pour Jaheed Hossain Saeb, pour contester leurs limogeages qu’ils estiment injustifiés.

En ce début d’après-midi, une odeur de «farata» flotte dans l’air. Mais Sheryad Hoseny n’y fait pas attention. Allongé sur son lit, portable à la main, il attend que les heures passent. Non loin de lui, des bouteilles d’eau vides s’entassent. Cela fait plusieurs heures qu’il ne consomme que ce liquide. Il a décidé de mettre sa vie en danger pour son «combat». Qu’est-ce qui a poussé ce jeune homme de 27 ans à abandonner sa femme, Farah, et le confort de sa maison de Plaine-Verte pour s’affamer ? L’impression qu’on lui a volé une partie de sa vie. «Je vis un cauchemar. Et je veux que ça s’arrête», confie-t-il.

Renvoyé de la Cargo Handling Corporation (CHC) à deux reprises, il ne souhaite qu’une chose : retrouver son emploi. Il y est engagé comme General Worker en 2007 et est limogé en 2009 : «J’ai fait part de certains problèmes concernant les fiches de paie. J’avais décidé d’œuvrer pour le bien-être des employés.» Il porte plainte au Bureau du Travail et est réintégré le 1er décembre 2011 en tant que Warehouse Man, avant d’être à nouveau renvoyé le 2 décembre : «On ne m’a donné aucune raison. On m’a simplement dit que l’ordre venait d’en haut.»

Tentative de suicide

Sheryad Hoseny se relance, alors, dans les mêmes démarches avec l’aide de son syndicat. Mais presque trois ans plus tard, il attend toujours de réintégrer son poste. D’ailleurs, la CHC ne serait pas contre sa réintégration. Néanmoins, les deux partis doivent trouver un terrain d’entente, mais n’arrivent pas à le faire (malgré un recours à l’Employment Relations Tribunal et la Commission de conciliation et réconciliation du ministère du Travail) : «J’ai frappé à toutes les portes, sans résultat. J’estime que je n’ai plus le choix. Je n’ai pas les moyens de loger une affaire en cour.»

Depuis 2009, sa vie a basculé dans le noir : «J’ai même fait une tentative de suicide.» La lumière au bout du tunnel, il ne la voit plus. Incapable de trouver un autre emploi, il se fie à la générosité de ses beaux-parents et d’une société de Plaine-Verte afin de joindre les deux bouts : «Mon épouse est d’un grand soutien. Mais elle aussi vit des heures difficiles. Elle a des problèmes de santé et ne peut pas travailler.» Il espère que sa décision de faire une grève de la faim lui permettra d’alerter le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et l’opinion publique pour qu’enfin une solution soit trouvée : «Je n’ai rien fait de mal. Je veux juste retrouver une vie normale en réintégrant mon poste.»

Après des heures sans manger, il commence à s’affaiblir : «J’ai des crampes à l’estomac. Mem dilo pa rentre.» À ses côtés, un autre jeune homme, Jaheed Hossain Saeb, 23 ans. Ils se sont connus lors de réunions syndicales. Et ils ont décidé de faire entendre leur voix de la même façon. Jaheed a été, lui, renvoyé de son poste de superviseur d’un centre d’appels en janvier. Quelques semaines avant son limogeage, explique-t-il, la direction lui avait fait part de son souhait de se séparer de lui : «Elle voulait me payer le mois en cours et m’offrir Rs 90 000 d’indemnités. J’ai décidé de ne pas accepter cela. Je gagne Rs 40 000 à Rs 50 000 par mois. Ce n’était pas suffisant.» Puis, le 17 décembre, suite à une altercation avec son directeur, il fait une chute dans les escaliers «à cause du stress», se retrouve à l’hôpital, puis chez un médecin du privé : «J’ai reçu des antidépresseurs.»

Harcèlement moral

Il fait une déposition contre son directeur qu’il accuse de harcèlement moral. Jaheed Hossain Saeb l’avoue, il est une grande gueule : «Je ne me laisse pas marcher sur les pieds. À plusieurs reprises, nous avons eu des discussions.» À son retour au travail, trois jours plus tard, on lui apprend qu’il passera devant un comité disciplinaire le 7 janvier. On lui reproche un gross misconduct. Il est accusé d’avoir agressé physiquement et verbalement son supérieur. Sans grande surprise, il est limogé suite à cette rencontre officielle avec un arrangement financier encore moins «intéressant» que la première proposition, explique le jeune homme.

Il se dirige alors vers le Bureau du Travail qui planche sur son dossier actuellement. Du côté du centre d’appels, on affirme avoir tout fait «dans les règles» (voir hors-texte). Jaheed Hossain Saeb, lui, a décidé de se battre jusqu’au bout. Il souhaite une «indemnisation digne de ce nom». Mais ce combat, il ne le mène pas uniquement pour lui : «Je suis là aussi pour les autres employés des centres d’appels. Nous ne sommes pas protégés. Il est temps que les autorités se penchent sur notre cas et nous apportent plus de sécurité.» Les Call Centres, il connaît. Il les fréquente depuis qu’il a 16 ans. Il a construit sa vie en y travaillant. Mais depuis le 17 janvier, son monde s’est écroulé.

Loyer à payer, emprunts à rembourser (dont un loan qu’il a contracté pour que son petit frère, qui vit avec lui, puisse poursuivre ses études), dépenses du quotidien pour survivre, frais médicaux suite à sa dépression… Il ne sait pas comment s’en sortir : «C’est quelque chose qui vous tombe dessus et votre vie n’est plus la même. Vous pouvez décider, alors, de baisser les bras ou de vous battre. J’ai choisi la seconde option.» Et il est prêt à y laisser sa vie : «Mon combat est juste.» Dans ce kiosque, il a décidé de jouer le tout pour le tout.

Malgré la musique festive qui résonne dans le jardin, c’est le drame de deux hommes qui se poursuit dans ce petit coin de verdure de la capitale.

Mettre sa vie en danger

Ne pas imaginer une autre solution. Se sentir tellement impuissant qu’aucune autre alternative ne semble adéquate. Comment est-ce possible d’en arriver là ? Pour Sheryad Hoseny, c’est l’énergie du désespoir qui a guidé ses pas : «Je ne sais plus quoi faire d’autre. Pour moi, c’est la seule possibilité.» Mettre sa vie en danger en s’affamant quand les mots n’ont pas suffi, c’est une démarche qui demande d’être fort dans sa tête, explique Jaheed Hossain Saeb : «Il faut s’y préparer, être sûr de ce qu’on fait. Je ne vais pas flancher parce que dans ma tête, j’ai déjà accepté le pire. Je suis arrivé à la conclusion que je suis prêt à donner ma vie.» Pas de date limite à cette grève de la faim, les deux hommes ont décidé de se battre jusqu’au bout.

Cela, même si les nuits et les journées sont longues et inconfortables. «Heureusement que nos camarades du syndicat se relaient pour nous tenir compagnie. Nous ne sommes pas seuls», explique Sheryad. Quand à trois heures du matin, les douleurs vous réveillent et que malgré toute la volonté du monde vous vous sentez épuisé, il est toujours bon de ne pas être seul, explique Jaheed.

Le centre d’appels : «Nous avons tout fait dans les règles»

Rien à se reprocher. Le centre d’appels qui employait Jaheed Hossain Saeb estime avoir suivi «toutes les procédures» : «Nous avons tout fait dans les règles. Nous avons respecté la législation de l’île. Nous attendons les conclusions du Bureau du Travail qui mène actuellement une enquête. Nous ne pouvons pas aller plus vite qu’eux», nous a confié la directrice des Ressources humaines de cette compagnie qui se trouve à Ébène.

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