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Barkly : apprendre un métier pour s’en sortir

Jeremy Fanny a monté Barber King afin de pouvoir aider, à sa manière, les jeunes de sa communauté.

Ils n’ont qu’une envie : relever les jeunes et leur quartier. Pour lutter contre la drogue et ses ravages, Jeremy Fanny et son équipe ont imaginé Barber King. Les jeunes y apprennent le métier de coiffeur avant d’y travailler. 

En plein cœur de Barkly, enn ti baz attire les passants. Devant ce qui ressemble de toute évidence à un salon de coiffure, de nombreux jeunes attendent de se faire une coupe. Ciseaux dans une main, peigne dans l’autre, Dylon Doonoo se concentre au-dessus de la tête d’un jeune comme lui, venu se faire une coupe à motif sur le crâne. «On appelle ça le dégradé. On rase en dessinant des motifs sur le crâne. C’est très à la mode en ce moment», lance le jeune coiffeur. Populaire chez les garçons, cette coiffure, qui n’a rien de banale, rappelle celle de nombreux footballeurs.

 

Avec concentration et habilité, Dylon fait courir lentement la lame du rasoir dessinant avec précision les lignes qui formeront le motif final. Chaque jour, il en fait plusieurs. Passionné par cet art, il ne pensait pourtant pas en faire son métier. Comme beaucoup de jeunes du quartier, l’école n’était pas son truc. Il passait le plus clair de son temps à traîner avec ses copains dans les rues, prêt à succomber aux dangers qui guettent. Sans vraiment de projets d’avenir, il avait trouvé un job comme vendeur dans un magasin et à ses heures perdues s’occupait à exercer sa passion en faisant des coupes à ses amis et aux hommes de sa famille.

 

C’est une rencontre avec un autre jeune comme lui qui lui offrira de nouvelles perspectives. «Je n’ai jamais consommé de drogue alors qu’ici à Barkly, ça court les rues. Ici, presque tous les jeunes sont tombés dans cet enfer. Moi, j’ai trouvé Dieu. C’est lui qui m’inspire et qui me guide», explique Jeremy Fanny, 27 ans. Éboueur de profession, il ne connaît pas grand-chose à la coiffure. Pourtant, c’est lui qui est derrière Barber King. Bien plus qu’un salon de coiffure, Barber King est né d’une envie de s’engager pour son quartier et ses jeunes et de la motivation de créer pour eux de nouvelles opportunités.

 

«C’était en 2014. J’ai fait la rencontre d’un jeune qui vivait dans des conditions extrêmement difficiles. Pour gagner son pain, Jude travaillait comme coiffeur dans un salon mais ne touchait que Rs 1 000 comme salaire. C’était intolérable. Le plus incroyable, c’est que ce garçon était bourré de talent. Je ne pouvais pas rester les bras croisés.» Décidé à lui venir en aide, le jeune homme décide d’ouvrir, avec quelques économies, un petit salon à Tranquebar afin de permettre à celui avec qui il s’est lié d’amitié de travailler. «Nous n’avions pas grand-chose. Le salon était en tôle et ne payait pas de mine mais son talent attirait les clients et petit à petit, nous avons poursuivi dans ce que nous avions commencé», dit-il.

 

Une idée lui vient alors à l’esprit. «Je me suis dit pourquoi ne pas utiliser cette popularité pour venir en aide aux autres jeunes de mon quartier afin de leur donner une direction dans la vie.» Décidé à donner une vocation sociale à Barber King, Jeremy Fanny imagine un salon qui sera bien plus qu’un salon. «L’idée, c’était de prendre des jeunes du quartier qui n’allaient plus à l’école et qui avaient succombé à la drogue pour les former au métier de coiffeur afin qu’ils puissent apprendre un métier et avoir une chance de s’en sortir.» C’est donc Jude qui les forment. Dylon et plusieurs autres jeunes ont pu apprendre les rudiments du métier avant de pouvoir travailler et gagner leur vie dignement. Ils sont une vingtaine au total, affirme Jeremy Fanny.

 

«Nouvelle personne»

 

Après le premier salon de Tranquebar, deux autres ont été ouverts à La Tour Koenig et un autre à Barkly. «Nous avons avancé petit à petit. Nos deux premiers salons étaient en tôle et à force de travailler, nous avons pu les reconstruire en dur. C’est le message que nous voulons passer aux jeunes. Il faut qu’ils apprennent à travailler dur et leurs efforts seront alors récompensés.» Récemment, grâce à un partenariat avec Caritas, les jeunes coiffeurs de Barber King ont pu offrir un cadeau aux enfants du Centre of Learning de Barkly. Ils étaient nombreux à être pouponnés et à recevoir une coupe des mains des coiffeurs de Barber King. Une journée mémorable qui conforte Jeremy dans l’idée qu’il est dans la bonne direction.

 

Ne pas réussir académiquement n’est pas la fin de tout. Jeremy Fanny en est convaincu et c’est le message qu’il veut transmettre. «Suivre cette formation et pouvoir travailler est une chance pour beaucoup d’entre eux. Mais ici, on va plus loin. Ils apprennent la discipline, le respect. Quand ils s’engagent, ils doivent se montrer sérieux. Ils ne peuvent pas venir un jour et ne pas venir le lendemain ou arriver en retard tous les jours. Il faut qu’ils prouvent qu’ils veulent vraiment s’impliquer. On leur apprend aussi que rien n’est acquis sans effort, sans patience et sans persévérance.» Ce n’est qu’à travers le travail que ces jeunes connaîtront la maturité et l’indépendance.

 

C’est un chemin qui est long. Souvent, il n’a qu’à lever les yeux pour se dire que tout ça ne vaut finalement pas la peine. La drogue, dit-il, consume les jeunes de Barkly à petit feu. Tyler, 19 ans, revient de loin. Cela fait plusieurs mois, dit-il, qu’il n’a pas touché à «cette saleté». «Mo ti fim sintetik, jusqu’à ce que je me retrouve seul, sans famille.» La drogue est partout, dans chaque recoin de la cité embarquant des jeunes dans son sillage. Comme beaucoup, Tyler a succombé facilement à ce qu’il appelle ce «faux plaisir» qui a fini par l’aveugler. Très vite, il est devenu accro. «Il m’en fallait toujours plus. Kouma nisa fini bizin al rod ankor. Vous avez mal à l’estomac, des hallucinations, envie de vomir. Vous ne pensez qu’à la drogue.» Il passe le plus clair de son temps dans la rue, à se droguer avec ses «soi-disant» amis. «Ils ne veulent pas votre bien. Ils ne vous connaissent que quand il y a de la drogue. Quand c’est fini, ils n’en ont rien à faire de vous.»

 

Le pire, dit-il, c’est que la drogue est partout. «Rs 100 pocket. Ça se vend mieux que des petits pains.» Et tout le monde y a accès. «Ceux qui la vendent ne s’intéressent pas à qui il la vende. Ils ne diront même pas non à un enfant de 8 ans. Tout ce qui leur importent, c’est l’argent.» La tentation aussi est partout. D’ailleurs, dit-il, il a replongé une fois avant de refaire surface.

 

C’est en regardant Dylon travailler que le déclic a opéré. «C’est un ami et je venais souvent me faire couper les cheveux. Je voyais à quel point il avait changé et comment il avançait alors que moi, je me retrouvais derrière en train de sombrer.» C’est Jeremy, confie-t-il, qui l’a aidé à se relever. Il a appris le métier et travaille aujourd’hui comme coiffeur chez Barber King. «Il m’a fait découvrir l’église. Depuis, je me sens léger et comme une nouvelle personne. Ça m’a changé, m’a donné une nouvelle chance. J’ai envie de me surpasser, d’aller plus loin.» Aujourd’hui, raconter son histoire, dit-il, est un moyen de guérir de ses démons et d’ouvrir les yeux de ceux qui seraient prêts à se laisser tenter.