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Ananda Devi : Le surpoids des maux

L’auteure nous parle d’une jeune fille en surpoids qui subit les humiliations des autres.

Son nouveau livre, Manger l’autre, raconte la descente aux enfers d’une ado qui souffre d'obésité mais aussi du regard des autres, notamment sur les réseaux sociaux. Au cœur de cette existence sombre et sédentaire, cette jeune fille va découvrir l'amour. L’auteure du Sari vert et d’Eve de ses décombres donne des pistes sur son nouvel ouvrage.

La genèse du livre vient de l’image d’une femme en surpoids, que vous avez vue dans un magasin lors d’un voyage aux États-Unis. Cette image et la rédaction de votre livre ont-elles changé votre regard sur les personnes souffrant d'obésité ?

 

Ce livre a changé mon regard et  surtout m'a fait prendre conscience  de la réaction viscérale des gens par  rapport à l'obésité. Il s'agit de remettre nos a priori en question et de comprendre que le fait de porter un jugement sans savoir ce qui a mené ces personnes à cette situation particulière équivaut à une double peine – une souffrance doublée d'un rejet qui multiplie la haine de soi.

 

Manger l’autre pointe du doigt le consumérisme qui gagne le monde. Comment le vivez-vous en tant qu'écrivain et en tant que personne, au quotidien ?  

 

Je fais partie de cette génération dont l'enfance et l'adolescence ont été vécues sans la plupart des technologies omniprésentes aujourd'hui, et qui a vu tous ces changements survenir à une vitesse ahurissante. À présent, on se rend compte que la spirale est devenue impossible à ralentir et à maîtriser. Notre rapport au matériel a beaucoup changé en deux générations. La technologie n'est pas une mauvaise chose en soi mais cette concentration de besoins créés de toutes pièces, et qui génèrent du vide, me semble une fuite en avant qui nous empêche de marquer les temps d'arrêt nécessaires pour comprendre le monde et y réfléchir. Cela devient une obsession. Une mise en scène constante du «soi», avec une dose de narcissisme et un rapport aux autres et au monde faussé par les écrans interposés. Pendant ce temps, une autre partie de la planète vit dans le dénuement le plus total et subit des atrocités sans nom. Comment appréhender ce chaos annoncé ? C'est à travers l'écriture que je parviens à donner un sens à tout cela, en jouant le rôle de l'observatrice que j'ai toujours été, le témoin, peut-être, de notre époque.

 

On retrouve à nouveau, dans votre œuvre, un personnage féminin qui passe par des moments très violents, autant physiquement que psychologiquement. Est-ce une façon de dire que la condition des femmes n'a pas évolué et qu'elle n'évoluera pas ?

 

Dans ce livre, ce n'est pas tant la condition féminine – bien que cela fasse aussi partie du propos. Il est aussi question de celle d'un être humain livré en pâture aux regards, aux jugements, au mépris, au rejet, de par son apparence. Cela aurait pu être un jeune homme obèse. La femme est davantage exposée et jugée sur son apparence, et ce n'est pas près d'arrêter, si l'on en croit les photos que les adolescentes postent sur les réseaux sociaux. Ma narratrice dit, à un moment donné, qu’elle a beau être très intelligente, on la prend toujours pour une demeurée parce qu'elle est obèse. Personne n'est capable de voir au-delà de ce corps, sauf celui qui va l’aimer. Donc oui, c’est une violence qui touche peut-être davantage les femmes mais je voudrais que mon propos aille plus loin, qu’il englobe toutes formes de marginalisation.

 

Votre roman parle autant de la répulsion de son corps que du regard des autres. Dites-nous en plus…

 

C'est souvent le regard des autres qui crée cette répulsion. Bien sûr, l'obésité morbide est un état pathologique qui déforme le corps et qui est une torture au quotidien. Mais au-delà de cet extrême, des personnes tout à fait normales éprouvent souvent un dégoût de leur corps parce qu'elles se trouvent en surpoids par rapport à l'idée que l'on se fait des canons actuels. Cela part aussi d'un malaise psychologique profond, qui ne doit pas être négligé si nous ne voulons pas que les jeunes générations soient prises dans le même cercle vicieux. Et je suis convaincue que les réseaux sociaux ne font qu'exacerber ce regard permanent posé sur soi, cet œil dont je parle dans mon roman.

 

Dans un passage du livre, le personnage a une relation amoureuse. L'amour est-il le salut dans ce monde que vous décrivez de façon si sombre ?

 

Dans ce livre, certainement, et aussi dans la vie. Mais j'entends par là un amour généreux, qui sort des rapports dominé-dominant, du jeu de pouvoir, de l’acte de possession qui entrent dans les relations dites amoureuses et que l'on méprend pour de l'amour. C'est évidemment un sujet immense et brûlant : l'amour respectueux de l'autre et généreux est une source de salut, oui, mais cela implique de maîtriser des instincts ataviques et archaïques de domination, surtout masculine, et de finalement comprendre vers quoi aurait dû nous conduire la civilisation. On en est encore loin. La rencontre de ma narratrice avec un autre exclu de la société – mais pour d'autres raisons – sera le seul souffle d'air frais dans cette histoire si sombre. J'ai été tentée de donner une fin heureuse à ma narratrice mais au cours de l'écriture, l'histoire m'a entraînée, au contraire, vers des abîmes terrifiants et j'ai dû «obéir» à ce que me dictait mon inspiration, même si j'ai moi-même été assez choquée d'avoir écrit cela.

 

 

D'autres projets après la parution  de ce livre ?

 

Pour le moment, j'en suis à l'écoute de la «vie» de ce livre, qui provoque des réactions assez fortes. J'ai, bien sûr, d’autres textes en cours mais je ne sais pas encore quel sera celui qui exigera de naître avant les autres. Le temps qui suit l'écriture et la parution d'un roman est un peu flou. On se laisse porter jusqu'à ce qu'un sujet, de nouveau, nous happe. Donc, j’attends.