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Vécu en confinement : mon histoire, mon traitement

Mélanie Regnaud, atteinte du lupus

Avant l’arrivée du virus qui a chamboulé nos vies, nos interlocutrices et notre interlocuteur vivaient déjà avec l’obligation de suivre un traitement médical. Avec le lockdown, le stress, la peur et les nouvelles réglementations, comment ces personnes s’en sortent ? Témoignages…

Mélanie Regnaud, atteinte du lupus : «Trouver des médicaments, un casse-tête»

 

«Vivre avec une maladie auto-immune, c’est déjà une épreuve de force. Le lupus, ce sont des douleurs, des accès de fièvre, des organes fragilisés et une intense fatigue, pour ne citer que ces symptômes-là. Nous sommes terriblement à risques concernant le Covid-19, pourtant, nous sommes appelés à nous rendre chaque dix jours à l’hôpital pour récupérer nos médicaments. Pour survivre dans de bonnes conditions, il nous faut mettre notre vie ou/et celle de nos proches en danger ? Si mon compagnon y va, il prend des risques pour lui et il me met en danger ; parce qu’il n’y a pas de possibilité de self-isolation à la maison. C’est inconcevable ! Je préfère, et je ne suis pas la seule, rester sans médicaments, même si c’est aussi mettre ma vie en danger. Jusqu’à l’heure, j’ai pu me débrouiller, demander à une amie qui bosse au laboratoire de récupérer du Plaquenil (hydroxychloroquine), traitement utilisé contre la malaria et maintenant contre le coronavirus. Nous, les patients atteints de lupus, avons notre traitement uniquement pour dix jours et il faut constamment le renouveler. Depuis quelques jours, je n’ai plus de médicaments. Ça va, je tiens le coup. Mais j’ai beaucoup de douleurs. D’autres filles qui ont le lupus et avec qui je suis en contact souffrent encore plus. Elles n’ont pas eu leur rendez-vous ni leurs médicaments. Certaines n’avaient pas de stock et survivent depuis des mois. Une parmi a développé des tâches noires sur ses jambes. Ce médicament est essentiel pour nous. Avec la cortisone, il permet de nous maintenir en état de marche. J’essayais un nouveau traitement et j’ai dû arrêter à cause du Covid-19, parce que ça mettait mon système immunitaire au plus bas. Je dois me contenter du traditionnel et je ne dois, sous aucun prétexte, l’arrêter. La dernière fois que j’ai essayé, j’ai failli perdre l’usage de mes reins. Oui, c’est aussi grave que ça ! Dans tout ça, je ne parle pas de mes traitements gynécologiques et mes médicaments contre la dépression qui semblent si difficiles à trouver. Pour le lupus, ce serait bien d’avoir un service à domicile ; ou alors si c’est trop compliqué, qu’on nous donne une heure spécifique où on peut récupérer notre médicament sans contact. Inutile d’attendre pendant des heures et de s’exposer plus qu’il ne le faut. Ce serait bien aussi que, même si on a notre rendez-vous tous les trois mois, qu’on ne nous demande pas de nous rendre à l’hôpital mensuellement pour prendre nos médicaments et chaque dizaine pour la Plaquenil.»

 

Jonathan, sur traitement de méthadone : «On s’expose tous les jours»

 

 

«C’est un vrai parcours du combattant. Prendre sa méthadone tous les matins, c’est mettre sa vie en danger. C’est s’exposer tous les jours. C’est vivre des moments délicats et douloureux. Oui, je suis un ex-toxico. Oui, j’ai fait des erreurs. Mais ça ne fait pas de moi une mauvaise personne et, surtout, j’essaie de m’en sortir. La méthadone est un traitement médical mais nous qui le prenons, nous sommes traités comme des parias. D’abord, il faut parler des horaires en lockdown : deux petites heures, de 6 heures à 8 heures (au lieu de la distribution faite jusqu’à 11 heures). Le van est souvent en retard. Mais n’attend pas une seconde après 8 heures. Les bus sont rares et si vous n’avez pas de moyen de transport ou encore un lift, il faut marcher longtemps pour rejoindre la station de police la plus proche. Là, vous êtes accueilli par des policiers, souvent vulgaires, qui vous traitent comme de la merde. Pas une minute pour s’asseoir, surtout si on a marché, et pas une minute pour se poser après la prise du médicament ; ils vous hurlent dessus. Pourtant, c’est dans le protocole de la méthadone ; nous devrions avoir la possibilité de souffler avant et après la prise du médicament. Puis, il y a ces doses qui ne se ressemblent pas ; un jour ça va, un jour je sens qu’il manque quelque chose. Je ne dirai pas que certains infirmiers se servent mais je le pense très fort. Alors, si le dosage n’est pas approprié, on dort mal, on est nerveux, on ne se sent pas bien. J’ai tenté d’aller voir le médecin pour en discuter, on m’a dit qu’il fallait attendre après le confinement. C’est un médicament ! C’est important ! Pourtant, parce que je suis un ex-toxico, je suis un citoyen de seconde zone. Même si je bosse, même si je suis réglo, moi, je peux être malade tous les jours ; ça, ce n’est pas grave. Avec mes camarades, c’est la galère ; il faut manger avant de venir, il faut porter un masque, des gants. Mais il y en a parmi nous qui n’ont même pas les moyens de bouffer ! Maintenant, imaginez comment ils peuvent penser aux protections. C’est terrible ! Et puis, si on bosse, qu’on fait des heures supplémentaires, comment on peut faire pour pouvoir se rendre dans ce créneau horaire si serré ? On ne mériterait pas un endroit plus discret, dans le respect des êtres humains que nous sommes ? Et pourquoi doit-on sortir et s’exposer à la maladie tous les jours pour prendre, et je me répète, notre traitement médical ? Les gens qui ont des troubles psychiatriques ont des psychotropes pour un mois ; ça reste une drogue aussi. Si on nous permettait d’avoir notre médicament pour trois jours, nous, ça nous soulagerait déjà…»

 

Leena, traitée pour une dépression chronique : «Je ne trouve pas mes médicaments»

 

 

«Les premiers jours du confinement, je ne me suis pas vraiment inquiétée. J’avais mes cachets en réserve, heureusement, car le lockdown m’a mis dans un état d’angoisse incroyable. J’avais des débuts de crise de panique, je n’arrivais pas à penser juste. Je voyais tout en noir, je me sentais aspirée par un trou sans fond. Dans ces moments-là, aucune lumière au bout du tunnel. Seuls mes médicaments m’aidaient à tenir le coup. Ma psychologue a essayé de m’aider à distance. Mais en crise, ça ne sert pas à grand-chose ; j’ai besoin de mes cachets. J’ai tenu le coup et au bout d’une semaine, j’ai commencé à angoisser encore plus, je n’avais presque plus de pilule. J’ai commencé à chercher dans la pharmacie de ma localité : rien. Je me suis aventurée plus loin, j’ai essayé les villages avoisinants : rien. La pharmacie du centre commercial le plus proche : une boîte. Ça n’a pas tenu longtemps. Alors, je suis partie plus loin encore, c’est là que me suis fait arrêter par des officiers de la SMF, ils ne comprenaient pas ce que je faisais aussi loin de chez moi. Je leur ai expliqué ; la discussion a été rude, ils m’ont menacée de me mettre une amende si je ne rentrais pas chez moi. C’est ce que j’ai fait. Depuis deux semaines, je vis sans traitement, dans la peur de sortir à nouveau. Les idées suicidaires sont revenues mais j’angoisse moins à cause du virus et du confinement : mes proches vont bien. Et moi aussi. Ça m’aide à relativiser. Je pratique de la méditation intensément pour tenter de me centrer. Du sport aussi. Mais ce n’est pas tous les jours facile. Je tiens quand même le coup pour l’instant. One day at a time. Même si l’idée même du déconfinement est une autre étape à gérer dans ma tête. J’ai mis en place des mécanismes pour tenir le coup. Ça demande des efforts immenses. Et beaucoup d’énergie, je vivrais mieux si j’avais mes médicaments. Mais bon, je ne les trouve pas. Qu’est-ce que je peux faire à part me maintenir en vie ?»

 

Reshma, en chimiothérapie : «La peur est là»

 

 

«Dans mon sac, du gel désinfectant en deux exemplaires. Des lingettes, des masques et des gants. La peur est là, j’essaie quand même de la contrôler. Quand je rentre chez moi après une séance de chimio à l’hôpital de Candos, je me change, je me désinfecte. Je ne veux pas que mes enfants tombent malades. Ma famille souffre déjà de mon cancer. Je ne veux pas ajouter, en plus, un risque de Covid-19, surtout que je me rends à un endroit qui fait peur. On sait tous que les malades du cancer sont les plus fragiles en ce moment. Avec la chimio, les traitements médicamenteux, notre système immunitaire est au plus bas. Et ce qui n’arrange pas les choses, c’est que le traitement est perturbé. Au lieu de quatre séances prévues, je n’ai pu en avoir que deux : décision de l’hôpital. Je peux comprendre que le personnel de santé est surmené. Alors, je ne m’énerve pas trop des désagréments. Comme le fait que j’ai dû payer un taxi pour me rendre à mes séances : normalement, l’hôpital prévoit une ambulance. Mais là, elles sont toutes prises. Ça m’a fait un gros trou dans mon budget mais comme on dit : la santé avant tout, non ? Ça fait des mois que je me bats contre mon cancer, c’est déjà une épreuve terrible, le Covid-19 a rendu les choses encore plus compliquées dans un sens. Mais m’a aussi permis de me reposer, en ne me rendant pas au travail, et de profiter de ma famille… Je ne sais pas combien de temps il me reste à vivre. Je ne sais pas si le virus et l’annulation de mes deux séances vont jouer contre moi. J’essaie de rester positive : au-delà de tout ça, la prise en charge à l’hôpital est respectueuse des règles, je ne me sens pas vraiment en danger en m’y rendant. Nous, les patients cancéreux, nous avons notre propre couloir. C’est déjà bien. Même si ce n’est pas parfait.»