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«Spoliation des terres» et accord avec le gouvernement | Clency Harmon : le combattant rentre chez lui, mais…

Il a retrouvé ses fils, le confort de sa maison, la chaleur d’une douche… Mais il ne perd pas de vue l’objectif principal du combat qu’il mène.

La fatigue module sa voix. Lui donne des tonalités rauques, des accents de sommeil : «Je me suis réveillée il y a cinq minutes. Mon lit m’avait beaucoup manqué.» 14 heures, en ce samedi 13 avril, et Clency Harmon vient de passer une nuit réparatrice chez lui, à Péreybère. À l’abri des bourrasques, des coups de vent, de la pluie qui s’est insinuée avec force sur la ligne de son combat, à la vie, à la mort, qui a duré 15 jours. 15 jours pendant lesquels l’homme de 58 ans s’est affamé sur le parvis de l’Église Immaculée Conception au nom d’une bataille qu’il mène depuis de nombreuses années contre ce qu’il qualifie de «spoliation des terres» ; le «vol» des terrains appartenant aux ancêtres de certains Mauriciens. Une problématique qui existe dans le paysage des revendications locales depuis plusieurs générations qui aurait trouvé un début de solution grâce à un accord gouvernemental, en fin de semaine.

 

Clency Harmon avait, lui, décidé d’être la voix et le visage de ceux qui se battent dans l’ombre depuis des années. Sa lutte – pas désintéressée, bien sûr : il réclame, lui aussi, le terrain de ses ancêtres – passée inaperçue les premiers jours, a connu, cette semaine, une vague de soutien. Des politiciens de tous bords, des individuels, des personnes engagées socialement ont rejoint le comité de soutien qui n’a pas quitté Clency Harmon dès les premiers instants de son combat publique. L’intervention publique – il est là depuis le début – de Jack Bizlall a, sensiblement, accéléré les choses et après des couacs dans la communication entre le bureau de l’Attorney General et le comité de soutien, le gouvernement et ceux qui réclament justice sont tombés d’accord sur les principaux points d’une tentative de réparation pour ceux qui se sentent lésés (voir hors-texte). 

 

Et si les heures qui ont suivi la signature de l’accord ont apporté bonheur et soulagement à Clency Harmon, le réveil est un peu difficile. Car, selon lui, le Premier ministre n’a pas tout compris (voir hors-texte). Mais retour sur cette arrivée chez lui après ces dures journées et nuits terribles à dormir sur un matelas posé sur des blocs. Pendant 15 jours, il a mis de côté sa fierté, son intimité. Le besoin de se sentir protégé par une maison. La nécessité d’être au sec, d’être loin du regard de tous. Mais ce n’est pas seul que Clency Harmon est rentré à la maison. Il était accompagné de ceux qui ont été à ses côtés pendant ce temps de privation. Ceux qui ont passé des nuits blanches sur le parvis de l’église, ceux qui ont veillé sur lui pendant qu’il trouvait un repos nécessaire alors qu’il ne s’alimentait plus. Coming home en héros, salué par tous, il ne s’attendait pas à éprouver un tel bonheur : «J’étais content de rentrer à la maison. Retrouver mon entourage, mes enfants…»

 

Son premier repas, il vient de le prendre. Une soupe pou refer lekor : «Hier soir, je ne pouvais pas manger. J’ai préféré me reposer.» Il faudra des jours et des semaines avant que l’intense fatigue s’estompe, pour que le corps s’éloigne de cette expérience traumatisante afin de retrouver son rythme normal. S’affamer n’a rien d’anodin. L’acte même va à l’encontre de l’essence de l’être. Mais Clency Harmon est prêt à recommencer. Si besoin est : «Je ne m’arrête pas là. Je reste sur mes gardes.» L’épreuve intense qu’est une grève de la faim – il ne s’agit pas que de privation de nourriture –, il n’en a pas peur. Il connaît, désormais, l’intense sensation de faim, l’impression de vide et, petit à petit, l’arrivée d’une torpeur douloureuse. Et il est prêt à y refaire face, car il a, en lui, l’intime conviction que cette «spoliation des terres» est un crime contre des générations de Mauriciens. Que le vol de ces terrains, c’est un vol de l’histoire. Une discrimination qui se perpétue au-delà des changements qui ont secoué le monde ces 50 dernières années.

 

Et la fatigue ne le fera pas plier. Même si elle est là, présente dans sa voix et dans chaque parcelle de son corps. Il y a des sentiments beaucoup plus forts qui l’animent ; l’énergie de ce désespoir qui ne s’éteint pas et cette envie de justice qui a fait hurler des générations avant lui…

 


 

«Le Premier ministre a mal interprété…»

Il n’est pas si satisfait que ça, le Clency Harmon ! Si au vendredi 12 avril, il exprimait sa satisfaction suite à l’accord trouvé entre le comité de soutien et le gouvernement, celui qui a fait la grève de la faim pendant 15 jours se dit perplexe : «Le Premier ministre a mal interprété l’accord gouvernemental. Je l’ai compris quand il s’est exprimé en conférence de presse. Et il a attendu que je mette fin à ma grève de la faim...» Pour lui, ce n’est pas possible que Pravind Jugnauth cultive encore le flou : «Dans l’accord qu’il a signé, il y a un timeframe ; ça a été écrit noir sur blanc. Il rentre au Parlement et il doit annoncer ses intentions dans son discours.» Sa réaction face à ces «nouvelles données» n’a pas été vraiment positive : «Je suis déçu. Soit il n’a pas compris toutes les subtilités de l’accord, soit il veut encore une fois noyer le poisson. Mais ça fait des années qu’on nous roule. Mais là, il y a un document signé qui est binding. Attendons voir.»

 


 

Un accord

Une Land Court, une Land Division ou un Land Tribunal ? Si le gouvernement et le comité de soutien de Clency Harmon ont trouvé un accord afin de mettre fin à la grève de la faim, les modalités pratiques ne sont pas encore connues. Reste que Jack Bizlall sera tenu au courant de toutes les avancées des discussions et des prises de décision. D’ailleurs, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a salué, lors d’un point de presse, l’engagement de l’homme : «C’est grâce à la compréhension et la collaboration de Jack Bizlall que la situation a été décantée.» L’accord a été signé par le secrétaire financier du ministère des Finances, Dev Manraj, et assure qu’un Coordination Committee sera créé et que deux membres du comité de soutien y siégeront.

 


 

Pour situer

Au sein d’une association, l’Association Justice et Vérité, environ 75 familles demandent la même chose : le retour de ses terres familiales qui leur auraient été volées. À Maurice, elles seraient environ 200 à réclamer justice. Et c’est devant la Commission Justice et Vérité qu’elles ont déposé, il y a plusieurs années. En 2011, dans son rapport, cette instance, visant à apporter des solutions aux problèmes de spoliation de terres, avait recommandé la création d’une Land Court, afin d’examiner et de statuer sur chaque cas qui semblait genuine. Plusieurs années plus tard, rien n’a été fait. La Law Reform Commission a, fin 2018, donné tous les outils, dans un document intitulé «Opinion paper on mechanism for the settlement of land disputes», pour que ce tribunal soit institué, et le Conseil des ministres a annoncé, en octobre 2018, la création d’un comité interministériel pour se pencher sur la façon de procéder. Désormais, le gouvernement s’est engagé à agir. Alors les membres
de l’Association Justice et Vérité espèrent…