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Mort troublante de Keirah Esther, 15 mois, premier enfant à succomber au virus - Ses proches, entre révolte et chagrin : «Nous réclamons justice pour elle»

Les funérailles de Keirah ont eu lieu sous des conditions sanitaires strictes.

La Covid-19 a fait pas mal de morts dans l’île jusqu’ici, surtout au cours de ces dernières semaines. Bien que le départ de chacune des victimes ait suscité un vaste mouvement de sympathie, celui de Keirah Esther a particulièrement touché les Mauriciens. Pour cause, ce petit ange n’était âgé que de 15 mois et est le premier enfant à succomber au virus à Maurice. Partagés entre le choc, la tristesse et l’incompréhension après l’avoir perdue si brusquement – alors qu’au départ, elle avait été admise à l’hôpital Jeetoo pour une gastro –, son entourage a aussi dû faire face à des situations ambiguës, à l’instar de la présence de deux certificats de décès différents ; l’un indiquant une «Aspiration Pneumonia» comme cause de la mort et l’autre la Covid-19. Ils envisagent de porter plainte durant les jours à venir pour diverses raisons. 

Ils ne comptent pas rester les bras croisés. La semaine prochaine, les proches de Keirah Esther, 15 mois, rencontreront leur homme de loi, Me Roshi Bhadain, avant de consigner une déposition à la police. «Nous réclamons justice pour Keirah. Ce qui est arrivé à ma petite-fille est inadmissible. L’hôpital a fait preuve de négligence en la plaçant dans une salle où étaient admis uniquement des patients positifs au virus», lâche Kursla Henri, du chagrin et de la révolte dans la voix. Elle bénéficiera du soutien d’une autre patiente, admise au même moment dans cette salle, qui témoignera en leur faveur. Dans sa démarche, la famille Esther espère aussi avoir des éclaircissements sur la présence de deux certificats de décès différents, ayant ajouté encore plus de confusion et de douleur à la terrible épreuve qu’ils traversent. «Nous voulons comprendre ce qui a pu se passer. Nous ne voulons pas qu’une autre famille traverse cela à l’avenir.» Dans une déclaration lors du point de presse du National Communication Committee (NCC), le vendredi 10 septembre, le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, a d’ailleurs indiqué qu’une enquête avait été ouverte en ce sens car il n’était pas normal que deux certificats de décès différents soient émis pour une seule personne.

 

Les faits remontent au jeudi 9 septembre. Quand nous rencontrons Samia, la mère de la petite Keirah Esther, à son domicile, cela fait à peine quelques heures que celle-ci est décédée et la nouvelle s’est déjà répandue comme une traînée de poudre dans sa localité, à Cité-La-Cure. Effondrée de chagrin, la jeune maman fait tout de même de son mieux pour garder la tête froide, en attendant le retour de ses proches partis effectuer les dernières démarches à l’hôpital Jeetoo, avant les rites funéraires. Le message avait déjà été passé : après la veillée, la cérémonie mortuaire aurait eu lieu le lendemain, en famille. Samia voulait à tout prix que sa fille soit enterrée dans sa petite robe blanche, dans un cercueil vitré, l’occasion pour son entourage de revoir son joli minois une dernière fois avant qu’elle rejoigne sa dernière demeure. À ce moment-là, ils n’avaient encore aucune idée de la tournure que prendraient les événements. Entre ses innombrables appels téléphoniques et les allées et venues d’amis et de proches venus lui présenter leurs sympathies, Samia nous raconte les derniers moments de son petit ange.

 

Il y a à peine deux semaines, Keirah Esther était encore une petite fille pleine de vie. Elle jouait, riait et courait dans tous les sens, comme tous les enfants de son âge. Son entourage n’avait jamais été préoccupé par sa santé car elle était toujours en pleine forme. Le lundi 30 août, cependant, ses parents l’ont conduite à l’hôpital Jeetoo : «Cela faisait quelques jours qu’elle ne mangeait plus, ne buvait plus et souffrait de vomissements. Elle avait eu la gastro.» Comme le veut le protocole, Samia et sa fille ont dû avoir recours à un test PCR avant que la petite ne soit hospitalisée. «Les résultats ont démontré que j’étais positive à la Covid-19, alors que ceux de Keirah étaient négatifs. Bien que j’aie insisté pour que ma fille soit admise en pédiatrie avec un membre de ma famille n’ayant pas contracté le virus, le personnel nous a placées dans la salle où se trouvaient tous les patients positifs. Zot inn dir mwa ki se mwa so mama, ki mo bizin rest avek li. Zot inn met serom avek mo ti baba ek inn dir mwa donn li manze, bwar, ki li pa pou rest la lontan.»

 

Sous respiration artificielle

 

D’abord réticente, Samia a fini par écouter les conseils des médecins mais bien vite, l’état de santé de sa fille s’est détérioré. «Elle dormait toute la journée, n’avait plus d’énergie. Au bout de trois jours, elle a été victime d’un arrêt cardiaque et il a fallu la réanimer. Le personnel de l’hôpital l’a à nouveau soumise à un test PCR et ses résultats se sont avérés positifs.» Ainsi, le jeudi 2 septembre, la petite Keirah Esther a été transférée au département de la Surgical ICU, alors qu’on a recommandé à sa mère de rentrer chez elle et de s’auto-isoler. «Depuis, aucun des membres de ma famille n’a été autorisé à la voir. Les médecins nous ont dit que son état se dégradait : elle avait les bronches serrées, une infection au poumon, ses reins ne fonctionnaient plus, son cerveau ne recevait plus suffisamment d’oxygène. Elle avait été placée sous respiration artificielle. Je n’ai jamais vraiment bien compris de quoi elle souffrait.» Dans la nuit du mercredi 8 septembre, la petite a fini par pousser son dernier souffle, ce qui a suscité une immense douleur et une terrible révolte chez ses proches. «Si elle n’avait pas été placée dans cette salle, elle n’aurait jamais contracté le virus», lâche Kursla Henri, la grand-mère de la fillette. Mais la famille était loin d’être au bout de ses peines.

 

Durant la journée du jeudi 9 septembre, les proches de la petite Keirah ont passé la journée à l’hôpital Jeetoo pour effectuer des démarches administratives. Dans un premier temps, un certificat de décès signé d’un médecin de garde leur a été remis, évoquant une «Aspiration Pneumonia» comme cause principale du décès. «On nous a informés qu’elle n’avait plus la Covid-19 car ses trois derniers tests PCR étaient négatifs. Il était prévu que le corps nous soit remis pour les funérailles après une autopsie», confie Annabelle, une cousine. Plus tard, dans l’après-midi, les choses ont pris une tournure différente avec l’apparition d’un deuxième certificat de décès signé, cette fois, d’un Specialist Pediatrics. Celui-ci indiquait que le dernier test PCR de la petite était positif et que son décès est directement lié au virus, entraînant un véritable chamboulement au sein de leur famille. Résultat : le corps de Keirah Esther ne pourrait pas être remis à son entourage qui avait gardé l’espoir de pouvoir lui rendre un dernier hommage. «Kouma li posib ki enn sel dimounn ena de sertifika dese ? Si zot ti dir nou depi koumansman ki zot pa pou kapav donn nou so lekor, nou pa ti pou fer tousala. Nou ti ena lespwar pou trouv li enn dernie fwa.»

 

Plongés dans l’incertitude, les proches de Keirah Esther ne se sont pas pour autant avoués vaincus. Le même soir, ils se sont à nouveau rendus à l’hôpital Jeetoo pour comprendre ce qui avait entraîné une telle confusion et en espérant qu’ils pourraient changer la donne, mais au bout de plusieurs heures d’attente, ils ont fini par se faire une raison. «J’avais vraiment espéré pouvoir la ramener à la maison avec moi pour une veillée mais j’ai dû me plier au protocole. On m’a tout de même autorisée à la voir une dernière fois», confie sa mère, au comble du chagrin. Le lendemain, soit le vendredi 10 septembre, les funérailles de Keirah ont eu lieu sous des conditions sanitaires strictes, en présence d’uniquement dix personnes. «Keirah n’a pu porter la robe blanche que lui avait apporté sa mère. Le vêtement a été placé dans son cercueil et ma petite-fille a été enterrée dans un sac en plastique», s’insurge Kursla Henri avec amertume. Le dernier souhait de Samia pour sa fille n’a malheureusement pu être exaucé. Encore une épine qui lui a transpercé son coeur saignant déjà abondamment.