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Michel de Ravel, reconnu coupable d’attentat à la pudeur, échappe à la prison | Les victimes du pédocriminel entre choc et incompréhension

Pour Marine, comme pour toutes le autres, le combat pour la justice continue.

Le pays surfe sur une vague d’indignation depuis que la cour intermédiaire a condamné Michel de Ravel à des cautions de bonne conduite alors qu’il a été reconnu coupable sous 21 chefs d’accusation pour attentat à la pudeur sur huit victimes mineures. Le DPP a fait appel du jugement, estimant que la magistrate a été trop indulgente. En attendant ce nouveau procès, les victimes, écœurées, nous confient leur déception, leur colère mais aussi leurs espoirs. L’une d’elles, Marine, a décidé de parler à visage découvert, d’autres se sont confiées sous couvert de l’anonymat. Des témoignages poignants.

Il y a de la déception et beaucoup de colère dans sa voix. Marine, une des victimes de Michel de Ravel, ne cache pas son indignation après la sentence dont a écopé ce pédocriminel le mercredi 24 avril. Il a été condamné à trois cautions de bonne conduite de Rs 10 000, Rs 20 000 et Rs 30 000 en raison de son état de santé, alors qu’il a été reconnu coupable, en août 2018, sous 21 chefs d’accusation pour attentat à la pudeur sur huit victimes mineures. La sentence est assortie d’une liberté surveillée d’une période de trois ans durant laquelle il doit aussi faire preuve de bonne conduite. Le Directeur des poursuites publiques a toutefois décidé de faire appel du jugement, estimant que la magistrate Niroshni Ramsoondar, siégeant en cour intermédiaire, a été trop indulgente avec l’accusé dans sa sentence. Les délits ont eu lieu il y a plus de 20 ans.

 

Marine a aujourd’hui 28 ans. Mais la première fois qu’elle a subi des attouchements sexuels de la part de Michel de Ravel, un ami de ses parents, elle avait seulement 5 ans. Elle a ainsi été abusée plusieurs fois par cet homme jusqu’à ses 12 ans. Sept ans de martyr qu’elle a passé sous silence. Ce n’est que presque dix ans plus tard qu’elle brisera le silence, quand Michel de Ravel lui-même présentera des excuses à ses parents pour ce qu’il avait fait endurer à Marine. Depuis, la jeune femme et les autres victimes du prédateur n’attendaient qu’une chose, que justice soit faite. Mais aujourd’hui, elles s’estiment flouées, elles sont atterrées, révoltées.

 

«J’ai attendu pendant sept ans que justice soit faite», confie Marine. Quand Michel de Ravel avait été reconnu coupable sous les 21 chefs d’accusation en août 2018, toutes les victimes ainsi que leurs proches avaient vécu cela comme une victoire mais la sentence équivaut pour eux à une défaite. «Aujourd’hui, je suis extrêmement choquée. Je suis très déçue de cette sentence. Quel message cette magistrate a-t-elle voulu faire passer avec cette sentence ?» s’insurge la jeune femme dont le chemin vers la reconstruction a été marqué par des hauts et des bas. «Le chemin a été houleux. Mais j’ai toujours été une battante avec un fort caractère. J’invite les autres victimes des pédocriminels à ne pas baisser les bras. Il faut aller de l’avant. Il ne faut surtout pas se décourager.» L’appel du DPP est accueilli avec soulagement et espoir par Marine et toutes les autres. «Le combat continue, il doit continuer», dit-elle.

 

Dénoncer leur prédateur

 

En attendant que le procès en appel soit entendu et que Michel de Ravel «paie enfin sa dette», ses victimes essaient toujours de se remettre du choc infligé par la sentence de la magistrate Ramsoondar, qui ravive leurs blessures au lieu de les apaiser. Julie*, une autre jeune femme abusée par Michel de Ravel dans son enfance, se révolte : «Entendre ce jugement est une honte pour notre pays et sa justice.» Et dire qu’après plusieurs années à se murer dans le silence elle et les autres filles avaient enfin eu le courage de dénoncer leur prédateur, un homme d’affaires renommé, à la police en 2012. Celui-ci avait abusé d’elles dans les années 90 quand elles étaient en visite chez lui. Trois d’entre elles étaient ses nièces et les autres des amies de ses deux filles. Elles avaient entre 4 et 15 ans. «2012. Pour certains, la fin du monde devait arriver. Mais pour nous, ce fut la fin de notre monde. Sept ans ce sont écoulés depuis que le silence a été brisé et que la vérité a surgi», confie Mathilde*, une autre victime.

 

Mélanie*, qui a aussi subi les assauts de Michel de Ravel, poursuit sur la même lancée. «Il nous a fallu du courage pour en parler mais aussi à nos familles pour prendre des mesures nécessaires par la suite pour nous encadrer de leur mieux. Finis les secrets, il faut donner place à la vérité.»

 

Une vérité qui sera prise très au sérieux par la justice. En 2015, le DPP décide de poursuivre formellement Michel de Ravel sous 21 chefs d’accusation d’attentat à la pudeur. À l’appel du procès, en 2016, l’accusé plaide coupable pour seulement 15 d’entre eux. Le cas Michel de Ravel est une première à Maurice s’agissant du nombre de victimes et du nombre d’années qui se sont écoulées entre les faits et la dénonciation pour déboucher sur le procès et la condamnation. Le verdict de culpabilité avait été accueilli avec des larmes de soulagement, de joie même. Enfin la parole des victimes avait été validée, enfin leur bourreau avait été trouvé coupable, enfin il allait payer pour ce qu’il avait fait… du moins, c’est ce que tous ont pensé. «C’est une grande libération émotionnelle pour nous tous», disait le père d’une victime. Mais la sentence, elle, a pris tout le monde de court.

 

«C’est révoltant, s’indigne Chloé*, victime elle aussi. Il n’y a donc pas de justice dans ce pays ? Sommes-nous un pays prônant l’impunité pour les pédophiles avérés ? Et nous, les victimes ? Ne sommes-nous pas malades ? Ne portons-nous pas toute notre vie le couperet de son acte ? Nous nous battons pour survivre entre dépressions et développement de symptômes. Et lui va s’en sortir comme ça ? Je pleure toute la souffrance de ces jeunes femmes, de ces enfants, de leur combat pour arriver à dénoncer, à se reconstruire, à survivre, car toute victime d’abus est un/e survivante, et aujourd’hui, lire et entendre ce jugement est une honte pour notre pays et sa justice.»

 

Astrid*, qui a également subi les attouchements de Michel de Ravel, ne cache pas non plus son incompréhension et sa déception mais garde espoir : «La sentence ne suit aucune logique fondée. La société mauricienne rate probablement une occasion en or d’évoluer. Le combat n’est pas fini et nous n’avons pas dit notre dernier mot. En voyant toutes ces personnes se révolter, je me dis qu’il y a encore de l’espoir, que de cette façon les choses seront encore plus marquées dans les esprits. Rien n’arrive par hasard. Il ne faut pas baisser les bras, ça a été une bataille de perdue mais la guerre n’est pas finie.»

 

Se reconstruire

 

Un combat juridique mais aussi un combat beaucoup plus personnel pour les filles qui doivent se reconstruire après tout le mal qu’elles ont vécu. «La vie se résume comme ça : apprendre à travers les événements et les difficultés qui se trouvent sur notre route. Chaque épreuve de franchie, c’est un pas de plus et une leçon de tirée. Une des leçons que je tire de cette expérience, c’est que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort», souligne Virginie*, une autre proie de Michel de Ravel.

 

Beaucoup, dit-elle, ne comprennent pas pourquoi les victimes ne dénoncent pas facilement leur prédateur. C’est que le silence des mots révèle la violence des maux. «La souffrance derrière est tellement forte qu’elle devient presque impossible à avouer. C’est un sentiment de culpabilité qu’on enfouit au fond de soi. Et puis, on se demande : et si c’est moi qui l’ai cherché ? J’y suis peut-être pour quelque chose ! Il est si gentil avec moi. Peut-être même qu’il m’aime. Ou bien : ce n’est pas grand-chose, il m’a juste touchée ! C’était qu’une fois. Voilà à peu près ce qui se passe dans la tête des victimes et ce qui les empêche de parler. Mais en vérité, ce qui leur arrive n’est que le fruit d’un manipulateur sans aucune empathie, sans aucun scrupule.»

 

Aller à la police pour dénoncer Michel de Ravel n’a pas été facile. Mais cela a été tellement libérateur. «En fait, le risque de détruire beaucoup de choses établies a été pris, pour que seulement la vérité prime, pour cesser d’endurer ce cauchemar», souligne une des victimes. Le fait que le pédocriminel ait été reconnu coupable est, dit-elle, la phase finale de la reconstruction. «En regardant en arrière, je vois ce par quoi nous sommes passées : sept ans de persévérance, de souffrance, de combat, de moments de faiblesses, de doutes, d’écoute, de partage, de révélations et de larmes. Mais aujourd’hui, je suis fière car on est plus fortes maintenant et on a réussi à mettre fin à tout ça dans notre famille.»

 

Le combat continue pour toutes les victimes. Pour se reconstruire. Elles se rencontrent souvent pour se soutenir mutuellement et suivent des thérapies personnelles et familiales. Et elles attendent toutes désormais, avec beaucoup d’espoir, le procès en appel du DPP qui va sceller définitivement le sort de leur bourreau.

 

(*prénoms fictifs)

 


 

Michel de Ravel «satisfait»

 

Il est sorti du tribunal tout sourire. Aux journalistes, Michel de Ravel a uniquement déclaré qu’il était «satisfait» de la sentence, avant de prendre l’ascenseur pour rejoindre le rez-de-chaussée en compagnie de son épouse, son fils, une de ses filles, ses deux frères et une belle-sœur. «Du cinéma. Pédophile !» scandent les proches des victimes, présents sur place. Tous sont abasourdis par la sentence qui vient de tomber.

 

Un peu plus d’une heure et demie plus tôt, vers 9h08, en ce mercredi 24 avril, Michel de Ravel était arrivé à la New Court House. Sa canne anglaise à la main droite et une cicatrice sur le flanc droit de son crâne rasé. Il a fallu attendre 10 heures pour que la salle d’audience ouvre enfin ses portes et soit remplie en quelques secondes.

 

L’accusé, aux côtés de sa famille, montrait plusieurs signes de nervosité. Il n’arrêtait pas de taper du pied sur le parquet. La magistrate a fait son entrée à 10h40, écouté deux autres affaires, avant d’en venir à la sentence de Michel de Ravel. Il a écopé seulement de trois cautions de bonne conduite durant trois ans. Il n’y a pas de peine de prison. Dans la salle, c’était le choc. Les proches des victimes sont sortis de là en larmes.

 

Le DPP a toutefois fait appel du jugement deux jours plus tard. Il estime que la magistrate a été indully lenient avec l’accusé et wrong in principle dans la sentence. «C’était à prévoir. À partir de là, la justice suit son cours», a déclaré son homme à loi, Me Gavin Glover, à l’express au sujet de l’appel du DPP.

 

Lettre d’une maman à sa fille, victime de Michel de Ravel

 

Mon enfant,

 

Je n’aurais jamais deviné que le mal-être qui t’habitait et t’a fait tellement de mal avait pour origine la pédophilie… Je t’ai vue tomber et te relever tant de fois, chaque fois tu réussissais à ouvrir une petite fenêtre pour laisser entrer un peu de lumière… Ouf, ça fait du bien, sauf que la lumière éclaire aussi ce qui fait mal. Courageusement tu as avancé, jusqu’au jour où tu as pris la décision de tout déposer entre les mains de la justice.

 

Pourquoi la justice ? On lave son linge sale en famille, dit-on. C’est vrai, le séisme dans la famille a été à la hauteur du crime. Mais le rôle de la justice est de protéger les victimes, de rétablir l’ordre des choses en statuant justement qui est la victime et qui est le criminel. Car subtilement, dans les abus sexuels, la victime culpabilise et le bourreau se fait victime.

 

Et à partir de la donc, commence le parcours du combattant. Qui combat, contre qui ? Il s’agit surtout du combat intérieur, qui va mobiliser beaucoup de ton énergie, combat des émotions, tellement douloureuses, enfouies tellement profondément. Et tout doucement la reconstruction peut s’amorcer, petits pas par petits pas.

 

Je suis heureuse d’avoir été choisie pour être ta maman, témoin privilégié de ta force et de ta faiblesse, et je chéris les deux tout autant. Je t’associe à toutes les femmes victimes des abus sexuels dont le coupable est ton oncle pour rendre hommage à votre courage !

 

Témoignage de Christopher Rogers, frère d’une victime

 

C’est avec colère que je constate un système incohérent et défaillant. Un système où il est plus acceptable de violer des enfants que de voler des letchis. C’est avec honte que je vois comment les pédophiles sont punis dans mon pays. C’est avec tristesse que je regarde mes proches prendre un coup de plus. Celui de la banalisation de leur traumatisme et de leurs séquelles. C’est avec inquiétude que je projette la société dans laquelle je vis. Car un signal comme celui-ci ne fera qu’encourager les criminels et taire les victimes. C’est avec amertume que je te remercie, Michel de Ravel de l’Argentière. Toi qui as osé toucher à la chose la plus précieuse des personnes qui me sont les plus chères, à l’intégrité de ma famille. Je te remercie de nous donner la volonté de nous battre toujours plus afin de limiter ce fléau qui ne met absolument personne à l’abri.

 

La colère gronde sur les réseaux sociaux

 

Plusieurs personnes ont exprimé leur révolte sur Facebook. Une pétition en ligne circule d’ailleurs sur les réseaux sociaux dénonçant la sentence que d’aucuns estiment bien trop légère à l’encontre du pédocriminel Michel de Ravel. «Un adulte qui commet des attouchements sexuels sur un enfant est un pédophile. Ce pédophile a été reconnu coupable sous 21 chefs d’accusation. Comment, dans ce cas, peut-on ne pas être révolté de cette sentence ? Comment il peut être libre sous prétexte qu’il est malade ?» s’interroge une internaute. Une autre utilisatrice de Facebook a adressé un message directement à la magistrate Niroshni Ramsoondar : «Madame, si votre sœur, fille, nièce, cousine, amie avait été une des victimes de Michel de Ravel, une victime marquée à vie, auriez-vous laissé ce monstre en liberté, mourant ou pas ? J’en doute ! Vous m’avez dégoûtée de la justice mauricienne pour la vie ! (…)»

 


 

Pédostop «révoltée»

 

Jean-Patrick Ferrat cache difficilement sa colère après la sentence à l’encontre du pédocriminel Michel de Ravel. «Pédostop est révoltée par cette sentence. Nous sommes tous stupéfaits. La magistrate est consciente de la gravité de l’affaire. Elle le dit elle-même dans sa sentence. Elle avait les moyens de délivrer une sentence exemplaire. Je ne comprends pas pourquoi elle a uniquement pris en considération le fait que l’accusé a plaidé coupable et aussi son état de santé», se demande le porte-parole de l’ONG.

 

Il ajoute que la magistrate se contredit elle-même dans sa sentence. «Elle écrit, je cite “ (…) to be of good behaviour for a period of 3 years and to appear for sentence when called on at any time during the above period of 3 years falling which he is to undergo one month imprisonment (…)”.» Pourquoi la magistrate a-t-elle omis les autres facteurs graves dans cette affaire, comme l’âge des victimes, leur nombre, leur proximité avec l’accusé ou encore la récidive ? s’insurge également Jean-Patrick Ferrat.

 

«Il y a une souffrance profonde chez les victimes de pédophilie qui peut pousser au suicide dans certains cas. Les victimes de Michel de Ravel sont découragées. Elles pensaient toutes que la sentence allait être un signal fort.» Michel de Ravel a été condamné à des cautions de bonne conduite pendant trois ans. Mais que se passera-t-il s’il récidive ? s’interroge le porte-parole de Pédostop.

 

Il estime qu’il faut mieux protéger les enfants des prédateurs sexuels et autres. Un des moyens pour y parvenir est, dit-il, l’introduction d’un Children’s Act. Une loi pour laquelle Pédostop milite depuis quatre ans. Le 5 mars 2018, Joelle Hannelas, présidente de l’ONG, avait adressé une lettre à Roubina Jaddoo, ministre de l’Égalité du genre, du développement de l’enfant et du bien-être de la famille de l’époque, pour faire plusieurs propositions en ce sens, dont une description plus exhaustive du viol.

 

L’ONG continue en tout cas son combat de formation et d’information. Ses responsables organisent une grande marche pacifique, le mercredi 8 mai à midi, qui partira du Champ-de-Mars. Pédostop attend l’autorisation de la police. «Nous sommes nombreux à être indignés de la sentence plus que clémente à l’égard d’un pédophile trouvé coupable. Cette indignation prend de l’ampleur mais reste trop cantonnée aux réseaux sociaux. Il est temps de la porter sur la voie publique, afin d’avoir une plus grande caisse de résonance et faire entendre notre message aux institutions. C’est pourquoi Pédostop organise une grande marche pacifique en collaboration avec la société civile le mercredi 8 mai», écrit l’ONG sur sa page Facebook.

 

Ses responsables mettent l’accent sur le caractère pacifique de cette marche. Aucun slogan tendancieux, violent ou diffamatoire ne sera toléré écrit l’ONG sur sa page Facebook.