• Boxe thaï : première édition de «La Nuit des Nak Muay»
  • Badminton : les Internationaux de Maurice à Côte-d’Or
  • Trois univers artistiques à découvrir
  • Handicap et vie professionnelle : un pas de plus vers l’inclusion
  • Mayotte au rythme des crises
  • Une rare éclipse totale traverse l’Amérique du Nord : des Mauriciens au coeur d’un événement céleste spectaculaire 
  • World Thinking Day : les guides et la santé mentale
  • Mama Jaz - Sumrrà : prendre des risques musicaux avec le jazz
  • Karine Delaitre-Korimbocus : Kodel, une nouvelle adresse dans le paysage de Belle-Rose
  • Oodesh Gokool, le taximan attaqué au couteau : «Mo remersie piblik»

L’appel de détresse d’une fille de 12 ans, enceinte de jumeaux

Le soir, ils se serrent les uns contre les autres pour se protéger du froid.

Aurélie* est encore une gamine qui rêve et réfléchit comme un enfant de son âge. Pourtant, depuis quelques mois, au lieu de se rendre au collège, elle ne fait pratiquement rien de ses journées car elle a appris qu’elle était enceinte et que, de surcroît, elle attendait deux bébés. La jeune fille accouchera de jumeaux dans deux semaines alors que sa famille est plongée dans une misère extrême et que le père de ses enfants s’est volatilisé. Récit d’un drame humain pour le moins choquant.

Sa voix est douce et mélodieuse. Mais son regard recèle une lueur de tristesse qu’elle n’arrive pas à cacher. Vêtue d’une robe noire qui dessine son ventre arrondi, Aurélie*, 12 ans, essaie tant bien que mal d’afficher un air serein malgré son état et les conditions dans lesquelles elle vit. La jeune fille, à peine sortie de l’enfance, attend des jumeaux qui naîtront dans deux semaines. Mais elle a déjà fait son choix : garder et élever ses enfants contre vents et marées. Il lui faut maintenant s’armer de courage pour franchir l’étape de l’accouchement. Et surtout penser à l’avenir qui s’annonce très difficile.

Car Aurélie ne sait pas du tout comment elle subviendra aux besoins de ses bébés. Elle vit déjà dans une misère extrême avec sa mère Cynthia*, âgée de 30 ans, sa sœur de 10 ans et son frère qui n’a que 3 ans. La petite famille habite une maisonnette en tôle très sommaire, dans la région de l’Ouest. Les portes et fenêtres de leur minuscule abri sont si mal conditionnées que des courants d’air s’engouffrent par les nombreuses fissures.

Ni eau, ni électricité

En ces temps hivernaux, Aurélie et les siens ne peuvent même pas s’offrir le luxe d’une couette pour se réchauffer la nuit. C’est à l’aide de minces couvertures qu’ils se protègent comme ils peuvent du froid, en se serrant les uns contre les autres dans les deux lits de fortune qui occupent l’une des deux pièces de leur logement. «Mes bébés ne survivront pas dans des conditions pareilles», confie Aurélie, les larmes aux yeux.

Les conditions de vie de cette famille sont d’autant plus terribles en l’absence d’eau courante, d’électricité, d’une salle de bains et de toilettes. «C’est ma mère qui va chercher l’eau chez une voisine qui nous aide comme elle peut. Et pour faire nos besoins, on doit marcher environ 30 minutes jusqu’aux toilettes publiques situées sur une plage de la localité. Quand on ne peut pas attendre, on va dans les buissons», explique Aurélie.

La jeune fille ne peut même pas compter sur le père de ses jumeaux ou les proches de ce dernier pour lui venir en aide. L’adolescent de 17 ans a tout simplement disparu après avoir eu des relations sexuelles à quelques reprises avec sa dulcinée. «Je l’ai connu quand  j’étais en CPE. Il venait me voir à la sortie des classes. Nous avons eu des relations sexuelles consentantes à cinq reprises sur les berges d’une rivière située à Moka. Je l’aimais et il disait m’aimer aussi. Mais j’ai perdu tout contact avec lui quand j’ai été admise au collège cette année. J’étais déjà enceinte mais je ne le savais pas encore. D’ailleurs, quand j’ai eu des relations sexuelles, je ne savais pas que je pouvais tomber enceinte», soutient-elle, le regard perdu dans le vide.

Mais qui est ce jeune homme ? Où habite-t-il ? Que fait-il dans la vie ? Autant de questions auxquelles Aurélie ne peut répondre. «Je ne sais rien de lui, sauf son prénom : Julien. Quand je l’ai connu, il était âgé de 17 ans. Je ne sais pas s’il va au collège ou s’il travaille.» Mais souhaiterait-elle le revoir pour lui annoncer qu’elle porte ses enfants ? «Oui», avoue Aurélie timidement. Avant de préciser : «Même s’il ne veut pas assumer ses responsabilités, ma mère sera toujours là pour m’épauler et après mon accouchement, j’aimerais retourner au collège pour terminer mes études. En tout cas, je ne referai pas la même erreur.»

Alors que le grand jour approche, Aurélie n’a pas encore pu réunir tout ce dont ses bébés auront besoin à leur naissance. «J’ai eu un biberon et un paquet de couches. C’est tout. Pour moi, je n’ai que deux robes de chambre et deux culottes neuves. Je n’arrive même pas à réaliser que j’attends deux bébés. J’avais une jumelle aussi. Mais elle est morte trois mois après notre naissance», avance Aurélie qui se nourrit de riz et de bouillon de bred mouroum et des rares poissons que sa mère arrive parfois à pêcher. «Nous sommes très pauvres. La plupart du temps, nous mangeons du riz et un bouillon de bred mouroum que nous cueillons dans les environs. De temps en temps, le frère de ma maman nous apporte quelques boîtes de conserve. Récemment, un voisin nous a donné Rs 300. Nous avons ainsi pu nous nourrir pendant une semaine. Je vous supplie de m’aider ainsi que ma famille», lance la future maman, désespérée.

Aucuns revenus

Car au-delà de la triste histoire d’Aurélie, il y a aussi celle de toute sa famille. Cynthia, la mère, essaie tant bien que mal de prendre soin de ses enfants mais c’est difficile car elle ne travaille pas parce qu’elle n’a personne, dit-elle, à qui confier son petit dernier. Son mari est parti il y a belle lurette et ne donne plus de nouvelles. Maintenant, elle devra aider sa fille à élever ses jumeaux et à subvenir à leurs besoins. À 30 ans, elle semble écrasée sous le poids de la misère, fait beaucoup plus que son âge et est d’une maigreur effrayante. Et il y a quatre mois, sa situation, qui était déjà très dure, a encore empiré, relate-t-elle.

«Je touche une pension de Rs 4 000 et je payais un loyer de Rs 3 000. J’arrivais difficilement à vivre mais au moins, on avait un toit sur la tête. Cependant, mon propriétaire m’a mise à la porte avec mes enfants. Depuis, ma vie est devenue un véritable enfer. Je n’ai eu d’autre choix que de squatter un terrain en friche à Albion. Je croyais que c’était un terrain de l’État mais en fait, il appartient à une compagnie sucrière. Nous vivions à la belle étoile et je pêchais des tilapias que je faisais cuire au feu de bois», raconte Cynthia, en larmes. Mais sa famille et elle ont dû quitter le terrain après quelques jours. «La police nous a expulsés après une semaine et demie. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré un homme qui venait chercher de l’herbe à l’endroit où je vivais. Il m’a dit qu’il avait une maisonnette en tôle dans la région ouest et que je pouvais y vivre avec mes enfants. On s’est installés dans cette maison après avoir vendu la télé et d’autres objets pour payer les frais de transport. Grâce à cette vente, j’avais pu réunir la somme de Rs 1 600.»

Mais selon Cynthia, c’est une fois dans la maison qu’elle a su que celle-ci n’était pas approvisionnée en eau et en électricité. «J’ai eu un choc. Mais j’avais un toit sur la tête et je me suis dit que j’allais me débrouiller. Mais deux semaines après mon installation, le bon samaritain m’a demandé de m’acquitter d’un loyer de Rs 2 000 mensuellement.»

Comme un malheur ne vient jamais seul, elle a aussi reçu la visite des officiers de la Child Development Unit (CDU), visiblement bien informés de son cas. «Ma fille de 12 ans et mon fils de 3 ans ne vont plus à l’école depuis qu’on a été expulsés de notre précédente maison. Vu notre situation difficile, je n’ai fait aucune démarche pour qu’ils soient transférés dans des écoles de la région. Récemment, des gens de la CDU m’ont dit que je devais trouver une maison convenable pour abriter mes enfants. Au cas contraire, on me les enlèverait. Il faut aussi qu’ils continuent leur scolarité. Mais je n’ai pas les moyens de les envoyer à l’école», lâche-t-elle, impuissante face à sa situation.  

Menaces de la CDU

Selon ses dires, on lui a dit que si sa situation ne s’améliorait pas d’ici demain, lundi 18 août, ses petits seraient placés dans un abri pour enfants en difficulté. Après sa séparation d’avec l’homme avec qui elle a eu Aurélie et sa jumelle, Cynthia a épousé un autre homme qui lui a aussi donné deux enfants. Mais ils ont fini par se séparer parce qu’elle était, dit-elle, victime de maltraitance. «J’ai quitté mon mari parce qu’il me battait. Je n’ai jamais eu de chance dans la vie. J’ai dû arrêter l’école en Form II, car ma mère avait accouché par césarienne et ne pouvait pas s’occuper de la maison. Comme j’étais la seule fille de la famille, mon père a jugé bon de me faire arrêter l’école pour que je m’occupe de ma mère, du bébé et de la maison. Ma vie aurait été différente si j’avais fait des études.»

Entre une fille qui va bientôt accoucher de jumeaux et les menaces de la CDU de lui enlever ses enfants, Cynthia ne sait plus à quel saint se vouer. Elle lance un vibrant appel à l’aide aux Mauriciens afin qu’ils leur viennent en aide, à elle, à ses enfants ainsi qu’aux jumeaux qui vont bientôt naître. Et contribuer à apporter un peu de bonheur à cette famille qui croule sous le poids de la misère.

(*Prénoms fictifs)

 

Durant sept jours, la maman a fait bouillir la marmite grâce aux Rs 300 qu’elle a reçues d’un voisin.