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La nouvelle vague de Covid-19 fait deux premières victimes officielles : l'impossible adieu de leurs proches

L’une a 70 ans, l’autre 53 ans et elles sont les premières victimes de la seconde vague de Covid-19 qui n’arrête pas de sévir en ce moment dans notre île. Une bien triste nouvelle qui a bouleversé de nombreux Mauriciens cette semaine mais qui a surtout semé la tristesse et la désolation parmi les membres de leurs familles respectives qui ont du mal à admettre qu’elles soient parties dans de pareilles circonstances. La petite-fille de Goonwantee Namah et la fille de Rani Jokhonah nous livrent de bouleversants témoignages, entre larmes et regrets…

Varsha, la petite-fille de Goonwantee Namah : «J’ai perdu une partie de moi-même»

 

Il lui suffit de fermer les yeux pour qu'elle revoie son visage et son sourire réconfortant. Sa voix, empreinte de chaleur et de douceur, résonne encore à ses oreilles... Pourtant, lorsqu'elle rouvre les yeux, Varsha est confrontée à l'amère réalité : sa grand-mère Goonwantee Namah, 71 ans, n'est plus. Celle qu'elle considérait comme sa mère et qui avait été testée positive à la Covid-19 est décédée le mercredi 31 mars. La septuagénaire, qui se trouvait ces derniers jours sous respiration artificielle, rallonge ainsi la triste liste des victimes du virus dans le pays, qui comptait, au vendredi 2 avril, 12 décès.

 

Difficile pour Varsha, enseignante au Curepipe College, de réaliser ce qu'elle est en train de vivre avec sa famille. «Ce n'est pas facile. J'ai perdu un frère le 25 janvier. Il souffrait de slow heart beat. Nous voilà à vivre un autre coup dur. Ma grand-mère était plus qu'une simple grand-mère pour moi. Je n'avais que 9 ans au moment de la séparation de mes parents, quand elle nous a pris mes frères et moi sous son aile. Mon petit frère avait alors 4 ans et le plus grand, 10 ans. Depuis, elle a toujours été là pour nous, surtout pour moi. Elle m'a toujours soutenue. J'ai perdu une partie de moi-même. Mo leker fer mal», nous confie Varsha, un sanglot dans la voix. Marquant des moments de pause, elle ne peut s'empêcher de lancer fréquemment : «Pou mwa, monn perdi mo mama...»

 

Difficile pour elle de contenir ses larmes. «Tout s'est enchaîné. D’abord, il y a eu le moment où j'ai été confrontée au virus puis, toute la famille s'est retrouvée en quarantaine. Tout est allé très vite. En quarantaine, je partageais ma chambre avec ma grand-mère et les images de ces derniers moments passés avec elle sont encore vivaces dans ma mémoire. Je la revois quittant la chambre avant qu'elle ne soit admise. Je l'entends encore une fois me demander à boire parce qu'elle avait soif. Je me souviens encore du moment où elle a demandé un fauteuil roulant parce qu'elle se sentait trop faible pour marcher. Ses derniers instants sont comme ancrés en moi. On était très proches. Je lui dois tout dans la vie. C'est elle qui m'a aidée à me construire», nous raconte Varsha, la voix cassée.

 

Actuellement en isolement chez elle à Canot avec son frère aîné qui a aussi quitté le centre de quarantaine, Varsha regrette de n'avoir pu assister aux funérailles de sa grand-mère : «C'est vraiment une épreuve de perdre un membre de sa famille dans de telles conditions car les funérailles se déroulent alors de façon très stricte. C'est difficile de ne pas pouvoir dire au revoir à une personne qu'on aime. Mais on a heureusement pu vivre son incinération à travers un video call.»

 

Avec six membres de sa famille, dont son époux, qui sont toujours en quarantaine, le vide de sa maison lui pèse encore plus : «Certes, mon frère et moi, on a le soutien de nos proches mais pour l'instant, je suis encore à repasser dans ma tête tout ce qui s'est passé. On reçoit des messages de sympathie de partout. Ma grand-mère était une personne très populaire dans la région. Elle était toujours joyeuse, toujours de bonne humeur et positive. C'est pour cela que beaucoup de personnes l'ont pleurée. C'était une bonne personne. Elle était toujours prête pour aider lors d'une cérémonie de prière et elle répondait toujours présente pour faire des donations. Même en quarantaine, avant que son état ne se détériore, elle donnait des directives pour la cérémonie dans le cadre de la fête Maha Shivaratree. Si pour moi, elle était comme une maman, beaucoup dans la région la considéraient aussi comme telle. D'ailleurs, beaucoup disent que Canot finn perdi so mama.»

 

Varsha sait qu'il lui faudra du temps pour remonter la pente. Même si c'est difficile, elle veut être forte en hommage à celle qui a toujours été digne malgré les obstacles. Pour faire son deuil, elle a choisi de se réfugier dans les souvenirs heureux laissés par sa grand-mère, sa mère de substitution qui était «un exemple» pour elle et avec qui elle a tant appris...

 

Deeptee, la fille de Rani Jokhonah : «Nous voulions dire un dernier au revoir à notre maman»

 

Ils ont tous le cœur en mille morceaux. Les trois enfants et l’époux de Chundunnee Jokhonah, plus connue sous le nom de Rani et âgée de 53 ans, n’avaient qu’un souhait : celui de faire leurs adieux à leur maman et épouse, décédée des suites de la Covid-19 le lundi 29 mars, au New ENT Hospital. Malheureusement, cette famille, qui se trouve actuellement en quarantaine, s’est heurtée au protocole mis en place dans ce genre de situation et qui leur interdit d’assister aux funérailles de leur proche.

 

Rani, employée depuis de nombreuses années à la Clinique Muller, avait été hospitalisée le dimanche 21 mars pour des problèmes de santé. «Elle souffrait de diabète, de problème de digestion. Elle avait une maladie qu’on appelle la colite. Cela faisait un moment qu’elle était malade. Son état s’est détérioré en fin de semaine dernière, ce qui a nécessité son admission à la clinique» nous raconte l’une de ses filles, Deeptee. Un premier test PCR, de rigueur en ce moment, s’est révélé négatif. Entre-temps, la famille Jokhonah se relaie à son chevet, munie d’un document qui les autorise à se déplacer. Alors que son état s’aggrave et qu’elle est admise aux soins intensifs, un deuxième test PCR, positif cette fois, la conduira finalement à l’hôpital ENT.

 

Lorsqu’ils ont appris la nouvelle du décès de leur mère, le choc, confie Deeptee, a été brutal. «Elle était malade, oui, mais on ne s’attendait pas à ce qu’elle parte comme ça.» Le plus dur, c’est que les membres de sa famille n’ont pas été autorisés à assister à ses funérailles. Le cri du cœur de sa sœur Lovna sur les réseaux sociaux dans ce sens a touché le cœur de nombreux Mauriciens. Aujourd’hui, même si Lovna dit comprendre la situation, la colère l’anime. «Je comprends que la Covid-19 est quelque chose de sérieux mais je crois que c’est le droit de la famille de voir le défunt même de loin et en prenant toutes les précautions nécessaires. J’ai vraiment mal en pensant que ma maman est partie sans que j’aie pu voir son visage une dernière fois. Les autorités ne comprennent pas notre souffrance.» Impossible pour elle de comprendre aussi que personne de l’hôpital ENT n’ait appelé la famille pour l’informer du décès de Rani. «Ce n’est pas normal. C’est un proche qui en a entendu parler dans les médias qui nous a informés. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a appelé.»

 

Deeptee a, elle aussi, beaucoup de mal à accepter le départ de sa mère dans de telles conditions. «Nous voulions dire un dernier au revoir à notre maman. Nous sommes actuellement six membres de la famille en quarantaine. Nous voulions la voir une dernière fois, même de loin, surtout que nos tests sont négatifs. Mais ils n’ont pas voulu. Nous avons seulement réussi à voir quelques images grâce à des video calls. C’est vraiment dur de dire adieu à sa mère dans de telles conditions. Nou latet fatige.» Deeptee, comme le reste de la famille, garde en mémoire l’image d’une Rani gentille et amicale, d’une personne qui avait le cœur sur la main et qui n’hésitait jamais à venir en aide à son prochain.

 

Les autres décès de patients positifs, pas des «Covid-19 deaths»

 

D'autres personnes, dont deux patients qui étaient dialysés, ont perdu la vie au cours de ces derniers jours. Parmi, deux étaient positifs à la Covid-19 mais le National Communication Committee (NCC) ne les considère pas comme des «Covid-19 deaths». Le Dr Catherine Gaud a d'ailleurs évoqué, lors du point de presse du NCC le jeudi 1er avril, le cas d'un autre patient de 72 ans positif à la Covid-19 et qui a rendu l'âme le mercredi 31 mars. Selon la doctoresse Gaud, le patient est décédé d'un syndrome infectieux septicémique. Au jeudi 1er avril, les chiffres officiels attestaient ainsi de quatre décès, incluant les deux liés à la Covid-19.

 

Christophe Karghoo et Amy Kamanah-Murday