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Jocelyn Chan Low : «La jeune génération, sans doute en raison d'un avenir plus qu'incertain, est plus encline à contester le statu quo»

«La résilience de la population qui s’est adaptée rapidement au "new normal" mérite d’être saluée»

Le passé, le présent et le futur. Il scrute tous les temps avec un regard acéré. Normal pour l'historien et observateur attentif de notre société qu'il est. Jocelyn Chan Low nous livre ainsi ses observations sur ce que nous vivons depuis deux ans. Il y a du vécu, des analyses, des propositions… avec tout de même quelques raisons d’espérer.

Comment je vis ces temps challenging depuis deux ans…

 

AUBAINE. Les événements de ces deux dernières années n’ont pas grandement affecté mon quotidien du fait que j’ai pris ma retraite en 2015 pour m’occuper davantage de ma famille. Ainsi, pour moi, le confinement a été une véritable aubaine. Par contre, mon épouse Mayila, enseignante-chercheuse à l’université de Maurice, était contrainte de dispenser ses cours à distance et ma fille de faire du homeschooling.

 

INCERTITUDES. Il y a, certes, eu des moments d’angoisse, notamment avec les incertitudes concernant la virulence du nouveau virus et les side effects des vaccins. Et à la longue, on a commencé à déplorer le manque de sorties, de rencontres avec les amis et les parents, et surtout le chamboulement dans les pratiques religieuses comme les XL heures pendant le carême.

 

TÉMOIN. Cependant, en tant qu’historien ayant étudié à la fois l’histoire des épidémies et celle des relations internationales, je me sentais comme un témoin privilégié d’un defining moment dans l’histoire du monde. C’était aussi l’occasion de replonger dans les classiques traitant de ces sujets, tout en se tenant au courant autant que possible des derniers ouvrages parus et en restant scotché aux actualités.

 

GUERRE. Et évidemment, ayant étudié dans les détails le déclenchement des guerres mondiales, je ne peux qu’être inquiet de l’escalade en cours, alimentée par des chaînes de télévision dites internationales qui se sont transformées en outils de propagande de guerre du camp occidental. Sommes-nous déjà pris, comme des somnambules, dans un engrenage fatal qui ne peut que déboucher sur un conflit nucléaire ?

 

Mon regard sur la situation actuelle à Maurice...

 

ÉMIGRER. La situation, comme partout ailleurs, est difficile, comme l’ont démontré «les émeutes de la faim» récentes dans certains quartiers populaires. Mais la hausse vertigineuse du coût de la vie atteint aussi la classe moyenne où la sinistrose se traduit par une envie d’émigrer qui touche non seulement les jeunes mais aussi des cadres quadragénaires bien établis. Le pire, c’est qu’on ne voit aucune lueur au bout du tunnel. Au contraire, la situation risque d’empirer avec la guerre en Ukraine et ses retombées.

 

RÉSILIENCE. Il est vrai que, grâce à l’État providence, notamment au système de santé publique construit au fil des années, nous avons évité une catastrophe sanitaire et sociale. La résilience de la population qui s’est adaptée rapidement au new normal mérite aussi d’être saluée.

 

PRIX. Néanmoins, tout cela a un prix car tout a été financé à travers les réserves de la Banque de Maurice. Nous dirigeons-nous dans le moyen terme vers une situation semblable à celle qui prévaut actuellement au Sri Lanka ou tout au moins à 1979, à la veille des deux dévaluations massives de la roupie et l’inévitable recours au FMI, à la Banque mondiale et aux mesures de redressement drastiques et douloureuses ?

 

DÉPENDANCE. Car le succès économique de Maurice est en grande partie lié à l’ouverture de l’économie insulaire dans le cadre de la globalisation mondiale des échanges. Or, à la fois la pandémie et la guerre en Ukraine nous démontrent cruellement les limites de cette dépendance extrême et de cette vulnérabilité aux facteurs externes.

 

CRISE. Selon les analystes, ces mêmes facteurs externes vont s’aggraver dans le court et moyen termes. On évoque le recul de la mondialisation des échanges avec l’émergence et la consolidation d’une nouvelle guerre froide, totale cette fois, entre l’Occident d’un côté mené par les État-Unis et la Russie, la Chine et leurs alliés de l’autre. Déjà, certains pointent du doigt les signes précurseurs d’une crise financière et d’une récession économique mondiale de la dimension de celle de 2008, voire de 1930. Il est clair que nous entrons dans une ère de turbulences intenses, surtout que les conditions sont réunies pour un affrontement direct entre l’occident hégémonique en déclin et les pays émergents révisionnistes qui veulent remodeler un ordre mondial établi par et pour les États-Unis et leurs alliés.

 

VULNÉRABLE. Dans ce cas de figure, l’île Maurice se retrouve extrêmement vulnérable car non seulement elle dépend du tourisme, de l’exportation de services et de certains produits manufacturiers mais aussi et surtout de l’importation de produits alimentaires et énergétiques essentiels à sa survie.

 

Ces précieuses leçons à tirer...

 

MÉCONTENTEMENT. Il y en a plusieurs. D’abord, malgré le fait que le gouvernement, et il faut le reconnaître, a bien géré la pandémie de Covid-19, le mécontentement est à son comble, comme l’ont témoigné l’affluence aux marches citoyennes à Port-Louis ou Mahébourg, qu’on ne saurait attribuer qu’à la mauvaise gestion du naufrage du Wakashio. Ce mécontentement relève de son péché originel, à savoir que le régime actuel n’a récolté que 37 % des votants aux dernières élections générales mais qu’à travers les distorsions du système de first past the post, elle dispose d’une majorité très confortable à l’Assemblée nationale. D’où le cocktail explosif de faible légitimité populaire et d'arrogance du pouvoir/refus de dialogue.

 

SCANDALES. En outre, la bonne performance dans la gestion de la crise sanitaire a été éclipsée par les scandales récurrents dans le procurement par l’État des médicaments et autres équipements sanitaires. Cette absence de transparence et ces cas de corruption alléguée rejaillissent évidemment sur la confiance du public dans des institutions du pays.

 

ACTIONS. Il est aussi vrai que pour une bonne section de la population, l’opposition traditionnelle, produit de ce système, est tout aussi illégitime et ne représente surtout pas une alternative crédible. Dans une grande mesure, on peut parler d’une crise systémique de l’offre politique, qui risque de se traduire par une abstention élevée aux élections, ou par un foisonnement de petits partis ou encore par des actions directes de citoyens exaspérés, comme on l’a vu au cours des dernières émeutes.

 

Des opportunités et des solutions pour avancer…

 

RÉFLEXION. Au niveau politique, il est évident que le système mis en place à travers la constitution de 1968 a fait son temps. Il faudrait une réflexion profonde avec l’ensemble des stakeholders pour faire évoluer notre régime politique vers une démocratie plus participative qui décourage l’ethnic politics, qui favorise l’émergence d’un healthy party system et non des coteries déguisées en parti à la solde d’un individu ou d’une dynastie, et qui exigerait une plus grande transparence dans la gestion des affaires. Il est vrai que la mise en place d’une réforme constitutionnelle à Maurice n’est guère aisée car elle nécessite un vote de trois-quarts à l’Assemblée nationale.

 

TEMPS. Au niveau économique, il faut absolument sortir de notre vulnérabilité extrême aux facteurs externes dans un contexte où la situation mondiale est instable et incertaine, et où le risque de dégradations majeures est plus que possible. Comme le rappelle un proverbe chinois : «L’imbécile creuse un puits quand il a soif.» Et là, il faut se poser la question de notre relation au temps. Nos politiques ne vivent que dans le temps court ; tout est fait et conçu en fonction d’une échéance électorale. Or, les transformations d’un système économique ne donnent des fruits que dans le temps long. Par exemple, il faudrait rapidement investir dans l’autosuffisance alimentaire, le développement des énergies renouvelables et la promotion du Made in Moris à travers des incitations aux petites et moyennes entreprises de ce secteur, quitte à jouer sur la fiscalité et imposer des tarifs à l’importation sur certains produits pour encourager le secteur de l’import substitution.

 

AFRIQUE. Ensuite, en raison des transformations en cours dans l’ordre et l’économie mondiaux, il est plus que nécessaire de se tourner de plus en plus vers l’Asie-la Chine, l’Inde mais aussi l’Afrique, sans oublier la région. Pour beaucoup d’observateurs, le salut réside dans l’Afrique qui, aujourd’hui, avec sa structure démographique où les moins de 25 ans sont majoritaires et avec son réservoir immense de ressources naturelles, est potentiellement LE continent de l’avenir dans le moyen terme. L’Afrique est surtout un immense marché à conquérir pour l’exportation de nos produits, services et professionnels. Certes, il y a des obstacles, notamment la connectivité, la faiblesse des réseaux de communications dans un continent où un grand nombre de pays sont enclavés.

 

PERCEPTION. Il y a cependant de grandes transformations en cours, suscitées par les capitaux issus notamment de la Chine. Il reste un autre obstacle majeur : notre perception négative du continent auquel nous appartenons, perception moulée par l’Eurocentrisme ambiant alors que nous aurions dû, au contraire, privilégier notre identité multiple qui est aussi africaine et asiatique.

 

Ces lueurs d’espoir qui brillent…

 

JEUNESSE. L’espoir réside dans la jeunesse mauricienne. Les derniers événements ont suscité une plus grande socialisation politique des jeunes, notamment à travers leur participation aux marches citoyennes et une nouvelle utilisation des réseaux sociaux.

 

DYNAMIQUE. À la différence de la génération endormie des années 80 qui voulait surtout se construire une place au soleil à l’intérieur du système en place, il me semble que la jeune génération, sans doute en raison d’un avenir plus qu’incertain, est plus encline à contester le statu quo. Il y a une dynamique qui a été mise en marche. Il faut espérer qu’elle se structure. Car sans contestation d’un ordre établi, il n’y a pas de remise en cause et point de progrès.

 


 

Mon actu du moment

 

Je viens de boucler, avec Shenaz Patel et Thierry Permal, le Tome 4 de la BD sur l’Histoire de Maurice. L’ouvrage, qui a été lancé au Hennessy Park Hotel il y a quelques jours, est en librairie, de même que le coffret contenant les 4 tomes de la B.D. J’ai également publié plusieurs autres ouvrages et une cinquantaine d’articles dans des revues académiques sur l’histoire de Maurice.

 

J’ai aussi démarré une étude historique et anthropologique de certains sites du patrimoine religieux de l’île Maurice. Car au final, c’est aussi cette grande diversité du patrimoine religieux qui fonde notre identité mauricienne plurielle.

 

Sinon, avec une équipe où l’on retrouve Jack Bizlall, Milan Meetarbhan, Rajen Narsinghen, Alain Laridon et Joseph Tsang Man Kin, nous travaillons sur l’idée d’une nouvelle Constitution. Il y aura très prochainement le lancement d’une publication, avec des articles des divers intervenants, pour lancer le projet.

 

Ma Bio express

 

Ancien lauréat du collège Royal de Curepipe, j’ai fait des études supérieures en Histoire moderne et contemporaine à la London School of Economics and Political Science et à l’Institut des Langues et Civilisations Orientales de Paris. Associate Professor et ancien Doyen de la Faculté des Sciences sociales et humaines de l’Université de Maurice, j’ai aussi été, à un moment, directeur du Centre culturel mauricien et rapporteur du Bureau exécutif du Projet de la Route de l’Esclave de l’UNESCO.