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Elle aurait été battue à mort par son compagnon : l’enfer de Sorenza René raconté par sa grand-mère

Chantal René et les siens sont meurtris par ce drame.

Six. C’est le nombre de femmes qui ont péri sous les coups de leurs conjoints respectifs depuis le début de l’année. Le dernier cas est celui de Sorenza René, 21 ans, qui aurait été tuée par son compagnon Patrice Rita, un récidiviste notoire qui la soupçonnait, dit-il, d’infidélité. Les proches de cette jeune femme, qui ont tenté en vain de la faire quitter son bourreau, s’attendaient à ce que leur histoire se termine ainsi. Entre larmes et regrets, sa grand-mère maternelle témoigne…
 

«Mo ti dir li so kadav ki pou retourn lakaz sa kout-la.» En lançant cette sinistre phrase à sa petite-fille Sorenza ce jour-là, Chantal René ne faisait qu’énoncer la terrible crainte qui les minait, ses proches et elle, concernant la jeune femme. Hélas, ces paroles prophétiques sont devenues réalité, plongeant toute une famille dans un cauchemar et un deuil inqualifiables. Sorenza René, 21 ans, est morte sous les coups de son compagnon Patrice Rita, un récidiviste notoire de 30 ans, une semaine plus tard. Le corps en état de décomposition avancée a été retrouvé le mardi 15 octobre, au domicile de son compagnon, à Cité Hibiscus, Flacq. Elle avait été ligotée et placée dans un sac poubelle et enveloppée dans des draps pour ensuite être disposée dans la salle de bains.

 

L’examen post mortem n’a pu déterminer la cause exacte du décès à cause de l’état de décomposition du cadavre. Une source policière avance toutefois que la jeune femme portait plusieurs blessures sur son corps et que la mort pourrait remonter à au moins quatre jours. Arrêté, Patrice Rita est passé aux aveux puis s’est rétracté pour accuser son ami Nadeem Sewhan, 24 ans, également fiché à la police. Ce dernier a lui aussi été arrêté et les enquêteurs tentent de déterminer son rôle exact dans ce meurtre (voir hors-texte). Patrice Rita reste néanmoins le principal suspect.

 

La famille de Sorenza, quant à elle, est convaincue que c’est bien lui le meurtrier. «Nou ti kone enn zour li pou touy Sorenza. Ma petite-fille a vécu l’enfer avec cet homme. Il la tabassait régulièrement et n’hésitait pas à éteindre des cigarettes sur elle», se désole sa grand-mère maternelle Chantal René. Ce drame, ses proches et elle le redoutaient depuis longtemps, tout en espérant ardemment qu’il n’arriverait jamais. Ils ont tout fait pour persuader la jeune femme de se séparer de cet homme, en vain. Elle l’a certes quitté à plusieurs reprises mais retournait toujours avec lui. Elle faisait le va-et-vient entre Trou-d’Eau-Douce, où vit son père Alexis – chez qui elle habite depuis la séparation de ses parents –, et le domicile de son compagnon à Flacq.

 

Le samedi 5 octobre, Sorenza a ainsi quitté le domicile de son père pour retourner chez Patrice Rita qui venait de sortir de prison une semaine plus tôt, le 30 septembre. Chantal n’oubliera jamais cette dernière journée où elle a vu sa petite-fille vivante. Tôt le matin, Sorenza était descendue au rez-de-chaussée pour la voir car elle avait de la fièvre. Vers 16 heures, la jeune femme a quitté la maison en disant à sa grand-mère qu’elle se rendait chez sa mère Ulricke, à Camp-de-Masque, pour le week-end et reviendrait le lundi suivant. Là, Chantal a vraiment eu la sensation que c’était la dernière fois qu’elle la voyait vivante. «Je savais qu’elle mentait et qu’en fait, elle retournait chez cet homme. Je savais qu’il allait se passer quelque chose de grave cette fois. J’avais malheureusement raison. Ma pire crainte est devenue réalité.»

 

Jusqu’à ce qu’elle rencontre Patrice Rita, Sorenza vivait une vie plutôt heureuse malgré la séparation de ses parents alors qu’elle avait 5 ans et sa petite sœur Alice, 4 ans. Les fillettes ont vécu avec leur père par la suite, à l’étage de la maison familiale choyées par leur grand-mère. «J’ai élevé mes petites-filles comme si elles étaient mes propres filles», confie la sexagénaire, la voix cassée par l’émotion.

 

Femme battue

 

Puis, à 14 ans, Sorenza a fait la connaissance de celui qui allait devenir son bourreau. Il avait déjà 24 ans et était connu comme un toxicomane. À partir de là, ça a été la descente aux enfers pour la jeune fille. «Sorenza était totalement sous son emprise. Elle ne pouvait même pas se concentrer sur ses études. Elle a ainsi mis fin à sa scolarité après sa deuxième tentative au School Certificate. Sa relation avec son père était très tendue car il désapprouvait totalement cette liaison», raconte Chantal.

 

Après ses études, Sorenza a pris de l’emploi comme réceptionniste dans un hôtel de la région mais cette expérience a été de très courte durée. «Elle a travaillé pendant seulement une semaine. Patrice, qui venait alors de sortir de prison, exerçait trop de pression sur elle.» Cela n’était un secret pour personne que Sorenza était une femme battue. «En plus d’être violent, cet homme était aussi connu comme un coureur de jupons. À chaque fois que les choses dégénéraient entre eux, ma petite-fille le quittait puis repartait avec lui. Et quand elle se remettait en couple avec lui, elle coupait tout contact avec nous.»

 

Sa famille a beau essayer de la persuader qu’elle courait à sa perte avec cet homme, Sorenza n’en faisait qu’à sa tête. Personne ne comprenait ce qu’elle trouvait à cet homme et pourquoi elle était si accro à lui. En plus d’être toxicomane, Patrice Rita accumulait les frasques. «Zame li travay. Li sipoze mason. So vre travay se kokin ou vann ladrog. Akoz samem linn fer prizon plizier fwa. Nou finn fatige koz ek Sorenza pou li kit li me li pann ekoute. Kot so papa li pa ti mank nanye. Mo garson inn touzour travay dir pou so bann tifi. Li boatman. Li mem kwi bwi. Mo de ti zanfan kouma dir de la prinses sa. Kan Sorenza ti kot nou li ti bien. So visaz dan lazwa. Li grosi. Laba dan Flacq li dan boukou problem. Dan lakaz-la pena dilo ni lalimier. Mo dimann mo mem kouma li ti pe fer pou dormi parski nou tann dir boug-la ti ena de lezot fam dan lakaz ankor.»

 

Selon sa famille, Sorenza était manipulée par son petit ami. «Elle le suivait aveuglément. Elle a beaucoup menti pour lui. Tellement elle était sous son emprise, elle a même déjà commis un vol chez moi pour que cet homme puisse s’acheter de la drogue. Il lui faisait aussi vendre de la drogue. Sorenza était méconnaissable. Elle se négligeait alors qu’elle avait toujours aimé se maquiller et s’habiller», s’insurge Chantal. Alexis a tout fait pour éloigner sa fille de cet homme. À un moment, son ex-femme et lui ont tenté de la convaincre de se rendre chez une tante en Angleterre mais elle n’a rien voulu entendre.

 

Il y a quelques mois, la jeune femme a encore une fois été sauvagement tabassée par son compagnon et avait été admise à l’hôpital. «Elle avait une fracture au nez. Le médecin lui avait longuement parlé ce jour-là. Elle nous a alors fait croire qu’elle allait porter plainte contre lui mais le jour J, elle a donné à la police une autre version, disant qu’elle est tombée», souligne Chantal. À l’époque, Sorenza est retournée temporairement chez son père. Ce qu’elle faisait aussi à chaque fois que son compagnon se retrouvait en prison pour une affaire drogue ou de vol.

 

La dernière fois qu’elle est rentrée chez son père, c’est justement parce que le jeune homme était derrière les barreaux. Sorenza semblait décidée à prendre un nouveau départ et travaillait même avec sa mère qui gère un salon de coiffure et de soins esthétiques. «Kan li kot nou, tou dimounn koz ek li. Nou osi gat li bien pou li pa retourn ek sa boug-la. Sak fwa li dir li anvi refer so lavi me kouma Patrice sorti dan prizon, li al res ek li.» Le 6 octobre, une semaine après la sortie de Patrice Rita de prison, Sorenza est retournée dans ses bras, et une autre semaine plus tard, son cadavre était découvert. C’est un voisin qui a donné l’alerte à la police lorsque ses chiens ont commencé à gratter la tôle de la salle de bains du couple. Une odeur nauséabonde se dégageait aussi des lieux.

 

Colère

 

Chantal et les siens sont rongés par la colère. «Il a frappé Sorenza, puis l’a tuée. Ensuite, il lui a attaché les mains et les pieds avant de la mettre dans un sac poubelle et de l’envelopper avec deux draps. Puis, il l’a quittée là comme un animal avant de se rendre tranquillement à la police pour une autre affaire pour laquelle il était recherché.» C’était la première fois, disent les proches de Sorenza, que le récidiviste se constituait prisonnier alors qu’il prenait toujours la fuite lorsqu’il y avait un warrant contre lui. Ils pensent qu’il voulait ainsi se constituer un mobile.

 

Alors que l’examen post mortem indique que la mort remonte à au moins quatre jours, les proches de la jeune femme pensent qu’elle a été tuée dans la soirée du dimanche 13 octobre. Un chauffeur de taxi a raconté à un proche de Sorenza que cette dernière l’avait appelé vers 16 heures, ce jour-là, pour lui demander de venir la récupérer à Cité Hibiscus vers 21 heures et la déposer à Trou-d’Eau-Douce. L’homme n’a toutefois pu faire la course, n’étant pas libre à cette heure-là.

 

Peut-être que la jeune femme, se sachant en danger, voulait attendre la nuit pour s’enfuir. Peut-être qu’elle ne voulait plus subir les coups. On ne le saura jamais. «Bondie kone ki li fer. Mo pa pou pardonn sa zom-la zame pou seki linn fer mo ti zanfan. Sorenza pa merit sa. Mo bien sagrin seki finn ariv li. Si li ti ekout nou pa ti pou ariv sa», regrette Chantal, la voix nouée par l’émotion. Pour elle et toute sa famille, les regrets et les larmes sont tout ce qui leur reste de Sorenza…

 


 

Linion Fam organise une marche

 

26 octobre. Retenez bien la date. Ce jour-là, le mouvement Linion Fam organise une marche pacifique pour dire stop à la violence conjugale. Catherine Prosper, fondatrice et porte-parole, vous invite à la rejoindre au Jardin de la Compagnie, à partir de 11h30. Dress code : un T-shirt blanc. «Notre mouvement a vu le jour en septembre. Il regroupe des hommes et des femmes qui dénoncent la barbarie dont certaines femmes sont victimes au quotidien. Nous nous sommes rencontrés une première fois le 22 septembre pour réfléchir au changement que nous voulons apporter. Nous avons ensuite eu une deuxième rencontre le 26 septembre avec un groupe d’avocats pour voir les provisions légales car nous réclamons des sanctions pénales obligatoires contre les agresseurs qui récidivent. Il faut arrêter avec les cautions. Nous avons une liste de revendications que nous allons bientôt rendre public. Le mouvement Fam Ensam Nou Kapav nous donne également un coup de main», soutient Catherine Prosper.

 


 

Féminicide : la liste s’allonge

 

À l’heure où nous mettions sous presse, deux nouvelles femmes avaient rejoint la liste noire de celles qui ont péri sous les coups de leur conjoint ou d’un autre proche : Sorenza René et Nazmah Rummun. La première victime de 2019 est Anita Gangadoss, 53 ans, décédée le 4 juin, cinq jours après que son compagnon Sunil Bundhoo lui a assené sept coups de couteaux. L’habitant de Batterie-Cassée a ensuite tenté de se suicider en ingurgitant une substance nocive. Le 20 août, c’est Tiannesela Perrine, une Rodriguaise de 22 ans, qui a été mortellement poignardée chez elle par son ex-compagnon, sous les yeux de deux de ses trois enfants. Deux jours plus tard, c’est Mohini Devi Mohorun, 60 ans, qui a été tuée par son petit-fils Ashish Runomally, à Vallée-des-Prêtres. Le 4 septembre, une autre femme est morte sous les coups. Stéphanie Menes, 32 ans, a été tuée par son époux Steeve, à Cité Briqueterie, Sainte-Croix. Ce dernier s’est, par la suite, donné la mort par pendaison. Le mois de septembre a aussi été marqué par l’agression mortelle de Shabneez Mohamud par son époux Nasurudin, le 10, à Bel-Air, et de Joyce Revat par son compagnon Rodney Rambhujun, le 12, à Curepipe.

 


 

Plusieurs versions pour un meurtre

 

 

Il a commencé par nier toute responsabilité dans le meurtre de sa compagne, puis a fini par avouer. Après son arrestation, Patrice Rita a déclaré aux enquêteurs qu’il soupçonnait Sorenza d’infidélité après avoir vu des photos et des messages sur son portable. Le soir du drame, il lui aurait d’abord donné un coup de poing, puis se serait acharné sur elle avec un stand de moto. Grièvement blessée, Sorenza serait tombée à terre et il serait sorti de la maison pour aller prendre l’air. À son retour, il aurait constaté que la jeune femme avait rendu l’âme. Il l’aurait alors déshabillée et se serait débarrassé de ses vêtements ensanglantés en les enterrant dans un coin de sa cour.

 

Ensuite, il aurait ligoté la jeune femme et l’aurait enveloppée d’un drap avant de la placer dans un sac poubelle qu’il aurait recouvert d’un autre drap. Il aurait ensuite déposé le cadavre dans la salle de bains. Le lendemain, il s’est rendu au poste de police de Flacq pour se constituer prisonnier dans une autre affaire. Il savait qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt car il n’avait pas respecté une condition de sa remise en liberté. Il n’a toutefois rien dit concernant la mort atroce de sa compagne. Ce n’est qu’après la découverte du corps qu’il a été inculpé provisoirement pour assassinat. Après avoir avoué, il s’est cependant rétracté pour accuser un de ses amis Nadeem Sewhan, un habitant de La Source, à Flacq, du crime. Il a donné plusieurs versions. Dans l’une, il dit que c’est son ami qui a tué Sorenza alors qu’il s’était absenté de la maison, dans une autre, qu’ils ont commis le coup ensemble ou encore qu’il l’a aidé à dissimuler le cadavre. La police pense, quant à elle, que Nadeen Sewhan a aidé Patrice Rita après le meurtre. Il a été arrêté et accusé provisoirement de complicité. Il nie toute participation à ce drame.