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Décès de Rajah Madhewoo, Samuel Wong et Ismet Abdoolah : l’adieu à des citoyens engagés

Ils ont marqué les esprits et les cœurs. Et ont fait partie de l’histoire de leur pays, chacun à leur façon. Et ils sont morts, positifs à ce virus qui continue à faire des ravages. 

Rajah Madhewoo : hommage à un «travailleur social au grand cœur»

 

Il avait souri. Ç’avait été sa première réaction à la lecture de la description faite de lui dans le dernier article le concernant dans 5-Plus dimanche, en juillet 2021. C’est ce qu’il nous avait raconté plus tard, après avoir partagé le texte sur sa page Facebook. On pouvait y lire : «Il fait partie de ces infatigables. Un brin illuminé, selon certains. Mais tenace, surtout. Le Dr Rajah Madhewoo est l’homme de nombreuses batailles, partisan de la polémique quand elle permet “de garantir nos libertés”, précise-t-il.» Il revenait alors sur sa «grande victoire», après des années de combat contre la carte d’identité biométrique. Celle qu’il voyait comme un «prix Nobel». Le 21 juillet, le Comité des Droits humains des Nations-Unies avait émis un jugement en sa faveur, estimant que la prise et le stockage des empreintes digitales sur la carte d’identité biométrique piétinaient le droit à la vie privée des Mauriciens.

 

Le Dr Rajah Madhewoo, positif à la Covid-19, s’est éteint le mercredi 24 novembre après plusieurs jours passés à l’hôpital Jeetoo. C’est son ami Soobash Hurree, également engagé dans le social, qui l’y a conduit. Il a raconté, cette semaine, que celui que beaucoup surnommaient dokter ne voulaient pas «bar plas dan lopital» et qu’il avait trop attendu pour se faire soigner dans un système de santé qui est, de toute façon, au bout du rouleau. Rajah Madhewoo n’était pas vacciné. C’était d’ailleurs son dernier combat : la vaccination obligatoire. En octobre, il avait porté plainte en Cour suprême contre le gouvernement mauricien afin de contrer les «tactical obligations to get vaccinated, against the compulsion to carry a vaccination card and be deprived of free movement in a democratic state without it», écrivait-il.

 

Depuis son décès, les hommages affluent de toutes parts, soulignant son altruisme et son sens de l’engagement. Au-delà de la contestation de la nature même de la carte biométrique, il s’était engagé auprès de ceux et celles qui avaient été lésés/es suite à la chute de l’empire BAI. Avait donné de la voix pour les étudiants étrangers et avait tendu la main aux personnes malades. Combattant acharné des droits des Mauriciens, parfois dans le vrai, parfois too much, il s’exprimait régulièrement dans 5-Plus dimanche, parlant de ses batailles et commentant également l’actualité (voir hors-texte). Disponible, chaleureux et proche de l’actualité, il avait toujours une analyse bien au chaud qui n’attendait qu’une chose : prendre un peu l’air.

 

Devarajen Kanaksabee du Front Socialiste s’est souvenu de lui en ces termes : «C’était une personne très simple. Il n’avait pas d’orgueil déplacé. Il croyait en la liberté d’expression. Aujourd’hui, je me demande qui continuera sa noble mission !» Fabrice David, député du PTr, lui a également rendu hommage. Les deux hommes œuvraient ensemble auprès de familles de Bain-des-Dames dont les habitations auraient été endommagées suite aux travaux de construction d’un Tank Farm à Les Salines : «Le Dr Madhewoo était devenu une figure emblématique du combat contre l’injustice et pour la liberté fondamentale des individus.» Reza Uteem, député du MMM, qui a été son avocat, a aussi eu un mot pour l’homme «parti trop tôt» : «Il était un travailleur social au grand cœur et il a aidé plusieurs patients à se faire opérer à l’étranger.»

 

Kugan Parapen de Rezistans ek Alternativ estime, lui, que Maurice a perdu «enn so bann ranpar demokratik». Alors que Sanjeev Teeluckdharry, son avocat pour de nombreux combats, a évoqué l’activiste social qui était, pour lui, «le chef de la résistance et le gladiateur des droits humains». Il a salué son esprit et son engagement : «Il était un philanthrope et un homme de culture exemplaire. Fin érudit, il a su marquer vivement la jurisprudence constitutionnelle. Il a mené une croisade impossible pour le respect des libertés fondamentales ; la dignité, le respect de l’intégrité physique et le droit à la vie privée.» Il a rappelé que le Dr Rajah Madhewoo avait puisé de ses économies pour mener ses «combats patriotiques» et «pour établir que tout individu jouisse du droit à la vie privée».

 

Catherine Boudet, qui était à ses côtés pour le combat contre la carte d’identité biométrique, s’est aussi exprimée : «Il restera un exemple pour nous tous et il nous lègue un message important : la politique, le social et l'activisme ne sont pas des sphères séparées. Quand il y a une cause juste, il n'y a pas de division entre les différents espaces de la nation pour la mener à bien...»

 

En quelques infos

 

Le Dr Rajah Madhewoo s’est battu contre la nouvelle carte d’identité dès le premier jour. Et il n’a jamais lâché l’affaire. Psychologue de formation, il avait quitté Maurice pour poursuivre ses études en Grande-Bretagne. Il y a vécu longtemps et s’y sentait très bien, précisait-il. Puis, il a décidé de rentrer pour venir en aide à son pays. Durant ses jeunes années (les années 70), il était déjà engagé au sein de la Socialist Working Youth League. Originaire du sud de l’île mais habitant Crève-Cœur depuis son retour à Maurice, il aimait les livres sur l’astrologie, les ouvrages qui parlaient des secrets du management et les vieilles voitures. Il évoquait parfois, et avec beaucoup d’émotion, la mort de sa première épouse, Sadhna, décédée en 1997 d’une acute liver of pregnancy après avoir donné naissance à leur fils Darshan qui vit actuellement en Angleterre. Et aussi son rôle de «papa-mama».

 

Ses mots, ses partages

 

«Il y avait peu d’espoir mais c’était suffisant pour continuer d’avancer»

 

En 2021. Le Comité des droits humains des Nations-Unies lui donne gain de cause. Après des années de combat (depuis 2013), l’homme engagé savourait une «victoire historique».

 

Le Dr Rajah Madhewoo : «Après l’humiliation à la Cour suprême et le rejet de ma plainte au Privy Council, il y avait alors peu d’espoir mais c’était suffisant pour continuer d’avancer (…) Notre petit pays, avek kolaborasion tou mo bann kamarad, a réussi à interpeller l’administration de 173 pays qui sont concernés par la sauvegarde des données biométriques et, donc, par le jugement.»

 

«Une élection qui est un outil dans une machinerie politique ne parle pas de démocratie»

 

En 2019. La partielle à Piton/Rivière-du-Rempart (la circonscription nº7) est alors on, suite à la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo en tant que député, en mars. Elle n’aura finalement pas lieu. À la place ? Les élections générales. Le Dr Rajah Madhewoo : «Imaginez que des candidats se présentent, investissent de leur temps et de leur argent, et apprennent à la dernière minute que l’élection n’aura pas lieu : ce ne sera pas logique. Alors, si c’est une comédie, il faut l’arrêter là (…) Les Mauriciens doivent réaliser une chose : une élection qui est un outil dans une machinerie politique ne parle pas de démocratie. Un pays où larzan marse, où nos institutions ne fonctionnent pas en toute indépendance, où il n’y a pas de méritocratie ; ce n’est pas une démocratie.»

 

«Le Mauricien ne connaît pas la vraie liberté. Il a peur»

 

En 2015. La banque de données de la carte biométrique sera détruite. Mais pour le Dr Rajah Madhewoo, qui avait contesté en Cour suprême la constitutionnalité même de cette carte, la victoire n’est alors pas totale. Le Dr Rajah Madhewoo : «J’ai goûté à la démocratie, la vraie. À la méritocratie et à la liberté aussi. J’ai vécu pendant de nombreuses années en Angleterre. Le Mauricien ne connaît pas la vraie liberté. Il a peur. Pendant plusieurs semaines après les dernières législatives, les gens étaient contents, ils avaient un sourire sur leur visage. Ils sentaient un nouveau souffle, un vent libérateur. Il n’y avait plus de menace de dictature. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ils ont peur d’exprimer leurs opinions ouvertement, peur d’être sur la liste noire du gouvernement, peur que leurs proches n’obtiennent pas de travail, entre autres. C’est la même pression, la même peur qu’avant.»

 

Xavier Wong, «un soldat parti trop tôt»

 

Travailleur social passionné, Xavier Wong de la No Limit Team est décédé de la Covid-19, cette semaine. Les hommages n’ont pas manqué pour saluer le courage et l’altruisme de cet homme engagé, de ce «soldat parti trop tôt» : «Il était toujours là à l'écoute des autres, à être au service des autres, et il était quelqu'un qui était toujours vrai dans tout ce qu'il faisait», a écrit l’équipe de Fraternité Nouvel Espoir Ltée. Samuel Carriapen de la Monad Foundation a eu une pensée émue pour «cet homme au cœur en or» : «Tonn ena enn zoli mision lor later ek to pou res dan nou memwar kouma 1 ero.»

 

Décès d'Ismet Abdoolah : sa famille dénonce

 

La tristesse a envahi les cœurs. La colère aussi. Depuis le décès d’Ismet Abdoolah, testé positif à la Covid-19, la famille du secrétaire du Front Commun des Commerçants dénonce les conditions «déplorables» dans lesquelles il a vécu ses derniers instants. Sa nièce, Jabeen Thug, estime qu’il a été délaissé, que sa couche n’a pas été changée pendant plusieurs jours et qu’il n’a pas eu les soins appropriés. Au niveau de la Santé, on déclare qu’aucune plainte n’a été déposée pour l’instant. Raj Appadu, président du Front Commun des Commerçants, a rendu un vibrant hommage à l’activiste : «Nous perdons une personne extraordinaire, un secrétaire avec un coup de plume hors pair. Ce sera très difficile de remplacer quelqu’un comme lui.»