• Étoile d’Espérance : 26 ans d’engagement, de combat et d’espoir
  • Arrêté après l’agression d’un taximan : Iscoty Cledy Malbrook avoue cinq autres cas de vol
  • Golf : un tournoi caritatif au MGC
  • Le groupe PLL : il était une fois un tube nommé… «Maya L’Abeille»
  • Nilesh Mangrabala, 16 ans, septième victime de l’incendie du kanwar à Arsenal - Un rescapé : «Se enn insidan ki pou toultan grave dan nou leker»
  • Hippisme – Ouverture de la grande piste : les Sewdyal font bonne impression
  • Sept kendokas en formation à la Réunion
  • Plusieurs noyades et disparitions en mer : des familles entre chagrin et espoir
  • Mobilisation du 1er Mai : la dernière ligne droite avant le grand rendez-vous
  • Le PMSD secoué : démissions, rumeurs et confusion…

Affaire Saint-Louis - Ivan Collendavelloo : sur le fil du doute

Le no 2 du gouvernement, avec l’appui de documents, a proposé une alternative… Une stratégie payante. 

Lumière, action ! La suite du scénario s’est écrite, cette semaine, au gré des différentes allocutions du ministre de l’Énergie, Ivan Collendavelloo. Au Parlement, sur les ondes de Radio Plus, sur Facebook, et auprès du Premier ministre, semble-t-il, l’homme dont l’opposition exige la démission a avancé ses pions, ses explications, ses documents… dans le but de démontrer que l’allégation de corruption – dévoilée dans un communiqué de la Banque africaine de développement (BAD) dans l’affaire du contrat alloué à Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC) – devait concerner un premier appel d’offres fait sous le gouvernement travailliste pour les turbines de la Centrale Saint-Louis (voir les explications d’Ivan Collendavelloo ci-contre), poussant l’ICAC à rouvrir son enquête de 2014.

 

Une façon de tourner le spotlight ailleurs que sur lui, estiment ses détracteurs. Reste qu’en ce moment, la position du no 2 du gouvernement demeure précaire, même s’il affirme avoir le soutien du PM. Il ne pensera à démissionner que s’il est avéré que les faits ont eu lieu alors qu’il était le ministre de tutelle, a-t-il déclaré sur les ondes de la radio privée. Pour la fluidité de l’enquête menée par l’ICAC, et alors que le board du CEB a été révoqué par le Premier ministre, est-ce dans la logique des choses qu’il s’en aille ? Non, estime le principal concerné : «Le board n’a pas été révoqué parce qu’il est impliqué dans un acte malhonnête, il ne s’occupe pas des tenders. C’est parce que ses membres seront les premiers à être interrogés par l’ICAC.» Comment se fait-il qu’il soit toujours en poste ? Éléments de réponse…

 

Pour l’un de ses proches collaborateurs, la question de son départ ne se pose pas : «Ivan est un homme de parole. Comme il l’explique, la corruption doit dater de 2014.» Padma Utchanah, présidente du Ralliement citoyen pour la patrie, ne partage pas ce discours de partisan. Ni ce point de vue. Mais elle estime que parler de démission n’est qu’un moyen d’éviter les questions essentielles que soulève l’affaire de la Centrale Saint-Louis : «Il ne sert à rien d’exiger la démission du leader du Mouvman liberater si on ne s’attaque pas aux racines du mal. Les scandales d’État se suivent et se ressemblent.» Au-delà du raccourci nécessaire qu’est celui de personnaliser une affaire, il faut parfois prendre des chemins plus longs pour constater l’ampleur du problème qui n’a aucune couleur politique : «Tant qu’on ne s’attelle pas à la source du problème, tant qu’on ne met pas au sein de nos institutions dites indépendantes, des femmes et des hommes compétents et intègres, l’hydre de la corruption aura des beaux jours devant elle.»

 

Pourtant, des actions réfléchies, porteuses de conséquences, auraient pu, estime-t-elle, donner une autre dimension à cette affaire, créer une rupture nécessaire. Donner un champ d’action à Pravind Jugnauth qui semble prisonnier d’un rôle… d’observateur, après la révocation du board et depuis les explications de son DPM : «L’intervention du Premier ministre dans la révocation de l’ancien board du CEB ressemble à une mascarade pour embrumer les yeux de la population. Il n’a fait que déshabiller Paul pour habiller Pierre !» Il est donc impératif de s’engager pour casser un système si on souhaite faire bouger les choses, estime-t-elle : «C’est notre système en matière de lutte contre le crime économique qui est gangrené par ce cancer.»

 

Pravind Jugnauth, qui assure qu’il n’y aura pas de cover-up, devrait le démontrer dès maintenant en agissant, dit-elle : «Il faut mettre sur pied des institutions efficaces contre la corruption, les crimes économiques.» Un travail de longue haleine… Mais Aurélien Oudin, observateur de la chose politique estime, lui, qu’il y a un fusible qui est endommagé et qu’il faut des actions rapides : «Que le Deputy Prime Minister prenne ses responsabilités, qu’il démissionne !» Pour la stabilité du gouvernement, pour l’image de l’île, cette action permettrait de restituer les enjeux d’une enquête qui place Maurice sous un mauvais jour, alors que les explications d’Ivan Collendavelloo ne tiennent pas la route, selon lui : «Il s’est contenté de lancer un ballon endommagé dans le camp de l’ancien gouvernement afin d’avoir un bouc émissaire. Le contrat de 2014 n’a pas été alloué !» Une stratégie de désespoir, surtout que, d'après lui, le tandem MSM-ML couve un black-out sur sa bonne entente depuis des mois :«Maintenant, on sait pourquoi.»

 

Pour un ancien proche du MSM, un peu en froid avec son ex-équipe mais ayant toujours le cœur… orange, il faudrait que Pravind Jugnauth ose le pari de gérer le pays «sans boulet» : «Il n’a pas besoin de ce parti minoritaire.» Reste que si, en début de semaine, les rumeurs d’une cassure entre les deux acteurs du gouvernement venaient grésiller certaines oreilles, elles se sont éteintes comme les lampadaires au petit matin. Mais certains continuent à briller, même en plein jour. Et c’est ceux-là que voit cet ancien membre du ML : «Le board a été révoqué, c’est un signal inratable. Même si Collendavelloo peut défendre cette décision en disant qu’il s’agit de faciliter l’enquête ;
si c’était vraiment le cas, il démissionnerait lui aussi ! Il gagne du temps.»

 

Pour notre interlocuteur, Pravind Jugnauth fait face à un dilemme presque insurmontable. Depuis qu’Ivan Collendavelloo a réussi «à semer le doute», il n’a pas d’autre choix que de demeurer dans l’inaction : «Mais jusqu’à quand apportera-t-il son soutien à Ivan Collendavelloo ? Quand le rapport d’enquête sera disponible, les choses iront soit dans un sens, avec le départ dans la honte du ministre, soit dans l’autre, avec son retour en grâce, si ses affirmations sont réelles. Dans le premier scénario, Pravind Jugnauth devra subir son inaction et perdra de son capital politique de leader si durement gagné durant la crise de la Covid-19. Si c’est le deuxième, il donnera l’image d’un homme qui fait confiance aux bonnes personnes, il sortira plus grand. Entre les deux, le choix est herculéen.»

 

Car, parfois, un doute suffit… Action, lumière !

 


 

Pour situer

 

Des achats de turbines par le CEB. En 2014, le CEB lance un premier appel d’offres. Le but : permettre l’installation de turbines de 15 MW à la centrale de Saint­-Louis. Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC), qui vient du Danemark, décroche le contrat. Le Bid Evaluation Committee rejette l’appel d’offres. Quand la BAD, soutien financier du projet, demande de relancer un tender en 2015, c’est la BWSC qui est encore choisie. Elle obtient le contrat de ce projet de Rs 4,3 milliards, en mars 2016.

 

Des allégations de pots-­de-­vin. C’est la BAD qui en parle. Elle a initié une enquête sur l’allocation du contrat suite à une information d’un whistleblower en 2018 (BWSC a également initié une enquête interne). Les conclusions : il est suspecté que des officiels mauriciens auraient reçu des bribes afin que des informations secrètes soient transmises à la firme danoise et pas aux autres soumissionnaires.

 

Et le «board» nouveau est…

 

… Composé de Radhakrishna Chellapermal, Deputy Financial Secretary et nouveau Chairperson. Les autres membres ? Ken Arian, conseiller au bureau du PM, et Toolsyraj Benydin, député du ML, Javed Suhootoorah du ministère des Finances, le Dr Dhanandjay Kawol du ministère de l’Énergie, Rachna Ramsurn du ministère des Finances, et Madhoochandra Lobind, de la Central Water Authority.

 

L’opposition : masque noir, pancarte et questions

 

• Navin Ramgoolam, en conférence de presse, a souhaité démentir les allégations d’Ivan Collendavelloo, estimant que le DPM tente de noyer le poisson. Il a adressé des questions au ministre de l’Énergie concernant le second tender, redirigeant les soupçons sur celui-ci. «Ce n’est que deux mois plus tard que le CEB informe les autres soumissionnaires que leurs offres n’ont pas été retenues. Pourquoi ?», «Deux heures avant l’audition, l’instance reçoit un certificate of emergency. Est-ce normal ?» (concernant l’appel des autres soumissionnaires devant l’Independent Review Panel), se demande Navin Ramgoolam. Il s’est aussi interrogé sur l’improbabilité que le ministre de l’Énergie ne soit pas au courant de la correspondance entre le CEB et BWSC et l’inaction du board du CEB face aux allégations. Il a également évoqué un Skandal Plaza, sans donner plus de détails.

 

• Au Parlement, les députés de l’opposition ont protesté contre la non-démission d’Ivan Collendavelloo en affichant des masques noirs, en boycottant son discours et en tenant des pancartes l’invitant à step down. Résultat : une suspension décidée par le Speaker Sooroojdev.

 

Paul Bérenger : «C'est un bluff complet»

 

Le Saint-Louis Gate a été très commenté lors du point de presse du MMM, le 20 juin. «Collendavelloo dit que c’est sous le régime travailliste qu’il y a eu magouille et corruption. C’est un bluff complet ! Je le mets au défi de mettre sur pied une commission d’enquête. Commission que nous demandons, ainsi que les Travaillistes ! Au lieu de se cacher derrière la cover-up machine qu’est l’ICAC (…), ce qui est encore plus grave, c’est que le scandale Saint-Louis ajoute au fait que nous sommes aussi blacklisted par l’Union européenne», a déclaré Paul Bérenger. Le leader mauve a aussi demandé une «solution urgente» pour les squatters qui sont des genuine cases et les Mauriciens stranded à l’étranger. Il a également dénoncé une «confusion généralisée» concernant plusieurs mesures budgétaires et dans le secteur de l’éducation. Finalement, il a exprimé sa solidarité envers Rajen Narshingen, Senior Lecturer de l’UOM : «On essaie de faire peur, d’empêcher de s’exprimer. Nous condamnons cela.»

 

Les précisions du ministre de l'Energie

 

• «Je viens devant vous en tant qu’homme qui a servi le pays pendant 40 ans, je viens devant vous avec les mains propres», a-t-il déclaré au Parlement, prenant la parole pour une réaction attendue.

 

• L’allégation de corruption devrait remonter à 2014, selon le DPM, alors que Navin Ramgoolam était Premier ministre. Il a détaillé la chronologie de cet appel d’offres sous le régime du PTr. Il a aussi été question d’une rencontre entre l’ancien directeur du CEB, Shyam Thanoo, et un représentant de la firme danoise. Il a précisé que le 15 avril 2014, l’ancien Permanent Secretary au ministère de tutelle avait alerté Shyam Thanoo d’un tailor-made tender pour favoriser la compagnie danoise BWSC.

 

• Shyam Thanoo s’est exprimé cette semaine. Pour lui, Ivan Collendavelloo fait fausse route. Le premier tender a été annulé en 2014, précise-t-il.

 

• Que le whistleblower ait tiré la sonnette d’alarme en 2018 ? «Il y en a eu d’autres avant», précise Ivan Collendavelloo.

 

• Le leader de l’opposition, Arvind Boolell, avait allégué qu’Ivan Collendavelloo serait intervenu pour que le contrat ait une Certification of Urgency, afin de contrer toutes contestations. Le ministre a, lui, précisé qu’il n’avait rien à voir avec cette décision, qu’il s’agissait de celle du CEB.

 

• En 2019, alors que la firme BWSC contacte le CEB et parle d’enquête, Ivan Collendavelloo persiste qu’il n’est à aucun moment question d’allégations de corruption concernant le CEB. La discussion entre le General Manager et le Chairman du CEB, en présence d’un conseiller légal, ne laisse pas de doute : le CEB n’est pas impliqué dans l’enquête. Et lors de la réunion du board du 31 décembre 2019, où un de ses représentants est présent, il est question que «the matter was closed» dans les minutes of proceedings. Il assure que son colistier et collègue de parti, Seety Naidoo, ancien président du board, ne lui a jamais parlé de cette affaire. Et que ce n’est que le 8 juin, lors de la publication du communiqué de la BAD, qu’il en a pris connaissance.

 

• Lorsque le board du CEB en a discuté, il était en… pleine campagne électorale, a-t-il précisé sur Radio Plus.

 

ICAC : enquête, communiqué et refus

 

La décision est sans appel. La BAD ne fournira pas à l’ICAC les documents relatifs à son enquête : «La Banque africaine de Développement a informé l’ICAC qu’elle n’est pas en mesure, pour l’instant, de communiquer le rapport sur les allégations de corruption par la firme danoise de par la confidentialité et des procédures internes», précise un communiqué de la commission. Cette dernière est déjà «en contact avec la firme danoise».

 

Le PM : «Pas de cover-up»

 

Pravind Jugnauth le dit et le redit : dans cette affaire, il n’y en aura pas. Il l'a affirmé au Parlement, cette semaine. Des documents reçus d’Arvind Boolell, il dira ceci : «Il m’a dit une chose ; qu’il y a une compagnie qui est impliquée. C’est tout. L’autre jour, il faisait des allégations. Mais il n’y avait rien contre le DPM ou qui que ce soit. Je lui ai dit : c’est tout ? Je m’attendais à voir des noms et le montant que ces personnes avaient reçu.»

 

Xavier-Luc Duval demande une commission rogatoire

 

Il réagit. Lors de la conférence de presse du PMSD le 20 juin, Xavier-Luc Duval a commenté l’affaire St-Louis, surtout le refus de la Banque africaine de développement de remettre à l’ICAC des documents relatifs à cette affaire. Selon le leader du PMSD, l’Attorney General doit faire une requête au Danemark pour qu’une commission rogatoire soit mise sur pied. «Le Danemark devra collaborer avec les enquêteurs mauriciens pour avoir toutes les informations nécessaires de BWSC.» D’autre part, Xavier-Luc Duval a déclaré qu’il a fait une requête au ministre des Finances pour que la mesure de Contribution sociale généralisée soit enlevée. Elle est, dit-il, «anticonstitutionelle» et discriminatoire quand on fait la comparaison entre le public et le privé. Il a aussi avancé que nous sommes sur la liste noire de l’Union européenne parce que des sanctions adéquates ne sont pas prises contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

 

Textes Yvonne Stephen-Lavictoire et Stephane Chinnapen