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La difficile réalité des pêcheurs

Malgré l’usure du temps, Benjamine, Guito et Deven aiment toujours autant se retrouver sur l’eau.

Chaque jour est un peu plus dur. Le métier de pêcheur n’est plus ce qu’il était il y a quelques années. Ceux qui vivent de la mer sont les premiers à constater les changements qui remettent en question leur gagne-pain. Et lorsque le mauvais temps joue les trouble-fête, comme Carlos récemment, gagner sa vie est un défi. Cependant, malgré les difficultés, la passion ne s’éteint jamais. 

«Le métier de pêcheur, c’est la liberté.» Deven Armoogum, 62 ans, en a toujours été convaincu. C’est d’ailleurs ce qui le pousse à se lever avant l’aube chaque matin depuis plus de 40 ans pour monter à bord de sa pirogue et voguer vers le grand large de Mahébourg afin de ramener son gagne-pain. Pour lui, comme pour beaucoup de pêcheurs, ces derniers jours ont été difficiles en raison de la tempête tropicale Carlos qui rendait la mer impraticable. Du coup, en ce mercredi 8 février, il espère que la récolte sera plus que satisfaisante. «Normalement, on aura un peu plus de poissons car ces derniers jours, nous ne sommes pas allés pêcher.» 

 

Avec Zom, Guyano et Christophe, ses compagnons de pêche – «à Mahébourg, on pêche ensemble» –, il a quitté le débarcadère aux premières lueurs du jour pour y revenir vers midi avec une centaine de livres de poissons corn, de carpes et de vieilles rouges. «C’est pas mal mais c’est parce qu’on n’a pas pu pêcher ces derniers jours. D’habitude, on revient avec 30 à 40 livres de poissons. Maintenant, il faut faire les comptes, enlever les frais des casiers et de l’essence, et ensuite diviser la somme en quatre parties équitables.»

 

Au débarquement, une dizaine de personnes sont au rendez-vous. Aroumeye, la fille de Deven, prend le relais. Chez les Armoogum, c’est une histoire de famille. Ils sont pêcheurs de père en fils. «Dans la famille, presque tout le monde fait ce métier. Moi, j’ai suivi mon père, tout comme mon frère. Ma femme me donnait un coup de main et aujourd’hui, c’est ma fille qui s’en charge.» De l’autre côté de la route, les poissons sont placés dans des bacs dans le caisson d’un 4x4. Autour, l’agitation ne passe pas inaperçue. La vente peut commencer. 

 

Munie d’un carnet et d’une calculatrice, Aroumeye mène l’opération de main de maître. Les demandes viennent l’une après l’autre. Un bac de poissons corn pour un restaurant, des vieilles rouges pour un monsieur, des capitaines pour un autre. Il n’aura pas fallu plus de 10 minutes pour que les 100 livres de poissons fraîchement pêchés le matin même s’écoulent. «C’est rien là. D’habitude, il y a tellement de monde qu’il n’y a même pas de place pour circuler», précise Deven qui ne se lasse pas de cette scène folklorique et s’enivre de cette ambiance typiquement villageoise. 

 

Nourrir sa famille

 

En 40 ans de métier, il en a vu des choses et pas toujours des belles. Ce n’est pas un secret, être pêcheur n’a jamais été un métier facile. À l’inquiétude de revenir bredouille et de ne pas savoir comment nourrir sa famille se mêlent souvent le danger de la houle et la peur du naufrage et de la noyade. Mais lorsqu’on est pêcheur, lance Deven, on laisse la frayeur à terre pour aller gagner sa vie. Cette peur, Guito Bonapin, 48 ans, l’a ressentie quelques fois. «À trois reprises, j’ai fait naufrage. Heureusement, j’ai pu m’en sortir», lance du tac au tac ce pêcheur qui ne fait pas dans la langue de bois. 

 

Ici, à Souillac, tout le monde connaît Guito, le pêcheur d’homards. Il est toujours le premier à monter au front pour défendre ceux qui pratiquent ce métier. «Nous sommes un peu les brebis galeuses, ceux qu’on néglige alors que nous avons aussi des familles à nourrir. Aujourd’hui, les projets marins s’accumulent. Aquaculture, élevage de concombres de mer, ferme océanique et j’en passe. Pourquoi ne pas impliquer les pêcheurs et leur donner du travail ? Non. Au lieu de cela, on met ces projets entre les mains de ceux qui ont déjà de l’argent.» Il ne faut pas s’étonner, poursuit Guito, que de nombreux pêcheurs vivent dans des conditions précaires. 

 

S’il est aussi amer, c’est qu’il est fatigué de ce qu’il voit et définit comme de l’injustice. Lorsque le temps est mauvais comme ces derniers jours avec Carlos ou en hiver, les pêcheurs ne peuvent pas se rendre en mer. Pour eux, ce sont des mois sans travail et sans source de revenus. Ils touchent cependant une allocation de Rs 287 par jour du Fishermen Welfare Fund, une somme dérisoire, estime Guito. 

 

Pour offrir de meilleures conditions de vie à sa famille, il a essayé pendant des années de décrocher un poste d’éboueur dans le gouvernement. «Jamais je n’ai été pris», dit-il. Pour élever ses cinq enfants, les sacrifices ont été quotidiens. Quand il ne peut pas pêcher, Guito s’improvise maçon, planteur ou coupeur de cannes. Sa femme Christine a travaillé dans des hôtels avant de prendre de l’emploi sur un bateau de croisière, une source d’argent non négligeable pour faire vivre la famille. Le courage et la foi en Dieu l’ont toujours poussé à ne pas baisser les bras face à l’adversité. 

 

D’ailleurs, lorsqu’il regarde en arrière, Guito n’est pas peu fier de ce qu’il a accompli. De ses cinq enfants, une travaille dans la comptabilité, une autre fait ses études tertiaires, ses deux fils sont au collège St Joseph et la dernière est au primaire. Pour son épouse et lui, la priorité a toujours été l’éducation de leurs enfants, la clé de tout. Pour continuer à leur offrir ce dont ils ont besoin, l’homme continue de travailler autant qu’il peu, comme aujourd’hui. Profitant du retour du beau temps, Guito a donné rendez-vous à Christopher, un jeune pêcheur de la localité, très tôt au Battelage. Après avoir rempli les casiers d’oursins qui serviront d’appâts pour les homards et les poissons, ils s’accordent une petite pause avec un roti et un jus de tamarin, tout en échangeant quelques mots avec les serveuses qui attendent l’ouverture du restaurant du coin et en discutant du match de foot de la veille avec les garde-côtes. 

 

Manque à gagner

 

De retour sur sa pirogue, Guito est prêt à larguer les amarres. Face à la mer, c’est là qu’il se sent le mieux. L’air salin lui remplit les poumons. Ce matin, il ira déposer les casiers derrière le banc de récif, espérant rattraper le manque à gagner de ces derniers jours. Demain matin à l’aube, il ira ramasser ses casiers et faire un peu de pêche à la ligne pour trouver des capitaines ou des dames berry. S’il revient avec Rs 1 200 de marchandise, ç’aura été une bonne journée. Mais peut-il vraiment espérer ? 

 

Au contact de la mer au quotidien, les pêcheurs sont les premiers témoins de la dégradation de la faune et de la flore sous-marine. Au cours de ces dernières années, le développement industriel et touristique amenant l’urbanisation de nos côtes a eu un effet dévastateur sur la mer et son écosystème. La pollution détériore chaque jour un peu plus la qualité de l’eau, la santé des récifs, des coraux et de l’espèce marine. S’il y a une dizaine d’années, les pêcheurs pouvaient revenir avec de bonnes prises, aujourd’hui, trouver des poissons et des crustacés devient de plus en plus compliqué. 

 

Ce changement, Benjamine Anastasie le constate chaque jour. À 55 ans, elle est l’une des rares pêcheuses de la côte Sud. Sa passion, elle la nourrit depuis l’enfance. À Vieux-Grand-Port, là où elle habite et travaille, tout le monde la connaît sous le nom de Mamine. «Je suis née ici et j’y ai grandi. Je suis enn zanfan lakot. Petite, je passais tout mon temps au bord de la mer à regarder les aînés pêcher ou à chercher des crabes et des huîtres. C’est devenu ma passion et je me suis rendu compte que je passais beaucoup de temps sur la mer à pêcher. Lorsqu’ils me voyaient, les garde-côtes me disaient que je devais m’enregistrer comme pêcheuse. C’est ce que j’ai fait et ça fait plus de 20 ans aujourd’hui», raconte celle qui a toujours eu le pied marin. 

 

Il y a 20 ans, dit-elle, on trouvait les poissons et les crustacés en abondance. Il n’y avait pas à rester des heures sur sa pirogue à la merci du soleil pour trouver ce qu’on était venu chercher. Les changements sont arrivés par petites touches. Les poissons ont commencé par se faire graduellement plus rares et les journées ont commencé à s’allonger tant il faut chercher. «Avant, je rentrais avant midi. Aujourd’hui, je pars à 7 heures et je rentre à 14 heures et la prise est mince. Lamer pe vinn mizer.» 

 

Et lorsqu’en plus, le mauvais temps s’invite, c’est le véritable casse-tête pour ceux qui vivent de ce métier. Quand elle ne peut pas travailler, elle préfère vivre de ses économies et de l’allocation qu’elle reçoit. Après toutes ces années et bien que ce soit de plus en plus difficile de gagner sa vie en tant que pêcheur, Benjamine ne changerait de travail pour rien au monde. Au fil des années, sa passion pour la pêche n’a fait que grandir, en dépit des difficultés que ce métier comporte. 

 

 


 

Pop, le créateur de pirogues artisanales

 

Sur la plage de Vieux-Grand-Port, les pêcheurs sont réunis pour voir l’état de leurs pirogues et de la mer encore agitée après le passage de Carlos. Beaucoup décident de ne pas sortir leur bateau et préfèrent rester sur la plage pour discuter. Un peu plus loin, près du débarcadère, un homme s’affaire autour d’une pirogue posée sur le sable. Ponceuse électrique en main, il s’affaire sur les flancs de l’embarcation pour enlever toute la peinture qui s’y trouve. «Je l’ai reçue il y a quelques jours. Je dois la réparer et lui refaire une beauté.»

 

À 57 ans, il est l’un des plus anciens fabricants de pirogues. Il est l’un des plus connus de la région Sud mais également populaire à travers le pays. Son métier à lui, c’est charpentier de marine. Un travail qui se transmet de génération en génération. Son père Rahim l’était et il a choisi d’exercer le même métier, le seul qu’il sache vraiment faire. Avec celui de pêcheur car, lorsqu’il ne passe pas de temps à fabriquer les pirogues, il les utilise pour aller pêcher. «Quand on vit au bord de l’eau, quoi de plus normal.»

 

Lorsqu’il ne passe pas son temps à fabriquer des pirogues, Pop s’en va en mer chercher des poissons. 

 

À quelques pas de là, au détour d’une petite allée de verdure au bord de l’eau, se trouve l’atelier de Pop, installé dans sa cour. L’endroit est paisible, presque paradisiaque. Au milieu des arbres fruitiers, des troncs d’arbres et des morceaux de bois qui jonchent le sol, une pirogue de plusieurs mètres de long attend qu’on s’occupe d’elle. C’est là que Pop se met chaque jour au travail. En face de lui, une vue à couper le souffle. La baie de Vieux-Grand-Port, au bout de laquelle on voit distinctement Mahébourg. Seule ombre au tableau : cet ancien bateau blanc cabané qui tombe en ruine dans l’eau juste devant sa maison et qui apporte néanmoins un peu de charme à l’endroit. «Il y a toute une histoire autour de ce bateau. Je devais le réparer mais je n’ai jamais pu. Le propriétaire n’est jamais venu le chercher», raconte-t-il. 

 

Des bateaux, il en a créé de toutes les tailles et de tous les styles. Ce qu’il aime le plus dans ce qu’il fait, c’est de recevoir les troncs d’arbres ou d’autres parties du bois de Bois Noir, Jacques ou Ste Marie pour ensuite les découper, les façonner, les assembler et finalement leur faire prendre la forme d’une pirogue. Il faut ensuite poncer, écarter chaque jointure pour venir ensuite les refermer avec une pâte spéciale. «Il faut beaucoup de minutie et de patience. Ça demande du temps et un vrai savoir-faire. Pour une pirogue, il faut compter un mois et demi de travail.»

 

C’est grâce à ce travail, dit-il, qu’il réussit à gagner sa vie depuis 40 ans. Il a construit une maison et y a grandi ses enfants. Chaque jour, il prend le plus grand plaisir à donner forme et vie à ces embarcations et lorsque celles-ci peuvent enfin voguer sur l’eau, Pop est le plus heureux.