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Jean-Bernard, schizophrène : «Je suis un malade mental, mais une personne normale»

Schizophrénie, bipolarité, névrose obsessionnelle… ils vivent leurs maladies dans le silence et dans une solitude intérieure qu’eux seuls peuvent connaître. Alors que la Journée mondiale de la maladie mentale a été observée récemment, nous avons rencontré les bénéficiaires de l’association Friends in Hope. Jean-Bernard et Alexis nous livrent un témoignage poignant et émouvant.

Il semble discret, plutôt gentil et un peu gauche. Assis tranquillement sur une chaise, Alexis, comme il souhaite qu’on l’appelle, est prêt à parler à cœur ouvert de sa maladie, un mal dont il a pleinement conscience et avec lequel il vit depuis l’âge de 7 ans. «J’ai un trouble de la personnalité. Ça affecte mon comportement. J’ai deux personnalités. L’un est gentil. C’est moi, Alexis. L’autre est méchant. Il s’appelle Lindley», nous dit-il avec conviction. Son trouble se rapproche du dédoublement de la personnalité, une maladie rare et qui reste encore aujourd’hui difficilement explicable.

 

Celle-ci force la personne, sans qu’elle ne s’en rende compte, à mener une double vie. En gros, le moi réel mène une vie normale, alors que l’autre, le moi inconscient, a un comportement totalement opposé. Si Alexis ne mène pas distinctement deux vies, il sait que vivent en lui deux personnes, la bonne et la mauvaise. Lindley fait son apparition lorsqu’Alexis ne prend pas ses médicaments ou qu’il est sujet à de trop fortes émotions, du stress ou de la colère. Ça fait deux ans que ce n’est pas arrivé, nous explique le jeune homme.

 

En ce moment, c’est Alexis que nous avons en face de nous. Lui est calme et accueillant, contrairement à Lindley : «Celui-ci là est méchant. Il se met en colère pour un oui ou pour un non. Il n’aime pas qu’on le fatigue. Il devient agressif et dit des gros mots. Je commence à avoir très mal à la tête et des douleurs, alors je sais que Lindley va venir.»Lorsque ce changement de personnalité arrive, souligne Alexis, il n’a aucun pouvoir, aucun contrôle pour empêcher que cela n’arrive. Vous aurez beau lui dire à ce moment-là qu’il s’appelle Alexis, dans sa tête, il sera Lindley.

 

Au fil des années, Alexis a appris à vivre avec sa maladie. Avant de fréquenter l’association Friends in Hope, qui s’occupe des personnes atteintes de maladies mentales telles que la schizophrénie, les troubles bipolaires et obsessionnels, entre autres, il vivait dans son petit monde, enfermé sur lui-même et totalement dépendant de sa famille. Cependant, depuis qu’il fréquente l’association, le changement chez Alexis est notable. Encadrés par une équipe de professionnels, Alexis et une trentaine d’autres personnes atteintes de troubles psychiatriques sont pris en charge quotidiennement dans une structure adaptée à leurs besoins.

 

Séance de relaxation

 

Ce matin, comme il fait beau, ils ont installé les chaises dans la cour pour la thérapie de groupe. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine, bénéficiaires et encadrants compris, à s’être mis en rond pour faire cette séance de relaxation, la première activité de la journée. Au centre du cercle, Gavin, l’un des accompagnateurs du centre, donne les directives, les invitant à lever les mains, à faire des rotations avec leur tête, à respirer et expirer profondément, par exemple. Si quelques-uns ont du mal à s’intéresser à l’exercice, d’autres s’appliquent avec concentration.

 

Au fond de la cour, Veena, la seule femme du groupe, s’est mise à l’écart. La tête baissée, elle fixe ses pieds, comme perdue dans un monde que personne ne peut atteindre. Ici, ils sont tous pareils, ou presque. Ils souffrent tous de maladies psychiatriques. Certains sont atteints de bipolarité, d’autres de schizophrénie ou encore de névrose obsessionnelle. S’ils viennent chez Friends in Hope plusieurs fois par semaine, ce n’est pas uniquement pour occuper le temps, mais aussi pour apprendre à mieux gérer leur maladie et à trouver leur place dans la société, un processus qui ne se fait pas du jour au lendemain.

 

Pour Alexis, la route a été longue. Lorsqu’il est arrivé à l’association, se souvient-il, il s’est senti perdu au milieu d’un environnement et de gens qui lui étaient inconnus. Mais au fil des années, il a réussi petit à petit à s’ouvrir aux autres et au monde extérieur. Aujourd’hui, l’évolution d’Alexis ne fait plus aucun doute pour ceux qui l’accompagnent. «Alexis est l’un de nos stagiaires. Il se rend souvent dans notre librairie solidaire à Vacoas où il aide à la mise en place du magasin et aide à la vente des livres. Pour ce travail, il reçoit une allocation. Ça démontre qu’on lui fait confiance et c’est une source de motivation pour lui»,souligne Neetysha Sawoky, la directrice de Friends in Hope.

 

Chaque petit pas a son importance. Après la séance de relaxation, c’est l’heure de la pause thé. Chaque jour, ce sont les bénéficiaires qui s’en occupent. Aujourd’hui, trois d’entre eux s’attellent à la tâche. Préparer le thé pour tout le groupe est une responsabilité qu’ils prennent à cœur. Ce genre d’activités, aussi banales soient-elles, leur permet petit à petit d’apprendre à se débrouiller et à gagner un minimum d’autonomie. Après cette petite pause, tous les bénéficiaires se regroupent dans la salle d’Art & Craft. On peut y voir sur les meubles, accrochés aux murs, leurs créations : des cartes de vœux, des bougies, des mini figurines décoratives, des dessins, entre autres.

 

Stimuler leur mémoire

 

Cette fois, c’est Sandrine, l’ergothérapeute, qui prend les rênes pour une séance de thérapie en pleine conscience. Chacun reçoit un raisin et doit, selon les directives de la thérapeute, se laisser aller et faire appel à ses sens. «Prenez le raisin entre vos doigts. Sentez-le. Touchez-le. Il vous rappelle quoi ? Maintenant, croquez-en un morceau. Tout doucement. Ça a quel goût ?»demande-t-elle d’une voix calme et posée. Si cet exercice, qui a pour objectif d’éveiller leur sens, de faire travailler leur concentration et de stimuler leur mémoire, a du mal à accrocher certains, dont les pensées voguent ailleurs, Jean-Bernard Gentil est plus que jamais intéressé à prendre la parole. «C’est un raisin qui vient d’Italie»,lance-t-il, comme un enfant persuadé d’avoir la bonne réponse à la question du professeur.

 

Ses tremblements sont la première chose que l’on remarque chez lui. Ceux-ci sont causés par les nombreux médicaments qu’il prend, revers d’un traitement médical lourd qu’il suit depuis l’adolescence. C’est à cet âge que sa schizophrénie a fait son apparition. Cette maladie du cerveau altère la pensée, les sentiments et les émotions, mais aussi le comportement de la personne atteinte et sa perception des choses. «J’ai toujours vécu en France et je suis revenu à Maurice il y a
12 ans lorsque ma mère a pris sa retraite. J’ai été admis dans des hôpitaux psychiatriques, j’ai suivi de nombreux traitements»,
raconte-t-il. Grâce à son traitement psychiatrique, il tenait sa maladie sous contrôle jusqu’au jour où, confie-t-il, il a rencontré une jeune Mauricienne lors d’un voyage à Maurice : «Je suis tombé amoureux d’elle et elle a fini par me quitter. Je ne l’ai pas supporté et ça m’a plongé dans une grande dépression.»

 

Comme Alexis, Jean-Bernard dit avoir deux personnalités. On reconnaît le schizophrène de plusieurs manières. Il est souvent songeur, comme perdu dans ses pensées. Il connaît aussi des pulsions irrationnelles et peut être sujet à des hallucinations, ce qui l’exclut socialement et affecte ses facultés cognitives. Jean-Bernard, lui, dit ne pas souffrir de délires : «Je n’entends pas des voix.»L’homme a donc deux personnalités. L’une est joyeuse et vit une vie tout à fait normale. L’autre, quand elle apparaît, est coupée de la réalité, en état de psychose. Elle est déprimée, constamment triste, se met à pleurer pour un rien, tout en étant capable de monter dans un bus pour une destination inconnue, sans aucune raison apparente. «Ça me prend d’un coup et arrive lorsque je ne prends pas mon traitement médical pendant un moment. Je passe d’un état à un autre. C’est une personne complètement différente de moi qui prend la misère du monde au premier degré. Je n’ai aucun contrôle sur elle»,dit-il.

 

Depuis qu’il est à Maurice, Jean-Bernard suit assidûment son traitement à l’hôpital de Brown-Séquard, grâce auquel il arrive à contrôler ses changements de personnalité. Cependant, venir chez Friends in Hope plusieurs fois par semaine est une aide précieuse dont il ne saurait se passer. À chaque fois qu’il vient, il prend plaisir à participer aux thérapies et aux ateliers : «Ça occupe le temps et ça me permet de ne pas trop réfléchir. C’est lorsqu’on réfléchit trop qu’on pète les plombs. Ici, je me sens utile. Je suis un malade mental, mais je suis aussi une personne normale.»Alors, Jean-Bernard évite de réfléchir pour éloigner la maladie et mener une vie aussi normale que possible.

 


 

Un accompagnement thérapeutique sur mesure

 

 

Parce que c’est une maladie qui isole, qui coupe de la réalité. Parce que le traitement médical est lourd, qu’il affecte leurs capacités cognitives et les ralentit. C’est pour ces raisons et bien plus encore que les personnes atteintes de maladies mentales ont besoin de soutien, d’encadrement et d’accompagnement. Chez Friends in Hope, le programme thérapeutique est taillé sur mesure afin de garantir le meilleur des soins aux patients. L’équipe paramédicale est composée d’une ergothérapeute, d’un psychologue clinicien et d’encadrants chargés de la réhabilitation des bénéficiaires, entre autres.

 

Chaque jour, des exercices, ateliers et thérapies individuelles ou en groupe ont lieu pour les aider à travailler leur mémoire, leur cognition, leur concentration et leur sens de l’autonomie. Pour les empêcher de se plonger dans leurs pensées, les accompagnateurs multiplient les séances de travail et les ateliers pour garder leur esprit en éveil. Car la maladie mentale, explique Nicolas Soopramanien, psychologue clinicien, est un trouble complexe : «Ce n’est pas une chose simple que l’on peut fixer comme ça. Ce sont des troubles psychiatriques, des névroses obsessionnelles qui les enferment dans un monde que nous ne pouvons pas atteindre.»

 

 

Si la maladie affecte leurs capacités mentales, les médicaments les ralentissent et les plongent dans un état de léthargie. Il est donc important pour les thérapeutes de trouver des moyens de capter l’attention des bénéficiaires et ainsi les aider à évoluer et avancer. «Nous devons les aider à faire travailler leur mémoire, leur cognition. Pour cela, nous utilisons des jeux, des exercices physiques. Nous faisons aussi toutes sortes d’activités afin de développer leur créativité, leur concentration et leurs compétences»,explique Sandrine, l’ergothérapeute.

 

Les thérapies de groupe ont également une importance particulière chez Friends in Hope. Il y a aussi les ateliers de créativité, de dessins, de musique, de jardinage, entre autres. Pour les aider à gagner un peu plus en autonomie, on leur apprend aussi à réaliser les tâches du quotidien, comme la cuisine, par exemple, mais aussi à s’occuper de leur corps et de leur hygiène.

 

Nicolas Soopramanien, convaincu du travail en équipe, vise à récréer le lien entre ces personnes et le monde extérieur : «À cause de leur maladie, ils sont souvent plongés dans un monde imaginaire. Ils sont déconnectés, perdus dans leurs pensées. Comme ils sont repliés sur eux-mêmes, ils n’ont pas de contact avec les autres, ceux qui les entourent. Vous allez voir qu’ici, ils n’ont pas de conversation entre eux. Ces activités en groupe nous aident donc à recréer la relation.»Et lors des ateliers, les bénéficiaires ont démontré qu’ils savaient faire preuve de talent et de créativité. Leurs créations sont d’ailleurs mises en vente dans la librairie solidaire de l’association.

 

À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, qui a été observée récemment, une marche de solidarité pour les personnes atteintes de maladies mentales a eu lieu dans les rues de Rose-Hill. C’est ensemble, avec leurs accompagnateurs et leur famille, qu’ils ont marché pour leur respect et leur dignité.

 


 

Neetysha Sawoky, directrice de Friends in Hope  : «Nous avons besoin d’aide pour pouvoir continuer»

 

 

L’association existe depuis maintenant 19 ans. A-t-elle réussi, au fil des années, à remplir sa mission ?

 

Nous venons de célébrer nos 19 ans d’existence. L’association avait été créée par des parents d’enfants souffrant de maladies mentales. Ils voulaient leur offrir un meilleur encadrement et une autre qualité de vie qui répondrait mieux à leurs besoins. Depuis, nous accueillons des patients âgés de 15 à 60 ans et souffrant de différents types de maladies mentales, comme la schizophrénie, la maniaco-dépression, les troubles bipolaires et obsessionnels, entre autres. Nous accueillons en ce moment une trentaine de bénéficiaires, mais nous avons accueilli, au fil des années, plus de 250 personnes. Aujourd’hui, nous pouvons dire que ces personnes, si elles reçoivent l’encadrement adéquat, peuvent raisonner, être autonomes et mener une vie normale malgré leur maladie.

 

Quels sont les objectifs de l’association ?

 

Notre but est de soutenir et de prendre en charge les malades en leur offrant des soins et des services. Nous avons à leur disposition une importante équipe paramédicale, très qualifiée, qui met en place toutes sortes d’activités, un médecin pour le suivi médical, des officiers de réhabilitation et autres. Nous accueillons les personnes dont l’état est stable. Nous les évaluons et ce n’est qu’après qu’elles peuvent intégrer le centre de jour. Elles bénéficient de consultation médicale, de conseils individuels, de thérapies de groupe, participent à des ateliers de créativité, de jardinage, de cuisine, entre autres.

 

Nous voulons aider au maximum ces personnes à progresser afin qu’elles puissent devenir autonomes. Nous accueillons aussi les familles pour les guider et les accompagner car vivre avec la maladie mentale est non seulement difficile pour celui qui en souffre, mais aussi pour ceux qui l’entourent. Nous mettons ainsi les familles concernées en réseau, leur offrons conseils et informations. Nous avons aussi notre librairie solidaire à Vacoas, Au bonheur des livres. Chaque mois, certains bénéficiaires y vont pour aider un peu. Ils reçoivent ainsi une allocation. Ça leur permet de se sentir utiles et responsables.

 

Le regard des Mauriciens a-t-il changé face à la maladie mentale ?

 

Retrouver sa place dans la société pour une personne atteinte de cette maladie est difficile. On parle toujours de «pagla», de «toke»ou encore de «fou»lorsqu’on parle de quelqu’un qui souffre de maladie mentale. On les évite, on dit qu’ils viennent d’un autre monde. Ils sont souvent conscients du regard que les autres portent sur eux. Et lorsqu’ils viennent ici, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls. À travers ce qu’on propose et plusieurs mois de thérapie, ils arrivent petit à petit à intégrer la société.

 

Vous lancez aussi un appel à l’aide. Pourquoi ?

 

Avec les nouvelles mesures concernant le CSR, il est de plus en plus difficile pour nous de gérer l’association et le centre. En ce moment, nous sommes en train de survivre financièrement par manque de sponsors. Nous vivons pour le mois. On ne sait pas ce qui peut arriver. Nous n’avons pas beaucoup de sources de revenus et nous dépendons des dons individuels. Nous avons besoin d’aide pour pouvoir continuer. Sinon, nous allons fermer. C’est une éventualité.