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[ECLAIRAGE] Ma vie (pas toute rose) de chanteur d’hôtel

Malgré les difficultés  Ann Joa Deenmamode, Jeddy Baptiste et Stacy Laville vivent leur passion pour la musique au quotidien.

Ils vivent souvent dans l’ombre, loin des projecteurs de la grande scène. Chanteurs d’hôtels, de restaurants et de pubs, ils vivent à fond leur passion mais cela a un prix. Salaire parfois dérisoire, horaires de travail décalés, vie familiale et sociale perturbée… Les conditions sont souvent difficiles et compliquées à gérer. Cependant, l’amour de la musique l’emporte sur les difficultés.

Ils sont toujours dans les plus beaux hôtels. Apprêtés et toujours souriants, ils ont pour objectif de faire passer un bon moment à ceux qui viennent chercher sous notre soleil un peu de bonheur. Chaque soir, ils enchaînent les titres tantôt rythmés tantôt romantiques pendant que les touristes se créent, sur leurs voix, des souvenirs. Divertir, voilà l’essence même du métier de chanteur d’hôtel. Le côté pile est plutôt beau. Loin des quatre murs du bureau traditionnel, le cadre de travail se veut enchanteur. Les rencontres sont nombreuses et le plaisir d’exercer sa plus grande passion comme métier est un luxe qui ne se refuse pas. Le côté face, lui, est moins reluisant. 

 

Amy Lutchman, 23 ans, a toujours baigné dans cet univers. Son père Cheddy compte 25 ans d’expérience comme guitariste dans le circuit hôtelier. D’ailleurs, c’est avec lui qu’à 13 ans elle a appris à jouer de la guitare. Enfant, elle dansait, chantait, participait à des spectacles. Ce goût pour la musique a continué à grandir jusqu’à ce que, il y a deux ans, elle se lance sur les traces de son père. «Je chante dans les hôtels, les bals, les mariages et les autres événements. Aujourd’hui, je fais partie de plusieurs orchestres et je chante du mardi au dimanche.»

 

Ce travail, Amy l’aime plus que tout.  «J’avais commencé une formation de puéricultrice mais j’ai arrêté pour me concentrer sur la musique.» Toutefois, la possibilité de reprendre ses études n’est jamais loin. «Si ça se passe mal, j’aurai une roue de secours.» Car même si elle rêve de faire carrière dans la musique, elle sait qu’à Maurice, c’est difficile de percer et de vivre de son art. 

 

«Chanter gratuitement»

 

En deux ans, elle a vécu des expériences fantastiques et d’autres moins bonnes. Les difficultés, assure Amy, sont nombreuses. La première est la rémunération. Insuffisante. Incertaine. «Souvent, parce qu’on sait que c’est notre passion, on nous demande de chanter gratuitement. Il y a aussi des soirées où on nous paie uniquement Rs 700. C’est décourageant.»

 

S’ajoutent à ça, des salaires qui arrivent en fin de semaine ou au milieu du mois.«Le salaire n’est pas fixe. Lorsque vous travaillez avec plusieurs groupes, chacun vous paie selon sa date»,explique la jeune chanteuse. Mais pour elle, l’une des plus grosses difficultés lorsqu’on évolue dans ce milieu est le manque de «reconnaissance» et de «valorisation». «C’est difficile d’aller à un événement, de chanter pendant plusieurs heures et de ne même pas recevoir unebouteille d’eau. Il y a un manque de considération envers les chanteurs d’hôtels

 

C’est pour toutes ces raisons que Cheddy était réticent à l’idée que sa fille suive ses traces. En 25 ans de carrière – il a commencé comme guitariste en 1986 à La Croix du Sud, désormais connu comme le Preskil –, il en a vu des choses. Des départs, des ruptures de contrat, des gens qui se retrouvent sans travail du jour au lendemain. En 20 ans, le métier n’a cessé d’évoluer et les conditions de travail avec. «Avant, on traitait directement avec l’hôtel. On était considérés comme des employés. On avait un salaire fixe, des congés, le bonus. Puis, tout a changé. Désormais, on passe par un “contracteur”. Nous avons perdu nos privilèges et le salaire n’est plus pareil.»

 

Ça n’a pas été facile pour lui de prendre soin de sa famille et de grandir ses deux enfants durant toutes ces années. Lorsque les contrats se faisaient rares ou inexistants, il fallait trouver autre chose pour gagner sa vie. «Alors, je bosse comme maçon ou poseur de carrelage pour pouvoir m’en sortir.» Il n’y a pas non plus de sécurité d’emploi. «On vous appelle et on vous dit qu’on n’a plus besoin de vous. C’est pour ça qu’il vaut mieux avoir quelque chose à côté juste au cas où.» Au fil du temps, Cheddy a dû se réinventer. Parce que, de nos jours, les hôtels n’ont plus de budget pour embaucher tout un orchestre, ils recherchent souvent un séquenceur, un chanteur ou un trio. 

 

Aujourd’hui, on retrouve de nombreux jeunes dans ce métier. Comme Jeddy Baptiste, 26 ans, qui chante dans les hôtels depuis neuf ans. La musique, dit-il, il l’a dans le sang. Son papa est guitariste, son frère claviériste et lui, chanteur. Tout a commencé à Rodrigues, son île natale, au sein d’une chorale. Une fois à Maurice, il devient réceptionniste dans un hôtel mais l’envie de chanter est plus forte. Dès lors, il se lance. Si c’est un monde qu’il affectionne particulièrement, Jeddy en connaît aussi toutes les difficultés. Chanter tous les jours, faire le show, sortir son plus beau sourire et faire la conversation même quand on est triste et qu’on n’a pas forcément envie de le faire, il connaît. 

 

Pour pouvoir vivre, Jeddy enchaîne les représentations. C’est comme ça, dit-il, qu’on arrive à s’en sortir. Et lorsqu’une extinction de voix vient jouer les trouble-fêtes, c’est le drame. «C’est mon outil de travail. Sans voix, pas de sous.» Heureusement, elle ne dure jamais bien longtemps et Jeddy peut vite se remettre au travail. Cependant, il y a un sacrifice auquel personne ne peut échapper. «On a des horaires décalés, pas de vie sociale ni familiale. Les fêtes comme Noël et le Nouvel an, on n’est pas avec nos proches.» Mais il vit des choses intenses aussi. 

 

Un peu oubliés

 

Et lorsqu’on parle d’artistes, c’est toujours les noms des chanteurs populaires dont les disques passent en boucle sur les radios qui viennent à l’esprit. Les autres sont mis de côté, un peu oubliés. Ce qui est difficile à vivre pour les artistes qui perform dans les hôtels, pubs ou restaurants, souligne Ann Joa Deenmamode. «Il y a un manque de reconnaissance.» Elle s’estime tout de même chanceuse d’avoir fait, il y a quelques mois, sa première grande scène lors d’un concert. 

 

Pour Anne Joa, 23 ans, tout a commencé après le collège. Comme elle chantait bien, elle a décidé de se lancer pour pouvoir payer ses études tertiaires elle-même. Depuis, elle n’a jamais arrêté. Elle chante six jours sur sept. «Je fais partie d’un super groupe, Sunbeat Band. On est une famille. On chante principalement dans les hôtels. J’ai aussi des petits contrats ailleurs, notamment dans les pubs et dans les boîtes.» Côté salaire, elle n’a pas trop à se plaindre. «Je peux me faire entre Rs 1 000 et Rs 1 500 par soirée. Je sais que j’ai de la chance et que ce n’est pas pareil pour tout le monde.» Par contre, durant la basse saison, tout devient plus compliqué. 

 

Voilà pourquoi Stacy Laville, 19 ans, préfère avoir une sortie de secours. Aujourd’hui, elle vit sa plus grande passion : la chanson. «C’est mon travail depuis un an.» Pour le moment, elle profite au maximum de sa vie d’artiste et chante dans les restaurants, mariages, enterrements et autres événements mais elle sait que tout peut s’arrêter. Elle préfère donc être prête quand ça arrivera. «Je suis étudiante en Beauty Care Therapy.Je sais que je ne pourrai pas toujours vivre de la musique. J’espère pouvoir faire les deux en même temps.» 

 

Stacy Laville a déjà pensé à tout. Quand le besoin se fera  sentir, elle lancera sa propre affaire. Elle pourra ainsi gérer son propre agenda et être plus libre. Elle exercera dans l’esthétique le jour et chantera le soir. En attendant, le rêve continue.