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Artistes de rue : Ma musique, mon gagne-pain

Vivre en chantant dans la rue, c’est la réalité de quelques Mauriciens qui, depuis quelques années, se sont installés dans la capitale munis de leur instrument de musique. Loin des projecteurs et de la scène, ces artistes de rue se débattent pour pouvoir mener une vie décente.

Un moment hors du temps. Un peu magique. Comme une impression de temps suspendu. Dans le bourdonnement de la capitale, quelques notes de musique cristallisent un moment de ce temps qui court et qui va trop vite. Au milieu de cette valse effrénée de passants trop pressés et de cette circulation infernale, ces mélodies et ces voix qui flottent et qui résonnent dans l’air donnent une ambiance particulière à Port-Louis.

 

Les auteurs de cette poésie musicale, on les appelle les artistes de rue. Si c’est un phénomène largement répandu à l’étranger, à Maurice, cela fait quelques années seulement que ces musiciens et ces chanteurs itinérants animent la capitale de leur musique. Ils jouent des heures durant pour quelques sourires et quelques roupies. Ils se heurtent souvent à l’indifférence des passants mais lorsqu’ils arrivent à leur arracher quelques minutes d’attention et qu’en plus ces derniers se montrent généreux, le jeu en vaut bien la chandelle.

 

À 55 ans, Gérard Milate ne sort jamais sans ses lunettes de soleil et sa guitare qu’il appelle son «amour». Difficile de ne pas le remarquer à la rue La Chaussée, devant le KFC où il joue depuis maintenant un an. Assis sur une marche des perrons, l’étui de son instrument ouvert devant lui, il commence à jouer la musique qu’il aime tant. Devant lui, beaucoup de gens passent sans faire attention, d’autres plus attentifs lui jettent un regard avant de laisser quelques roupies dans son étui. C’est comme ça que Gérard a décidé de gagner sa vie pour ne pas «aller voler»,pour pouvoir avoir quelque chose à se mettre sous la dent.

 

Gérard Milate a été artiste de rue en Europe.

 

Sa vie, dit-il, n’a pas toujours été facile. «J’ai longtemps vécu en Europe, notamment en Italie et en Angleterre. Là-bas aussi, parce que nous étions pauvres, je chantais dans la rue. À la base, je suis électricien et aussi un peu technicien mais ce n’était pas suffisant pour vivre décemment.»Lorsqu’il est rentré à Maurice, il a essayé de «trase»avant de revenir vers ce qu’il savait faire le mieux : chanter dans la rue. «Ici, je me sens libre. C’est trop difficile de percer dans l’univers musical à Maurice. Les artistes sont trop exploités alors que dans la rue, il n’y a pas de guerre. Je me sens gai.»Chaque jour, il arrive à se faire entre Rs 400 et Rs 500, ce qui lui permet de vivre au jour le jour et d’avoir de quoi manger. Malgré les difficultés, Gérard Milate ne baisse pas les bras et reste heureux de faire ce qu’il fait.

 

Faiseur de mélodies

 

Un peu plus loin, à proximité de la gare Victoria, le son du djembé et du tambourin d’un homme attire l’attention. Wayoudh Fitta, 62 ans, ne se qualifie pas vraiment comme un artiste mais plutôt comme un simple amoureux de la musique. «Tout sort directement de ma tête», dit-il. Faiseur de mélodies, cela fait deux ans que ce retraité débarque tous les jours dans la capitale pour y mettre du rythme et des couleurs. Autodidacte, Wayoudh a toujours été un passionné de musique. «J’ai appris par moi-même et ce, dès l’enfance. La musique m’a toujours attiré. J’ai commencé par gratter une guitare et puis jouer d’un harmonica. Ça me faisait plaisir.»

 

À la retraite, Wayoudh Fitta a donné un nouveau sens à sa vie à travers la musique.

 

Comme faire carrière dans l’univers musical et devenir un professionnel ne lui a jamais traversé l’esprit, il a travaillé pendant 32 ans à l’usine de margarine avant de bosser quelques années comme agent de sécurité. «Le soir, je jouais et petit à petit, une idée a commencé à germer dans mon esprit. Je voulais enfin vivre pour moi. Me faire plaisir.»Et c’est justement poussé par ce désir de vivre autre chose que Wayoudh s’est installé, il y a deux ans dans Port-Louis, muni de son djembé, son harmonica, sa flûte de pan et son tambourin. Vrai orchestre à lui tout seul, il joue des heures durant, amenant un peu de gaieté et de chaleur dans la journée de ceux qui l’écoutent. «Il y a des gens qui sont contents. Ils lèvent un petit pouce en ma direction pour me dire que c’est bien.»

 

Dans sa petite casquette qu’il a posée à ses pieds, les spectateurs et les passants n’hésitent pas à laisser quelques sous, ce qui ne manque pas de faire plaisir à ce père de deux filles. «Je peux gagner Rs 500 par jour, des fois Rs 700 et dans les bons jours, Rs 1 000 mais c’est rare. Aujourd’hui, je ne fais pas ça pour gagner ma vie. L’argent que je gagne est un petit ajout sur ma pension de retraite. Comme j’ai une fille qui va bientôt se marier, ça m’aide», confie-t-il. Hormis l’argent, ce qui plaît le plus à Wayoudh Fitta, c’est le fait de rendre la capitale plus vivante et de s’ouvrir aux autres. «Avant, j’étais timide. Aujourd’hui, le fait de chanter devant des inconnus tous les jours, ça m’a libéré.»

 

Se sentir libre, c’est aussi la sensation que ressent Nicole Milate à chaque fois qu’il chante dans la rue. Outre le plaisir de faire la seule chose qu’il sait faire dans la vie, c’est surtout un moyen pour lui de gagner sa vie dignement et honnêtement. Au cliché des pauvres qui vivent au crochet de la société et qui sont des assistés, cet homme de 49 ans dit non. Si son frère Gérard chante à La Chaussée, lui c’est devant Rogers House qu’il s’est installé avec sa guitare il y a deux ans. «J’ai vécu pendant des années en Italie. Je nettoyais dans lakaz madamou dans les bars pour gagner ma vie mais nous étions pauvres. Souvent, nous n’avions rien à nous mettre sous la dent. Alors pour nous en sortir, mon frère et moi avons commencé à jouer dans les rues. Nous avons fait ça toute notre vie», confie ce père de quatre enfants et grand-père de deux petits-enfants.

 

En attendant de prendre son service à l’hôtel, Nicole Milate joue dans les rues de Port-Louis. 

 

Face aux difficultés qu’il a rencontrées dans la vie et parce que vivre de ça étant trop dur, Nicole a pendant plusieurs années abandonné la musique. Pour subvenir aux besoins de sa famille une fois de retour à Maurice, il s’est tourné vers la maçonnerie mais financièrement, dit-il, c’était pénible pour lui de s’en sortir. Il y a deux ans, il a alors voulu retenter le coup et a repris sa guitare pour jouer dans les rues de Port-Louis. «À la base, je suis percussionniste et je joue de plusieurs instruments de musique. Niveau chant, c’est principalement des grands classiques italiens. Aujourd’hui, j’ai 6 000 morceaux dans mon répertoire.»Face à sa voix rauque, les Mauriciens ne restent pas insensibles. S’il se heurte au dédain et au mépris des artistes qui, dit-il, n’ont aucune considération pour ceux qui jouent dans la rue, Nicole est heureux de constater que les passants sont plutôt réceptifs à son art. «Ils sont curieux et généreux. Contrairement aux artistes qui ne se montrent pas solidaires et qui entretiennent la compétition, les Mauriciens donnent facilement», souligne le musicien.

 

Comme si la chance le sourirait, Nicole a décroché un emploi dans un hôtel où il joue de la musique dans la soirée. Avec ces deux emplois, il essaie de s’en sortir comme il peut pour nourrir sa famille. Aujourd’hui, être artiste de rue donne un nouveau sens à sa vie. «Je donne de la joie aux autres, même quand je ne suis pas heureux. Je leur apporte de la joie.» C’est là, dit-il, la plus belle définition de son métier.