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Vie de squatters : Sur les bords de La Ferme

Clara Lindor souhaite être relocalisés dans la même région.

Plusieurs «cités» existent autour du réservoir qui menace de céder selon le ministre Showkutally Soodhun. Mais pas toutes les familles qui y vivent sont logées à la même enseigne…

Une goutte d’eau froide dans le dos. Un tressaillement. Mais pas de réelle panique avant d’en savoir plus. C’est la réaction qu’ont provoqué cette semaine chez Sarah Euphrasie, qui habite Cité La Ferme, les paroles du ministre des Terres et du Logement. Showkutally Soodhun a annoncé que le réservoir de La Ferme menace de céder. Et on ne peut qu’imaginer les dégâts que peut provoquer le déversement de toute cette eau ! 

 

Les squatters résidant aux alentours devraient être évacués et relogés, a-t-il assuré : «Je vais trouver une solution pour eux.» Un comité technique a été mis en place pour travailler sur ce point, a déclaré le ministre Ivan Collendavelloo : «Nous ne pouvons pas abandonner les gens qui sont en danger.» Mais lui parle uniquement de délocalisation. Assise dans la maisonnette de sa mère, faite de tôles et d’autres choses assemblées pour un semblant de sécurité, Sarah, elle, préfère ne penser qu’au meilleur : depuis quelque temps, les autorités ont entamé les démarches pour donner une maison aux familles qui habitent ce petit coin de Bambous. 

 

Sur ses genoux, sa petite dernière. À côté d’elle, son fils aîné. Ses deux enfants dont elle seule à la charge depuis que son mari est parti. Nous sommes au camp des squatters «Auborn» - à comprendre : au bord du réservoir. Et les familles qui sont là depuis plusieurs années sont toutes concernées par ce plan de relogement. Idem pour ceux qui se trouvent à la cité Lavann (là où se trouvent les vannes du réservoir). Ce qui n’est pas le cas de ceux qui habitent à quelques minutes de route de là, au Camp-Rodriguais, et dont les maisons devaient être détruites ce mardi 15 août (néanmoins, cet «ordre» a été annulé : voir hors-texte). Ces «camps» se trouvent, tous, sur les berges du réservoir. La maison de Sarah est à quelques pas de La Ferme. Et c’est elle qui offre une visite guidée de cet endroit où elle vit depuis 17 ans. 

 

Ici, les jardins sont bien entretenus, les maisons désuètes et charmantes avec leurs volets de métal peints tukuler. De la rouille au turquoise, c’est une belle palette de couleurs. Pendant cette balade, celle qui travaillait comme employée de maison – elle a dû démissionner car elle fait une réaction allergique aux produits chimiques – se raconte : les difficultés de retrouver du boulot, de survivre avec une pension. L’espoir de vivre ailleurs : «Dans une maison en dur». La tristesse de voir que sa petite dernière est toujours malade : «Ena enn move divan ar rezervwar la.» Et c’est bien vrai, en cette fin d’après-midi, un vent glacial souffle sur ce petit coin de Bambous. Qui fait s’envoler les feuilles et la poussière. Et qui s’accroche à l’épiderme. Mais la vue sur le réservoir fait – presque – oublier le froid. Un lac à perte de vue où un parfait arc-en-ciel a décidé d’apposer ses couleurs : à couper le souffle. 

 

Si le ministre Soodhun estime que la structure de ce réservoir d’eau est en mauvais état, il est difficile de le déceler à l’œil nu. Pour l’instant, les autorités n’en ont pas dit plus (sauf, peut-être, que des travaux de réhabilitation sont prévus). Sarah n’a rien remarqué d’anormal, ces derniers temps. 

 

«Enn ti progre»

 

C’est vrai, explique-t-elle, que quand il y a beaucoup de vent, l’eau «fouette». Mais il n’y a jamais eu d’inondation. Chez Noël Hervé, ancien maçon à la retraite, il y a bien de l’eau qui entre dans le jardin quand il pleut beaucoup et que le réservoir déborde, mais ce n’est jamais plus grave que ça. 

 

Avec le réservoir à côté, la vie s’est écoulée tout doucement ces 16 dernières années. Les premiers temps étaient difficiles : «Nu ti abit Vacoas me pa ti pe ressi pey lakaz.» Il n’y avait ni électricité ni eau ici (c’est le cas depuis). Il a fallu se construire un bout de maison avec des poteaux et des tôles, tras trase pour en faire un endroit convenable pour la famille. 

 

Malgré tout, les années qui ont passé n’ont pas permis de faire enn ti progre : «Le bois est pourri. Ça coule de partout quand il pleut.» Elever les enfants, survivre à chaque jour qui passe avec des revenus incertains ne sont pas le terreau idéal pour avancer (quoique, rien est impossible). Ne pas s’acquitter d’un loyer est vite devenu un mode de vie. Une possibilité – peut-être ? – d’investir dans d’autres choses plus essentielles. Mais si le gouvernement propose une maison, c’est un coup de pouce du destin à prendre : «J’espère juste qu’elle se trouve dans la région.»

 

Clara Lindor le souhaite aussi. Ça fait plus de 20 ans qu’elle habite à Lavann dans une case en tôle. Elle se rappelle du cyclone Dina : «Nu lakaz ti kraze. Nu ti bizin al ress dan sant». Mais aussi de bons souvenirs dans cette maison où elle a vu grandir ses enfants : «Nous n’avons pas eu de problème ici.» Ce nouveau départ, elle l’accueille bien :«Nous avons eu une lettre officielle il y a un mois pour nous expliquer que nous allions bouger.» D’ailleurs, c’est le souhait ultime de tout squatter, n’est-ce-pas ? Voir sa situation se régulariser même s’il faut attendre de longues années. Alors que son tempo souffle, elle nous explique qu’elle et son époux ont rempli les papiers pour obtenir une maison ou un lopin de terre, elle ne sait pas exactement :«Inn demann nou rempli.» Derrière sa maison, l’eau du réservoir s’écoule dans plusieurs bassins :«Le seul problème ici, c’est quand il y a beaucoup de vent, on pourrait croire qu’il pleut alors que ce n’est pas le cas.» Ce sont des embruns, tout simplement…

 

Quand le ministre a dit qu’il projetait de relocaliser les squatters habitant aux alentours de La Ferme, elle n’a pas été surprise. Elle savait déjà que le changement allait venir. Ses histoires de réservoir qui cède ne l’ont pas alarmée non plus :«Zame nanryen inn arive isi.» Mais elle rêve déjà d’une lakaz beton. Parce qu’au bord d’un réservoir, il fait bien froid… 

 

Showkutally Soodhun en représentation 

 

Ça ne date pas d’aujourd’hui. Eh oui ! L’occupation illégale des terres de l’État n’est pas un «problème» nouveau. Mais cette situation complexe est revenue sur le devant de la scène avec la démolition de maisons à Coteau-Raffin, il y a une semaine, et les propos du ministre des Terres concernant les risques d’affaissement du réservoir de La Ferme, entre autres. Showkutally Soodhun a décidé de se refaire une image en promettant des solutions à tour de bras… 

 

- «J’avais dit que j’allais éliminer le problème des squatters.»C’est Showkutally Soodhun qui le dit, cette semaine. Et le ministre des Terres et du Logement estime avoir, presque, atteint son objectif : «Il n’y a que 346 familles à travers le pays qui sont en situation irrégulière (…) Nous avons plus de cent familles qui deviennent propriétaires de terrains pour Rs 2 000 seulement. Ces personnes pourront désormais contracter des emprunts pour construire leurs maisons.»

 

- A Baie-du-Tombeau, affirme le ministre, 150 familles seront relogées par la NHDC d’ici novembre 2019. 

 


 

Camp-Rodriguais : en sursis

 

Le 4x4 n’a pas la tâche facile sur la route défoncée. Mais il faut s’enfoncer dans les terres pendant plusieurs minutes pour enfin tomber sur Camp-Rodriguais. En ce début de soirée, les familles sont à l’extérieur. Pour passer le temps, on joue à des jeux de société à même le sol. Les maisonnettes en tôle sont nombreuses, presque collées les unes contre les autres. On n’aperçoit pas encore la berge de La Ferme. À l’entrée de ce Camp, apprend-on, les familles devraient participer au plan de relogement. 

 

Alors pour tomber sur celles qui n’auront pas cette chance, celles dont les autorités avaient prévu d’écraser les habitations le mardi 15 août, il faut rouler encore un peu (beaucoup). Et pour trouver les nouveaux arrivés (ils sont là depuis moins d’un an), il ne faut pas avoir peur de tomber ou de s’égratigner. Il est nécessaire de descendre sur un sentier pour se rapprocher du réservoir. Là, Manuella Fimon se prépare à y faire la vaisselle. Ça fait quelques mois qu’elle a élu domicile dans ce coin perdu et désolé, où il n’y a ni électricité et eau. Mais beaucoup de courants d’air : «L’eau du réservoir n’a jamais envahi nos maisons, on n’a jamais eu de problème.»

 

Anaïs Agathe et Carine Labonne espèrent que tous les habitants du Camp seront relogés ailleurs.

 

Elle vit là avec deux de ses enfants, y a pleuré la mort de son compagnon, décédé il y a deux mois, et essaie de joindre les deux bouts en trouvant du travail ici et là : «Nous ne faisons du mal à personne. Nous voulons juste un coin pour nos enfants. Je ne comprends pas pourquoi on doit écraser nos maisons.» Elle a fait partie de la délégation qui s’est rendue à Port-Louis cette semaine pour protester contre la décision des autorités. Et alors que le soleil décline, elle va recevoir une bonne nouvelle. Et c’est Carinne Labonne, une voisine, qui la lui annonce : «Pa pou detrir lakaz.» C’est tout ce qu’elle attendait, Manuella : «Qu’on nous donne une solution avant de kraz nu lakaz. » Une autre maison, un bout de terrain. Qu’importe, dit-elle. 

 

Néanmoins pour Carinne ou pour son amie, Anaïs Agathe, si un départ est prévu, il sera difficile : «Nou tou nou viv ar labouzi me nou viv dan lakorite.» Elles ne sont pas sûres de retrouver ce vivre ensemble ailleurs. Mais elles ne veulent pas, non plus, se retrouver sans maison du jour au lendemain. Matthieu Laurent, non plus. Le jeune homme vit dans les «hauteurs» mais sa maison risque, également, d’être rasée : «Nous devrions tous avoir la possibilité d’avoir une maison ou un coin. Pa normal, sertenn ganye, lezot pa ganye.»