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Une Gay Pride sans marche : Entre émotion, peur, colère et revendications

D’un côté, il y avait les membres de la communauté gay. De l’autre, les membres d’un groupe d’opposants qui condamnent l’homosexualité. C’est dans une ambiance sous tension, entre menaces et intimidations, que la 13e Marche des Fiertés a été annulée hier, samedi 2 juin. Retour sur un événement qui a mobilisé l’attention…

Des larmes ont coulé. Des larmes de tristesse. De déception. Il est presque 14 heures (hier, samedi 2 juin, au Caudan) quand Muriel Yvon, du Collectif Arc-en-Ciel, annonce la nouvelle : «Pour des raisons de sécurité, la Marche des Fiertés 2018 n’aura pas lieu.» Dans sa voix : de l’émotion d’abord, puis des sanglots. 

 

Sur les visages tout autour : de la stupéfaction. Un silence s’installe. Les expressions se figent. Car si les rumeurs d’annulation pesaient ces dernières heures sur la tenue de cette marche dans les rues de Port-Louis (sur fond de menaces de mort et autres intimidations s’élevant contre cet événement), ils croyaient tous en cette 13e édition de la Gay Pride. Ce rendez-vous devenu annuel, cette année Pride Inter-Iles de l’océan Indien, et durant lequel les membres de la communauté homosexuelle marchent pour «revendiquer leur droit d’exister, leur droit d’aimer et leurs droits de citoyens au même titre que tous les Mauriciens». Un rassemblement, cette année, sous haute tension car, ces derniers jours, les commentaires et critiques à l’égard de la communauté gay se sont enchaînés sur les réseaux sociaux et autres plateformes.

 

Au même moment, un groupe d’opposants à la marche s’était rassemblé à la place d’Armes en présence d’une forte mobilisation policière. Ils s’élèvent contre la tenue de la Marche des Fiertés qu’ils jugent «immorale». Distribuant des tracts avec, comme titre, Sodome et Gomorrhe… Pompéï : les nations qui ont été détruites à cause de leurs pratiques homosexuelles, et signés par les «members of Hizb-ut-Tahrir in Mauritius», ils brandissent des pancartes : LGBT condanné par tous religion, LGBT attire malediction Bondieu, Homo nou pas lé – Bizin met propre ou encore Marriage – 1 man + 1 woman.

 

D’un point de vue à l’autre, chacun a son opinion sur le sujet. «C’est contre nature», lance un membre de la foule. «Il y a eu un déferlement de haine mais heureusement qu’il y a aussi eu beaucoup de soutiens de personnes qui ont condamné ces agissements. On peut comprendre que certaines personnes ne comprennent pas mais on peut ne pas aimer sans faire montre d’autant de haine», lâche, pour sa part, Cédric, un passant.

 

Quelques mètres plus loin, sur le Waterfront, c’est en larmes que Pauline Verner, consultante au Collectif Arc-en-Ciel, entourée de gardes du corps – parce qu’elle a reçu 126 menaces en une nuit à cause de son engagement pour la cause homosexuelle – prend la parole : «On n’est pas en train de reculer. On est juste en train de penser à la sécurité de tout le monde parce que, clairement, ils (ceux à la place d’Armes) ne sont pas venus pour manifester mais pour autre chose; créer une terreur, faire du mal, et c’est inadmissible. Il faut que les droits humains triomphent. On n’a pas le droit de reculer. On n’a absolument pas le droit de reculer. C’est inadmissible ce qui se passe. On est en démocratie, on devrait avoir le droit, on devrait pouvoir. On a eu l’autorisation de faire notre marche mais on ne peut pas l’exercer. Que tout le monde se mobilise !»

 

Rassemblés sur l’esplanade, c’est assis par terre que ceux présents se sont regroupés, d’abord en silence, puis en applaudissant pour témoigner de leur solidarité par rapport à cette décision qui a «bouleversé» plus d’un. C’est sous des applaudissements nourris et soutenus que certains ont échangé des accolades de réconfort, alors que les pancartes préparées pour la marche laissaient entrevoir les messages Love wins, Love is all, Mon ne koumsa ou encore Amour, unite respect, alors que résonnait le Chant l’amour de Kaya. D’un message à l’autre, Michèle Etienne, qui depuis 13 ans chemine aux côtés du collectif, partage aussi son ressenti : «Depuis le début, nou marse, nou lite, nou koze, nou azir. Zordi, li enn rekul me mo dir osi ki li enn viktwar. La victoire de l’amour sur la haine. Nou pe koz drwa imin. Nou les seki anvi deblatere, deblatere.»

 

Si les cœurs étaient lourds, ils ont été nombreux à s’efforcer de sourire, à s’afficher et à crier leur «droit d’aimer et d’exister». Cela, même si des larmes ont coulé.

 


 

Pourquoi je suis venu au Caudan 

 

Gay ou pas, ils voulaient être au Caudan parce qu’ils estiment, disent-ils, que tout le monde doit avoir les mêmes droits. Rencontre avec quelques personnes qui étaient présentes au rassemblement du Collectif Arc-en-Ciel, même si certains avaient la peur au ventre à cause des menaces qui planaient sur l’événement.

 

Yuri Ragoo : «C’est une plateforme pour faire progresser Maurice, malgré tout ce qui s’est passé, et surtout pour que prime la tolérance.»

 

Ludovic Lebon : «Je suis là parce que je crois que tout le monde a droit aux mêmes droits.»

 

Marion Azor : «Je crois en la cause et bien que les intimidations faisaient peur, il me fallait être là pour apporter ma pierre à ce combat : on est tous des humains. On est tous égaux, peu importe notre orientation sexuelle.»

 

Alexandre Bégué : «Je soutiens la cause parce que je suis contre l’homophobie. J’ai eu une certaine frayeur en entendant tout ce qui se passait mais je me devais d’être présent malgré tout. On ne gagne pas une lutte par la peur.»

 

Line Forget : «J’ai beaucoup d’espoir en voyant la mobilisation au Caudan malgré ce qui s’est passé. Cela fait chaud au cœur de voir l’effort qui est déployé  pour faire passer des messages d’amour.»

 

Elsa Auguste : «Je suis venue parce que je soutiens la cause. Pour moi, love is love.»

 

Ryan Ramma : «Participer à cet événement, c’est surtout montrer que les gays existent.»

 

Hans Jogoo : «Je participe chaque année à la marche depuis cinq ans parce que je crois dans les mêmes droits pour tous.»

 

Jordan Ramsamy : «Les droits, c’est pour tout le monde. Je suis là parce que je crois dans cette lutte.»

 


 

Des présences étrangères pour «partager de l’amour»

 

«On voulait vraiment voir réussir cette marche qui accueillait des personnes venant de plusieurs pays et qui partagent tous le même combat», confie Ryan Ah Seek, le président du Collectif Arc-en-Ciel. Il a fondu en larmes lorsque la nouvelle de l’annulation de la marche est tombée. «On reste fort malgré tout», ajoute-t-il. L’événement de cette année portait le saut de la Pride Inter-Iles de l’océan Indien et a accueilli des militants d’horizons divers. Parmi eux : Liliane Laventure-Burnett, déléguée du gouvernement canadien et fille de Félix Laventure, ancien lord-maire de Port-Louis. Elle est accompagnée de son fils, Richard Burnett, militant homosexuel (photo). «Je trouve que c’est triste que les gens ne soient pas bienveillants et jugent. Chacun a sa place au soleil. J’espère que l’intolérance va vite disparaître», confie Liliane Laventure-Burnett. Son fils se dit heureux d’avoir pu faire le déplacement malgré les tristes circonstances qui entourent la marche : «Les parades de la fierté font partie du processus de coming out pour affirmer qui on est lorsqu’on est gay. C’est une façon de lutter pour des droits et de dire qu’on existe.»

 

Jean-Luc Roméro, conseiller régional socialiste d’Île-de-France et adjoint à la mairie du XIIe arrondissement de Paris, a aussi tenu à être présent à Maurice pour la pride : «Je suis là pour une raison personnelle. J’ai perdu mon mari il y a quelques jours et il avait organisé ce voyage. Nous étions militants tous les deux et par rapport à ce qu’il avait fait, je trouve que c’était important d’honorer cet engagement. Je suis un vieux militant LGBT, pour légalité et pour la dépénalisation de l’homosexualité. J’aime beaucoup Maurice. Ce pays est accueillant et je trouve que c’est terrible qu’il y ait certaines personnes qui ont des esprits étriqués et qui ne peuvent pas comprendre qu’on est tous des êtres différents et qu’on doit vivre ensemble. Ce qui ne se voit pas n’existe pas. C’est donc important d’être visible.»

 

Kevin Breteche de l’association Orizon de l’île de La Réunion fait aussi partie de la délégation venue des îles voisines : «Ce devait être la première marche de l’océan Indien et au vu de ce qui est arrivé, il y a énormément d’émotions. Je ne comprends pas qu’il ait cette intolérance. On prône l’amour et ce qui est arrivé est dommage. C’est un combat en permanence.»