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Triste fin pour Ruwaidah, mariée et enceinte à 13 ans

Arbaaz, 19 ans, et Ruwaidah, 13 ans, se sont mariés religieusement le 28 janvier 2018. (Les photos ont été publiées avec l’accord des familles)

À peine entrée dans l’adolescence, elle portait sur ses épaules nombre de responsabilités d’adulte. Mariée et enceinte de trois mois, Ruwaidah Ramjaun a perdu la vie, il y a quelques jours, emportée par des problèmes de santé. Mais c’est surtout son vécu à un si jeune âge qui laisse sans voix la population. La famille et la belle-famille de adolescente expliquent et racontent…

Elle était jeune, très jeune. Bibi Ruwaidah Ramjaun n’avait que 13 ans et menait une vie peu ordinaire pour une fille de son âge. Une vie dont on n’aurait sans doute jamais entendu parler si elle n’était morte soudainement. Une mort naturelle certes, mais qui a mis en lumière l’existence qu’elle menait jusque-là et attiré l’attention des autorités et de la population : elle était mariée à Arbaaz Ally Farhaan Nobeebux, 19 ans, depuis le 28 janvier, et était enceinte de trois mois.

 

L’adolescente a rendu l’âme au domicile de ses beaux-parents, à Goodlands, le mercredi 20 juin, et ses parents adoptifs, soupçonnant un acte malveillant – ils avaient eu vent que la petite était régulièrement malmenée par son mari –, ont fait interrompre les funérailles afin que le corps puisse être autopsié. L’exercice a conclu que l’adolescente, épileptique et asthmatique, a succombé à une énième crise due à ses deux maladies.

 

La nouvelle du décès de Ruwaidah Ramjaun s’est répandue comme une traînée de poudre à travers l’île en l’espace de quelques heures. Et si sa mort précoce a chagriné de nombreuses personnes, c’est principalement l’existence qu’elle menait à un si jeune âge qui a suscité de vives réactions au sein de la population. En effet, la vie que ses proches avaient pourtant acceptée pour elle est loin de faire l’unanimité. Si certains qualifient ce mariage infantile d’inacceptable, jugeant une fille de 13 ans trop jeune pour se marier et avoir des enfants, d’autres ne comprennent pas cette levée de boucliers car, pour eux, c’est la loi de leur Créateur qui a préséance. Celle-ci autorise une jeune fille à contracter le nikah (mariage religieux) dès qu’elle atteint la puberté (soit dès qu’elle a eu ses menstruations), comme cela a été le cas pour Ruwaidah.

 

Rencontre sur Facebook

 

Et dire qu’il y a tout juste un an, la vie que menait Ruwaidah n’était pas bien différente de celle des autres adolescentes de son âge. Elle fréquentait le collège Madad Ul Islam, à Port-Louis, et ne savait pas encore ce que lui réservait la vie. D’ailleurs, elle ne pensait pas vraiment à l’avenir. «Elle n’avait pas de projets. Elle ne savait pas encore dans quelle voie elle voulait se lancer plus tard», racontent Noor et Salima Ramjaun, son oncle et sa tante qui sont aussi ses parents adoptifs – la petite leur avait été confiée alors qu’elle avait seulement quelques mois. Eux avaient déjà une idée de ce qui serait le mieux pour elle : «Nous souhaitions qu’elle poursuive ses études au moins jusqu’au School Certificate et qu’elle trouve du travail dans un magasin.»

 

Souffrant de crises d’épilepsie et d’asthme depuis sa plus tendre enfance, Ruwaidah faisait de son mieux pour mener une existence aussi normale et heureuse que possible malgré ses nombreux rendez-vous chez le médecin. Et comme tous les adolescents, elle passait le plus clair de son temps libre sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs sur Facebook qu’elle a fait la connaissance d’Arbaaz Nobeebux, un habitant de Goodlands de six ans son aîné, l’année dernière. Une rencontre qui a chamboulé sa vie. 

 

Face à des sentiments qu’elle n’avait, jusque-là, jamais ressentis, Ruwaidah était aveuglée, éblouie. C’est ainsi que quelques mois seulement après avoir connu Arbaaz, elle s’est rendue à Goodlands pour le voir et rencontrer sa famille et ce, sans même en informer ses proches. «Cela s’était passé à la mi-janvier, cette année. Elle n’est pas rentrée à la maison après ses heures de classe. Nous nous sommes faits du souci. Lorsque nous l’avons appelée, elle n’a pas décroché. Nous avions même dû rapporter sa disparition à la police», raconte Noor Ramjaun.

 

Au domicile de Rousdin et Noreza Nobeebux, les parents du jeune homme, la surprise est aussi de taille. Ils affirment avoir insisté pour que Ruwaidah rentre chez elle ce jour-là mais que cette dernière n’avait pas voulu entendre raison et menaçait de se suicider si on cherchait à la séparer d’Arbaaz. Finalement, c’est en apprenant que son père adoptif n’allait pas bien qu’elle est rentrée chez elle au bout de deux jours, bien décidée à convaincre ses parents de la laisser épouser celui qui était désormais devenu le centre de son monde, avec l’appui des parents du jeune homme.

 

«Nous avons été contraints»

 

La Constitution mauricienne stipule clairement que le mariage est interdit aux moins de 16 ans même si les parents sont d’accord. Elle n’autorise pas non plus les relations sexuelles avec un(e) adolescent(e) de 16 ans. Mais pour Arbaaz et Ruwaidah, ce n’était pas un obstacle car la loi islamique autorise le mariage dès qu’une fille est pubère. Rousdin Nobeebux, le père d’Arbaaz, le clame d’ailleurs haut et fort : «Je n’obéis qu’à une seule loi, celle de mon Créateur. C’est mon Créateur qui fait la loi, pas la police !» Pour lui, «tous deux avaient le droit d’avoir des relations sexuelles du moment qu’ils étaient unis par le nikah et ce, peu importe leur âge.»

 

De leur côté, Noor et Salima Ramjaun expliquent avoir tenté de s’opposer à ce mariage, en vain. «Nous trouvions Ruwaidah trop jeune pour se marier. Nous avions même demandé aux deux d’attendre quelques années supplémentaires mais Arbaaz nous a répondu qu’il l’aimait et notre fille a menacé à plusieurs reprises de boire du poison si nous n’acceptions pas de les marier au plus vite. Nous avons été contraints d’accepter.»

 

Le nikah a ainsi été organisé mais non sans difficultés. «Nous sommes allés à la rencontre d’un imam et lui avons expliqué la situation. Il a catégoriquement refusé d’organiser cette cérémonie, nous disant que la loi ne l’y autorise pas et qu’il ne peut pas le faire. Mais devant les implorations et les larmes de mon épouse, il a fini par céder», raconte Noor Ramjaun. Et le mariage religieux d’Arbaaz et Ruwaidah a eu lieu le 28 janvier 2018, à la mosquée Ar-Rayhaan, à Pailles, où habitent les Ramjaun. Ruwaidah – qui s’était installée définitivement chez les Nobeebux – a abandonné ses études. Et très vite, elle est tombée enceinte, pour son plus grand bonheur et celui de son époux et de sa belle-famille. Ses beaux-parents l’appréciaient visiblement beaucoup. «Nous l’avons toujours traitée comme notre propre fille. Elle était heureuse d’être parmi nous. Elle nous disait même que désormais, nous avions un enfant de plus», disent-ils.

 

Toutefois, Ruwaidah n’aurait pas mené une existence des plus paisibles et heureuses auprès de son époux. Au contraire. Ce dernier l’aurait malmenée physiquement à plusieurs reprises et même si, au départ, elle aurait eu honte d’en parler à ses proches, elle a fini par confier ses malheurs à sa sœur aînée, Ruksaar, en mai (voir hors-texte).

 

Et à peine quelque temps après, sa jeune existence hors du commun, parsemée de joies mais aussi de multiples épreuves, a pris fin en ce mercredi 20 juin. Ruwaidah s’en est allée, emportée par la maladie, sans avoir pu résoudre les nombreux problèmes d’adulte auxquels elle était confrontée à un si jeune âge. À tout juste 13 ans, Ruwaidah a quitté ce monde en ayant vu et vécu trop de choses, ou peut-être pas assez…

 


 

Ruwaidah succombe à une énième crise épilepsie

 

Il est environ 4h45 lorsque Ruwaidah perd connaissance le mercredi 20 juin, dans la salle de bain de ses beaux-parents, après avoir ressenti d’atroces douleurs au ventre pendant plusieurs heures. Si elle avait souvent été victime de crises par le passé, celle-ci lui a été fatale. C’est le Dr Moosa Bye Suffee, le médecin privé qui la suivait pour son asthme et sa crise épilepsie, qui est venu confirmer son décès. Il a attribué son décès à un «severe hyper emesis gravidasum» (des nausées et vomissements sévères provoquant la perte de poids et la déshydratation), l’ayant conduit à une perte des sels minéraux essentiels dans le corps, provoquant ainsi une crise épilepsie. Il en est de même pour le Dr Sudesh Kumar Gungadin, Principal Police Medical Officer, qui a autopsié le corps de la victime. Cela fait suite à la demande des parents adoptifs de Ruwaidah, qui suspectaient un foul-play car l’adolescente aurait souvent été malmenée par son époux. Les examens ont aussi conclu que l’adolescente a succombé à une mort naturelle –  un «status asthmatipus» –, des problèmes d’épilepsie et d’asthme, comme l’avait indiqué le Dr Moosa Bye Suffee.

 


 

L’époux, Arbaaz Nobeebux, reste en détention policière

 

La police de Goodlands a procédé à l’arrestation d’Arbaaz Nobeebux, l’époux de Ruwaidah, le samedi 23 juin après avoir étudié le cas en long et en large et avait concerté des cadres du ministère de l’Egalité du genre. Le jeune homme a comparu devant le Bail and Remand Court sous une charge provisoire de relations sexuelles avec une mineure de moins de 16 ans. Il a ensuite été placé en détention, la police ayant objecté à sa remise en liberté. Il sera interrogé incessamment.

 


 

La mère biologique et la sœur de Ruwaidah évoquent un mariage malheureux

 

Ruwaidah est bel et bien décédée de cause naturelle. Mais Tasleema Peerahamud, sa mère biologique, et Ruksaar, sa sœur aînée de 15 ans, estiment que l’enquête policière sur son cas ne doit pas s’arrêter là. Bien que l’adolescente ne soit plus là pour témoigner, ses proches affirment qu’elle était victime de violence conjugale et disent être en possession de preuves – des captures d’écran de messages échangés entre Ruwaidah et Ruksaar –, qu’ils ont déjà remis à la police de Goodlands, chargée de cette affaire. Lorsque nous les rencontrons au domicile des parents adoptifs de la défunte, ils se confient.

 

Tasleema et Ruksaar soutiennent que la jeune fille n’était pas heureuse dans son mariage. «Elle s’est confiée à moi pour la première fois à la fin du mois de mars. Elle disait que son mari se droguait, qu’il la battait tous les jours et l’étranglait. Il aurait même déjà essayé de l’étouffer avec un oreiller», dit Ruksaar en désignant les captures d’écran de leurs conversations. Et d’ajouter qu’au bout d’uniquement deux mois de mariage, Ruwaidah disait qu’elle regrettait de s’être mariée et qu’elle comptait revenir vivre chez ses parents adoptifs. Sollicités, les proches d’Arbaaz n’ont pas confirmé s’il se droguait. Ils ont cependant affirmé : «Notre famille a toujours traité Ruwaidah comme une reine. Elle ne manquait de rien. Elle était heureuse dans son couple car il y a à peine quelques jours, elle a écrit un mot où elle faisait mention de l’amour qu’elle portait à mon fils.»

 

Mais Ruksaar est catégorique : «Ma soeur avait peur parce qu’Arbaaz l’avait déjà menacée de la poignarder si elle racontait ce qu’elle vivait à qui que ce soit et elle ne voulait pas se rendre à la police pour ne pas faire de scandale», ajoute Ruksaar, toujours en utilisant les messages que sa sœur et elle s’étaient échangés comme preuves. Bouleversée par la mort de sa fille – qu’elle avait confiée à sa sœur Salima quand celle-ci n’était âgée que de trois mois –, elle déclare : «J’espère que la police fera son travail. Arbaaz doit payer pour ce qu’il lui a fait même si elle n’est plus là. Après que Ruwaidah a été adoptée par ma sœur, elle ne venait passer que quelques week-ends à la maison. Elle n’était peut-être pas aussi proche de moi comme elle l’était de ma sœur mais sa mort me fait également beaucoup de peine.»

 


 

Rita Venkatasamy, Ombudsperson for Children : «La place d’un enfant est à l’école, et non dans un mariage»

 

Elle est catégorique. Le mariage de toute personne âgée de moins de 18 ans doit être interdit par la loi. Rita Venkatasamy, Ombudsperson for Children, en est convaincue et suggère que les lois soient amendées en ce sens. Si le cas de cette adolescente de 13 ans a suscité de vives réactions au sein de la population, il soulève surtout de nombreux questionnements. «On ne peut pas se marier à 13 ans. On n’a pas le droit. Ce n’est pas légal. La place d’un enfant est à l’école, et non dans un mariage. On se marie lorsqu’on est à l’âge adulte. Le Children’s Bill viendra résoudre cette problématique.»

 

Si des recommandations seront faites aux autorités pour amender la loi afin que toute personne ayant moins 18 ans soit définie comme un enfant, Rita Venkatasamy rappelle que c’est aux familles, en premier lieu, de protéger l’enfant de tels abus. Face à toute cette problématique, l’Ombudsperson souhaite entendre la voix du public. C’est pour cela qu’elle invite les Mauriciens à faire part de leurs réflexions sur le sujet. Pour y participer, vous pouvez vous rendre à l’Ombudsperson for Children’s Office, 1er étage, NPF Building, rue des Artistes, Beau-Bassin, entre 10 heures et 15 heures, du lundi 25 juin au vendredi 6 juillet. Sinon, vous pouvez aussi le faire sur le 454 3010 et le 464 4380 ou en envoyant un mail sur ombudschild@govmu.org.

 


 

Un cas qui suscite de vives réactions

 

L’histoire de Ruwaidah a levé le voile sur une pratique jugée inacceptable par la majorité des Mauriciens. Elle suscite des interrogations et de vives inquiétudes. Les acteurs sociaux et les politiques n’ont pas tardé à réagir et à tirer la sonnette d’alarme. C’est au Parlement, en plein débat budgétaire, que Shakeel Mohamed, chef de file du PTr, a souhaité attirer l’attention de l’hémicycle sur la gravité de ce cas et la nécessité que la loi soit amendée pour que le mariage soit permissible uniquement après 18 ans. «Une enfant de 13 ans est morte. Nous sommes choqués d’entendre qu’elle était mariée et enceinte. Pendant plusieurs années, nous n’avons pas voulu commenter cette question pour ne pas blesser les sentiments d’une communauté. Nous devons tous condamner le mariage de n’importe quelle fille de moins de 18 ans.»

 

Les politiques ont été nombreux à commenter cette affaire. Soodesh Callichurn, ministre du Travail, estime qu’il faut revoir la loi : «Le mariage religieux doit être interdit à tout mineur.» Pour Zouberr Joomaye, il est plus que temps d’entamer une réflexion sur ce sujet : «Il faut une enquête et ceux qui ont permis ce mariage doivent prendre leurs responsabilités.» Même son de cloche du côté de Yogida Sawmynaden. «Inacceptable», a-t-il dit. Roubina Jadoo-Jaunbocus, ministre de l’Égalité du genre, a, elle, déclaré, lors de la séance parlementaire du vendredi 22 juin, que des consultations ont lieu en ce moment pour que le Children’s Bill soit présenté prochainement. Pour sa part, Xavier-Luc Duval, leader de l’opposition, a déclaré, lors de sa conférence de presse du samedi 23 juin, qu’il est aujourd’hui important que le Civil Status Act soit amendé pour que l’âge légal du mariage soit revu. «La loi doit être renforcée à ce sujet et si nécessaire les peines d’emprisonnement aussi.»

 

Textes : Elodie Dalloo et Amy Kamanah-Murday