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Thérèse Hargot, sexologue : «L’industrie pornographique a une influence directe sur les jeunes»

À Maurice pour animer une série de conférences autour du thème L’amour et la sexualité chez les jeunes, la philosophe et sexologue Thérèse Hargot est venue partager son expérience sur la sexualité des jeunes à l’initiative de l’action familiale, avec la collaboration du Service diocésain de l’éducation catholique. Comment parler à une jeunesse sexuellement libérée ou encore l’impact de la pornographie sur la société d’aujourd’hui, sont les quelques sujets qu’elle a abordés.

Vous êtes à Maurice dans le cadre d’une série de conférences autour de l’amour et de la sexualité chez les jeunes. Comment est-ce que cela se passe ?

 

Cela se passe très bien parce qu’il y a de belles rencontres et de beaux échanges. Je suis tellement heureuse d’être à Maurice. Quel magnifique pays ! Le plus beau du monde non ? 

 

Pourquoi avoir accepté de venir à Maurice ?

 

J’ai pour principe d’accepter toutes les invitations. Je viens là où on a envie d’entendre la parole que j’ai à donner et les idées que je porte. Il faudrait aussi que j’apprenne à dire non parce que j’ai un peu trop d’invitations. J’ai été très touchée qu’on m’invite à Maurice. Je me suis dit que, si je peux vous aider, je viens. 

 

Est-ce important d’avoir de tels forums pour parler de sexualité ? 

 

C’est essentiel. Parce que, si on ne le fait pas, d’autres s’en chargeront. Celle qui s’en charge aujourd’hui, c’est l’industrie pornographique qui est vraiment le vecteur par lequel les jeunes ont une image de la sexualité. Les adultes aussi d’ailleurs. Est-on d’accord du message envoyé par l’industrie pornographique ? Est-ce cela qu’on a envie de donner comme éducation ? Alors, oui, c’est important de parler de sexualité. Ce genre de forum a toute sa raison d’être. 

 

Vous avez animé votre première conférence lundi dernier. Avec ce que vous avez vu et les échanges que vous avez eus, comment situez-vous Maurice, par rapport aux questionnements sur la sexualité, en comparaison à d’autres pays ?

 

à Maurice, même si c’est la plus belle île au monde, il y a les mêmes problématiques que dans les pays du Nord. Et finalement, cela m’a beaucoup impressionnée de voir que les jeunes – du moins ceux que j’ai rencontrés – se posent exactement les mêmes questions que les Parisiens ou les New-Yorkais. Les parents aussi, par exemple, se posent les mêmes questions. On voit vraiment l’effet de la mondialisation parce qu’à Maurice, on écoute la même musique, on regarde les mêmes clips, les mêmes émissions. On est influencé par les mêmes idées. J’appréhendais cela. J’avais un peu peur car je me demandais ce que j’allais bien pouvoir dire. Je suis Belge et je viens ici. Finalement, je constate qu’on est tous égaux sur les questions d’amour et de sexualité.

 

Quelles sont les questions qui reviennent ?

 

De la part des jeunes, il y a deux catégories de questions qui reviennent tout le temps. La majorité des questions sont directement influencées par la pornographie. Donc, des questions très crues, centrées sur la performance, la réussite, qu’est-ce qu’il faut faire et qu’est-ce qu’il ne faut pas faire ? Les jeunes sont très imprégnés par tout cela. Là-dessus, on doit beaucoup les rassurer et les faire sortir de ce modèle dominant. 

Les adultes, de leur côté, se posent aussi beaucoup de questions sur ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire ou ne pas dire à son enfant. Ils sont comme à la recherche d’un manuel sur les questions affectives et sexuelles. À mon niveau, je suis là pour les encourager, pour leur dire  qu’ils n’ont pas à être des parents parfaits. Je les déculpabilise et surtout, je leur donne confiance en eux. Ils ont un rôle à jouer et ils sont capables de le jouer. 

 

Depuis quelque temps, il y a un phénomème qui interpelle dans l’île. Certains jeunes filment leurs ébats et, dans certains cas, les postent sur les réseaux sociaux. Comment interprétez-vous cela ? 

 

Je connais très bien ce phénomène parce qu’on a le même en France. J’ai rencontré des adolescents de l’île qui m’ont demandé pourquoi les gens filment leurs ébats sexuels ? Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela. En ce moment, avec les portables, les smartphones, on a un autre rapport à son image. On est tout le temps en train de se photographier, de faire des selfies et de faire des vidéos de soi. Donc forcément, ça bascule dans l’intimité. On développe l’habitude de vivre au travers de l’écran et de ce qu’on regarde. On va dire que c’est la société narcissique qui a toujours besoin de se regarder pour se rassurer. 

 

Après, il y a l’histoire du phénomène. On voit beaucoup cette problématique chez les jeunes :  devoir faire comme les autres, faire les mêmes choses, pour se dire qu’on est normal, comme les autres. 

 

Ensuite, et je suis obligée d’y revenir, il y a l’influence de la pornographie où on regarde pour être excité. Si un jeune a appris à trouver de l’excitation sexuelle via le visionnage de certaines images, ce jeune prendra cette habitude dans sa vie. L’industrie de la pornographie a un effet direct sur les jeunes. Si certains disent que finalement le porno ce n’est pas si grave et que les jeunes sont tout à fait capables de faire la part des choses, il y a des phénomèmes comme cela qui viennent dire que non. 

 

Il faut faire quelque chose car ce qui se passe est grave. Ceux et celles qui se retrouvent dans ces vidéos peuvent être marqués à vie. De nos jours, avec Internet, il ne suffit pas de changer d’établissement scolaire parce qu’un grand nombre de personnes aura accès à la vidéo. Ce sont des situations terribles d’humiliation, qui vont durer des années et qui sont très destructrices. Ce qui peut aussi déboucher sur des tentatives de suicide.  

 

Est-ce important qu’il y ait une classe d’éducation sexuelle dans les écoles ?

 

C’est important, voire urgent. Bien sûr, dans un monde idéal, on pourrait dire que c’est aux parents de parler de la sexualité avec leurs enfants. Mais ce monde idéal n’existe pas. Beaucoup de parents sont démissionnaires et ne prennent pas ce rôle d’éducateurs pour leurs enfants. Du coup, l’école est chargée de le faire. Donc, il est urgent qu’il y ait des cours d’éducation sexuelle dans les écoles mais à long terme. Il faut aussi le faire parce que tout ce qui touche à la sexualité est aussi très présent dans l’enceinte de l’école et cela devient une préoccupation. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas besoin d’information. Ils ont besoin d’une éducation de base : qu’est-ce que l’être humain ? C’est quoi la liberté ? Le consentement, le respect, l’amour… Parce que, même ces bases-là, ils ne les ont plus. Il faut aussi accompagner ces jeunes à gagner en estime d’eux-mêmes, bref tout ce qui touche au développement personnel. La prévention est aussi à faire. 

 

À quel âge et comment parler de sexualité à son enfant ?

 

Les parents pensent qu’il faut parler de sexualité à leur enfant quand celui-ci entre dans sa phase de puberté. Mais ils doivent savoir que ce rapport à la sexualité a commencé bien avant. Comment : la manière dont un enfant a été bercé, la manière dont il a été nourri ou encore la manière dont ses couches ont été changées. Les enfants sont comme des éponges, ils captent tout. De ce fait, ils comprennent vite ce qui se passe entre papa et maman. Ils enregistrent tout. À un très jeune âge, un enfant a déjà une certaine idée de l’amour qui vient de leurs parents et qu’ils ont intégré de manière émotionnelle, pas à travers un discours. Tout ce qui est intégré de manière émotionnelle reste pendant longtemps. Ce n’est pas une question de discours. C’est une manière d’être avec son enfant. Bien sûr, il y a des moments-clés pour parler de sexualité et d’amour avec son enfant, il y a des étapes. Par exemple, la question est immédiate quand un enfant voit une tante ou une proche qui est enceinte. L’enfant demande alors : «Maman, comment on fait des bébés ?» Il faut prendre ces opportunités pour le lui expliquer. 

 

Et les grossesses précoces ? Sont-elles liées à une absence d’éducation sexuelle ?

 

Tout à fait. Pour prévenir les grossesses précoces, il ne suffit pas de mettre les filles sous pilules contraceptives et penser que ce problème est résolu. En France, on fait cela et le nombre d’avortements reste stable et très élevé. Ce n’est pas une stratégie qui fonctionne. Ce qu’il faut, c’est faire parler les filles et les garçons sur leurs désirs. Oser avoir un dialogue avec eux. Il faut prendre le temps de discuter et de dire pourquoi la venue d’un enfant n’est pas positif à un jeune âge. 

 

L’amour et la sexualité, c’est lié ou ce sont deux choses distinctes ?

 

On pense qu’on peut distinguer le corps du cœur. Tout le travail des éducateurs est de montrer qu’il y a une unité. Il y a une vraie éducation à faire parce que les enfants entrent dans l’adolescence avec l’idée qu’on peut tout dissocier. 

 

Quel est le rôle d’une sexologue ?

 

Mon rôle, c’est de parler de sexualité. Pas réduire la sexualité à son aspect mécanique et technique. Certes, c’est important de comprendre comment ça fonctionne mais il est aussi important de comprendre cette sexualité et ce qu’elle dit de mes émotions, de ma personne. Le rôle d’un sexologue est donc important. Par exemple, derrière les problèmes de couple, il y a souvent des problèmes sexuels. Il devient alors important d’oser parler de sa sexualité et de ses répercussions sur le couple. 

 

Bio express

 

Thérèse Hargot, philosophe et sexologue, est née en 1984 en Belgique. Elle est la quatrième enfant d’une fratrie de huit. Ses parents sont tous deux assistants sociaux. Elle est mariée et a trois enfants. En 2016, elle a publié l’ouvrage Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) qui l’a révélée au grand public grâce à ses nombreux passages dans les médias. Le livre est à Rs 750 au Bookcourt.