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Salaire de moins de Rs 3 000 : Génération «tras trase»

Jane Ragoo espère que  la situation précaire de ces travailleuses sera prise en compte dans le prochain budget.

Si vous gagniez Rs 2 000 par mois, quelles sont ces choses que vous ne pourriez pas vous permettre ? C’est le cauchemar d’une centaine de femmes actuellement.

Comme un leitmotiv. La phrase revient, à la fois banale et percutante : «Nu tras trase», confie Maita Merville, 49 ans. Dans la voix, du défaitisme. Dans le regard, la lueur d’espoir qui tient debout, qui pousse à avancer. Une flamme qui, malgré tout, ne s’éteint pas. Malgré les larmes qui coulent sur les joues de cette habitante de Pointe-aux-Piments. Assise sur un banc blanc dans le jardinet en face du Parlement, elle discute avec d’autres femmes qui,  comme elle, travaillent pour pas grand-chose. Un «salaire» de misère, à peine de quoi survivre. Ce groupe de cleaners a manifesté silencieusement devant le Parlement le mercredi 19 avril, à l’initiative de la Confédération des Travailleurs du Secteur privé (CTSP) (voir hors-texte)

 

Jane Ragoo, porte-parole, de cette plateforme syndicale, espère que la situation de ces employées, qui sont surexploitées, selon ses termes, sera revue dans le prochain budget. Le salaire minimal pourrait également être une solution. Mais si les travaux sont enclenchés, il faudra patienter encore un peu pour que cette promesse électorale de l’Alliance Lepep devienne réalité (voir plus loin). Néanmoins, les chiffres du National Wage Consultative Council ont alerté ces derniers jours. 20 000 employés à plein-temps touchent moins de Rs 3 500, 40 000 gagnent moins de Rs 5 000 et 100 000 employés perçoivent un revenu de moins de Rs 8 000. Maïta fait partie de ces Mauriciens qui flirtent avec l’extrême pauvreté sans se laisser pour autant happer par celle-ci. 

 

La mère de famille travaille quelques heures par jour, du lundi au vendredi, dans une école primaire. Et même si ce n’est que pour Rs 3 000, les bons mois, elle ne lâche pas. Parfois, elle ne reçoit même pas la totalité de cette somme. Elle n’a pas de local, pas de bonus. Ses jours d’absence, même s’il est question de maladie, de congé public ou de jour chômé à cause d’un cyclone, sont coupés de sa paye. Son mari est décédé et elle s’occupe seule de ses deux filles. L’aînée a 10 ans. La plus petite, 5 ans et un souffle au cœur : «Elle met des couches et boit encore du lait. Ce sont des dépenses que je dois prévoir.»

 

«Manz ziss bred»

 

Souvent, les besoins du karne rasion dépassent l’argent disponible : «Il y a des mois, l’argent manque. Kan ena pu manz zis bred, nu manz zis bred. Kan ena pu manz apolo, nu manz apolo.» Consommer de la viande est exceptionnel. Mais plus fréquent que de faire les courses dans un supermarché ! Pour Maïta, l’achat à crédit chez le boutiquier est, presque, un style de vie : «Je rembourse dès que je peux.» De mois en mois, la course est lancée pour éponger les dettes (quitte à en prendre d’autres !), payer les redevances et faire rouler la cuisine. Un rythme auquel Maïta ne peut se souscrire. Difficile de laisser filer quand la priorité absolue est de se nourrir. Dans sa maison de deux pièces en tôle, avec sa petite famille, elle vit au jour le jour, s’appuie sur ce maigre salaire et les aides de l’État (une allocation maladie pour la petite et une pension de veuve pour Maïta) et de voisins : «On reçoit des vêtements.» 

 

Un dîner au restaurant ? Une sortie à Bagatelle ? Une journée à la plage ? Impensable pour la mère de famille. Inimaginable également pour Sabita Nayed, également cleaner : «Nu res anplas mem. Pa kapav pey transpor.» Cette habitante de Pamplemousses touche moins de Rs 2 000 mensuellement. Avec son mari maçon, qui n’a pas toujours du travail, le quotidien est fait de simplicité. Elle n’a pas de loyer à payer – la famille a «enn bout» chez le beau-père – mais un enfant à élever : «On fait des sacrifices pour notre fils. Quand mon mari a du travail, je mets de l’argent de côté pour les jours qui sont plus durs.» Les difficultés de Maïta, elle les connaît. Mais peut-être à un moindre degré. Sabita est entourée de sa famille et fait face, avec l’aide de son époux et de ses proches : «La vie est trop chère. Quand on n’arrive pas vraiment à s’en sortir, ma maman nous donne un coup de main.»

 

Néanmoins, les rêves matériels que la société de consommation crée doivent être repoussés. Un écran plat ? Un smartphone ? Un nouveau salon ? C’est une douleur intime, un combat de tous les instants pour résister à la spirale du surendettement (avec les offres de vente à crédit qui sont si alléchantes). Aujourd’hui, il ne suffit pas de combler les basic needs (nourriture, loyer, vêtement…). La douleur du manque de moyens est beaucoup plus complexe. Cette réalité ne touche pas forcément Neelavadee Veeren de Saint-Julien d’Hotman, qui approche de la soixantaine. 

 

Avec Rs 1 500 par mois, elle se débrouille avec son époux qui est déjà à la retraite et touche une pension de vieillesse. Dans leur petite maison, ils vivent à trois : «Mon fils handicapé vit avec nous.»Le quotidien est fait de système D, de sacrifices et d’épuisement. De colères non dites et de désespoir non-exprimé. De découragement mais aussi d’espoir. Car malgré tout, il faut avoir une raison de… tras trase

 

Salaire minimum, bientôt une réalité ?

 

C’est ce qu’affirme Beejaye Coomar Appanna, Chairman duNational Wage Consultative Council. D’ici janvier 2018, le salaire minimum devrait être une réalité, a-t-il précisé. Les chiffres avancés ? Entre Rs 7 500 et Rs 8 200. Néanmoins, pour qu’un consensus soit trouvé auprès des syndicats et des employeurs, trois comités techniques ont été mis sur pied.

 

Manifestation recherche réactions

 

Un cri du cœur… silencieux. Elles se tiennent debout, le Parlement derrière elles, des banderoles à la main. Elles ont 30 minutes pour faire entendre leur message sans faire un bruit, pour interpeller les passants, pour faire comprendre qu’il est impensable de toucher un salaire de Rs 1 500 par mois ! Parmi, Sangeeta qui, sans le salaire de son époux (technicien d’usine), n’arriverait pas à joindre les deux bouts et faire vivre ses deux adolescentes. Ou Beekha Reshmabai qui rêve d’avoir plus d’argent pour que son mari jardinier et elle puissent offrir un meilleur avenir à leurs trois enfants : «On paye les commissions et l’électricité, et il ne reste plus rien.» Ou Shalini Guzraz qui s’épuise pour un emploi où on ne la traite pas comme un être humain, où on ne lui fournit pas le matériel nécessaire et où on estime qu’elle peut abattre un travail monumental (nettoyer toute une cour d’école !) seule. 

 

Pourtant, ces femmes ne demandent rien d’extravagant : un salaire décent et des conditions de travail plus humaines. Pour l’instant, leur cri silencieux n’a pas encore été entendu. Alors, Jane Ragoo, porte-parole de la CTSP, estime que d’autres actions devront être prises : «Nous pensons même à une grève de la faim.» Les manifestations de ce genre se poursuivront en attendant une réaction des autorités.