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Saisie record de 135 kg d’héroïne : Plongée au cœur d’un important réseau de drogue

Navin Kisnah, l’importateur  présumé, a quitté le pays.  Un mandat d’arrêt international a été émis contre lui.

La grosse quantité de drogue saisie dans un compresseur la semaine dernière vient mettre en lumière un gros réseau de drogue qui serait dirigé par des caïds depuis la prison. Navin Kisnah, l’importateur présumé et actuellement sous le coup d’un mandat international, ainsi que d’autres suspects seraient des maillons de ce réseau. C’est du moins ce que pensent les enquêteurs. Décryptage…

C’est la chasse à l’homme. Un mandat d’arrêt international a même été émis par la police mauricienne pour retrouver celui qui est considéré par les enquêteurs comme une «pièce maîtresse» du réseau derrière l’importation record de 135 kg d’héroïne, d’une valeur de plus de Rs 2 milliards. La drogue a été retrouvée le 9 mars dans un compresseur qui se trouvait dans un conteneur au Port. Mais l’importateur présumé, Navin Kisnah, la trentaine, a filé à l’indienne la veille de cette saisie record.

 

Il aurait trouvé refuge en Afrique du Sud. Mais alors que la police le soupçonne d’avoir pris la fuite, celui qui se présente comme un businessman affirme, lui, s’être rendu là-bas pour affaires et clame, dans une déclaration au Défi Plus, qu’il ne compte pas rentrer au pays de sitôt. Il nie toute implication dans cette affaire de drogue. Sa famille assure également qu’il n’a rien à voir là-dedans et qu’il a l’habitude de toucher de gros gains au jeu. Il serait un habitué des casinos et du Champ de Mars. 

 

Toujours est-il que, pour les enquêteurs mauriciens, Navin Kisnah reste un suspect déterminant pour l’enquête. Il serait, disent les enquêteurs, un maillon important du réseau qui a fait venir les 135 kg d’héroïne et se retrouve au cœur de cette histoire qui fait couler beaucoup d’encre depuis plus d’une semaine. Aurait-il eu pour mission, en tant que courtier en douane, de faire les démarches administratives afin de faciliter l’entrée de la cargaison de drogue ? C’est ce que tentent de déterminer les enquêteurs. 

 

Casier judiciaire

 

Navin Kisnah était dans le viseur de l’ADSU depuis un moment déjà. Pour cause : des démêlés qu’il aurait eus avec la justice dans le passé et ses déplacements fréquents à l’étranger. La brigade antidrogue le soupçonne même d’être lié à l’un des trois barons de la drogue qui auraient fait cause commune pour faire entrer cette drogue à Maurice. Ces gros bonnets purgeraient tous en ce moment une lourde peine à la prison centrale pour trafic de drogue. Navin Kisnah serait-il un des fidèles lieutenants du plus puissant d’entre eux, considéré comme le Pablo Escobar de l’île Maurice ? C’est une hypothèse qu’étudie l’ADSU.

 

Alors que le jeune homme est sous le coup d’un mandat d’arrêt international, deux autres suspects ont été arrêtés dans le cadre de cette saisie record d’héroïne. Ce sont les directeurs de la compagnie qui aurait importé le compresseur qui contenait la cargaison d’héroïne à travers le courtier maritime Navin Kisnah : Thomas Sidi, un ressortissant indien, et son partenaire en affaires, Geanchand Dewdanee, un homme qui gravite autour du MSM et de Pravind Jugnauth. L’homme a souvent été vu aux côtés du Premier ministre, notamment lors de sa victoire dans l’affaire Medpoint, photos à l’appui. Il aurait aussi ses entrées au Sun Trust où il serait vu fréquemment.

 

Aucun de ses proches n’a voulu commenter l’affaire. Par contre, Pravind Jugnauth a précisé que Geanchand Dewdanee n’était pas un de ses proches et qu’il ne fait partie d’aucune instance du MSM, qu’il n’était qu’un partisan du parti (voir hors-texte).

 

Geanchand Dewdanee, un proche du MSM, a été arrêté cette semaine.

 

Le dénommé Dewdanee a déjà un casier judiciaire. Cet ancien conseiller de l’ex-ministre Mahen Gowressoo, habitant de Poudre d’Or, fait l’objet d’une accusation de corruption. En 2011, il aurait remis un bribe à un policier pour annuler une contravention. Il doit se présenter en Cour intermédiaire à cet effet le mardi 4 avril. Ses ennuis avec la justice semblent loin d’être finis. L’ADSU est aujourd’hui en présence de certaines informations considérées comme damning contre ce suspect dans l’affaire des 135 kg de drogue. Aurait-il fourni une certaine somme d’argent pour financer l’importation de cette drogue, comme le soupçonne la police ? Celle-ci s’intéresse aussi à lui car elle se penche sur plusieurs habitués du Champ de Mars dans le cadre de son enquête. Geanchand Dewdanee, lui, nie  avec force toute implication dans cette affaire de drogue.

 

Un autre homme d’affaires engagé dans un commerce de fast food est aussi soupçonné d’avoir fourni une importante somme s’argent pour financer l’achat de la grosse cargaison de poudre. Il opèrerait pour un des gros bonnets emprisonnés et aurait lui aussi ses entrées au Champ de Mars.

 

Blanchiment d’argent

 

Selon nos informations, le commerçant serait un important maillon du réseau dirigé par le trio de trafiquants-condamnés. Il blanchirait l’argent sale de la drogue dans les courses hippiques. L’ADSU croit également que la saisie des 135 kg d’héroïne a un lien direct avec celle de 42 kg de cette même drogue, dans le port de Ste-Rose à La Réunion, il y a quelques mois. Pour cause : l’un des suspects arrêtés dans cette affaire qui a aussi fait grand bruit serait le bras droit d’un des trois barons.

 

La drogue saisie sur une Sud-africaine à l’aéroport, le mardi 14 mars, aurait également un lien avec ces trois gros bonnets car le suspect Rosette arrêté dans cette affaire serait aussi le bras droit de l’un d’eux (voir texte en page 10 à cet effet). Jean-Pierre Rosette, un habitant d’Albion, a déjà été arrêté pour trafic de drogue dans le passé. À l’époque, il avait été arrêté dans sa maison de Trèfles, avec 10 g d’héroïne. Le suspect Rosette aurait recommencé à dealer après sa sortie de prison. 

 

En tout cas, la saisie des 135 kg d’héroïne a permis à la brigade antidrogue d’y voir un peu plus clair dans le fonctionnement du réseau qui serait dirigé par les trois barons. Il nous revient que ces derniers auraient, chacun, leur propre réseau de distribution. Les frères Chowrimootoo et Gro Derek, actuellement en prison, sont aussi soupçonnés de faire partie de ce triple réseau en tant que revendeurs. 

 

Ce n’est pas un hasard si ces derniers sont tous en détention pour trafic de drogue. Les frères Chowrimootoo seraient très connus pour leur proximité avec celui considéré comme le nouveau Pablo Escobar local, alors que Gro Derek opérait, lui, pour l’un des deux autres gros bonnets. Les grosses cargaisons embarqueraient tous d’Afrique, selon les Casernes centrales. La preuve : le compresseur contenant les 135 kg d’héroïne venait d’Afrique du Sud. Mais leur provenance initiale serait l’Asie. 

 

Selon une source proche des enquêteurs, c’est un grand caïd ougandais qui alimenterait les trois gros bonnets mauriciens. L’Africain avait été arrêté en août 1996 pour importation d’héroïne. Il avait été condamné à vie mais sa peine a été, par la suite, commuée en une peine plus courte et il est rentré chez lui. Le trafic d’héroïne serait contrôlé de la prison via les smartphones. 

 

La brigade anti-drogue n’est pas la seule à enquêter sur les trois gros bonnets et leurs réseaux. Il nous revient que l’Independent Commission Against Corruption a également initié une enquête de même que la Financial Intelligence Unit et la Mauritius Revenue Authority. La Banque de Maurice est également sollicitée. 

 

Cet aspect de l’enquête concerne le financement de l’achat de la cargaison de 135 kg d’héroïne. Car il s’agit quand même d’une somme de plus de Rs 2 milliards. En tout cas, c’est une très grosse affaire qui risque d’occuper les enquêteurs et leurs partenaires pour un moment. Et surtout, on risque de voir pas mal d’autres arrestations dans le cadre de cette affaire qui vient démontrer que le trafic de drogue à Maurice prend des proportions affolantes. 

 


 

Vers une pénurie

 

La grosse saisie de 135 kg d’héroïne aura un impact direct sur la distribution de cette drogue parmi les toxicomanes. Selon une source policière, cette importante quantité devait servir à alimenter le stock local pendant plusieurs mois. Notre source avance qu’on obtient environ 50 doses à partir d’un gramme d’héroïne. Les 135 kg équivalent donc à 6 750 000 doses. Notre interlocuteur avance qu’il y a environ 8 000 drogués à Maurice. Si on part du principe que chacun d’eux prend deux doses par jour, soit 16 000 doses, le stock devait durer plus de 420 jours. 

 

La grosse saisie au port de Ste Rose à La Réunion a également eu un impact terrible sur le marché local. C’est pour cela que la brigade anti-drogue a décidé de doubler de vigilance au port et à l’aéroport. Cet exercice a été payant avec l’arrestation de la passeuse sud-africaine et trois de ses présumés complices locaux. En plus de plusieurs autres arrestations de passeurs les semaines précédentes.

 


 

Les politiques s’en mêlent

 

Les clichés ont fait la une, toute la semaine. Des photos montrant un des suspects arrêtés dans l’affaire des 135 kg d’héroïne, Geanchand Dewdanee, présent dans l’entourage du Premier ministre Pravind Jugnauth. Et le leader du MSM a bien dû se dépatouiller ! À coups de déclarations, à différentes reprises, il s’est dissocié du businessman-fonctionnaire (oui, visiblement, pour certains, ce n’est pas incompatible) et a assuré qu’il ne laisserait aucune chance aux méchants, même si ces derniers font partie de sa famille. Tout en précisant que Geanchand Dewdanee n’était pas un proche, il a ajouté que l’homme n’avait fait partie d’aucune de ses délégations lors d’un voyage officiel. 

 

Néanmoins, ce n’est pas le seul son de cloche de la semaine. D’autres laissent entendre que le businessman a ses entrées au Sun Trust (Paul Bérenger en a rajouté une couche lors de son point de presse hebdomadaire) et qu’il est très proche du leader du MSM… Le Premier ministre, lui, n’a pas changé de version, rajoutant même un nouveau sujet de polémique : il s’est dit en faveur de la peine de mort pour les trafiquants de drogue. Une tactique pour fausser le débat ? se sont demandés plusieurs observateurs politiques. Des munitions – il en manquait ? – pour l’opposition qui n’a pas manqué de dénoncer les relations entre le pouvoir et la drogue. 

 

Paul Bérenger, lors de sa conférence de presse le samedi 18 mars, a déclaré qu’il y a un «contexte qui nous ramène 32 ans en arrière» :«À l’époque, il y avait les Amsterdam Boys. Les jeunes ne le savent pas mais, à l’époque, les trafiquants circulaient librement et disaient : “Nu ena gouvernman dan nu lame”.» Pour le leader du MMM, il n’y a pas de doute quant à la proximité entre Pravind Jugnauth et Geanchand Dewdanee. Il s’est également intéressé aux voyages de ce dernier et aux privilèges dont il aurait bénéficié.

 

Xavier-Luc Duval a exigé de connaître les connexions politiques entre Navin Kisnah, un suspect recherché dans cette affaire, et le monde politique. Il a aussi estimé que Maurice devrait faire appel à des pays amis afin de résoudre le problème de la drogue. Roshi Bhadain a, lui, demandé si Geanchand Dewdanee avait «financé le parti soleil».

 


 

Les travailleurs sociaux tirent la sonnette d’alarme 

 

Les récentes grosses saisies confirment que notre pays a un gros problème de drogue. Le pire, explique Danny Philippe, c’est le rajeunissement et la féminisation du consommateur : «Je suis sur le terrain depuis plus de 25 ans. La drogue est accessible partout. Les grosses saisies confirment que la situation est alarmante. Plusieurs millions de roupies sont blanchies via le trafic de drogue.»

 

L’éradication de ce fléau sera très difficile, selon le travailleur social. Il est d’avis que la répression ne va jamais faire régresser ce fléau : «La lwa sever wi me pli boukou dimounn andan ladan se konsomater, 70 poursan zot mem. Ek Rs 300 enn doz, nu mem vann leroinn pli ser dan lemond. Nu bizin asiz ansam pou nou revwar nou politik ladrog. Guet Portugal kuma inn resi laba (http://bit.ly/2ny7GxM)

 

Ally Lazer, autre travailleur social engagé contre les trafiquants de drogue, promet, pour sa part, une nouvelle liste de big boss : «Je vais soumettre une nouvelle liste au commissaire de police à la fin de ce mois. Cette liste contient de nouveaux noms. Ce ne sont pas ceux que j’ai soumis à la commission d’enquête.»

 

La liste en question contiendrait les noms des trafiquants, de leurs complices et de leurs protecteurs, de même que ceux de pharmaciens véreux. «Le nom d’un homme d’affaires engagé dans la restauration se trouve sur cette nouvelle liste. Il financerait un des trois gros caïds qui purgent une lourde peine d’emprisonnement pour trafic de drogue.»

 

 

Textes : Jean Marie Gangaram et Yvonne Stephen